Souvenirs guingampais : le Roudourou, 1942

Souvenirs guingampais : le Roudourou, 1942

Souvenirs guingampais : le Roudourou, 1942. Par M. Jean-Yves LE SOLLEU

Ce matin maman est enfin satisfaite : mes galoches sont presque silencieuses ; mon père s’est improvisé cordonnier et est parvenu à fixer quelques lanières taillées dans un pneu sur le bois blanc de mes belles galoches neuves. Ces claquements sur les pavés évoquent les talons des dames et ça m’énerve passablement. Semelles de bois, dessus en « carton bouilli », c’est la guerre, « les restrictions » selon le terme consacré. Galoches ou pas c’est l’heure de rejoindre « Saint-Léone » [diminutif de Saint-Léonard. NDLR] ; il faut bien compter une petite demi-heure de marche pour aller de la caserne au Chemin du Carré [aujourd’hui rue du général Leclerc. NDLR].

 En haut de Saint-Michel je vois beaucoup de vert de gris : tant d’uniformes à cette heure et en ce lieu, c’est tout à fait inhabituel. Arrivé rue Saint-Michel je n’en croit pas mes yeux : de l’eau ; un courant sort de chez Joseph Hélary, à la cale pavée où arrive aujourd’hui la passerelle. Un soldat allemand me fait signe d’approcher et m’indique de monter sur une planche appuyée à un tréteau. C’est un véritable petit chemin en bois, un mètre au-dessus du sol.

Le soldat me prend la main et, marchant dans l’eau à mon côté me guide et me maintien. Le carrefour Saint-Michel est totalement noyé par quelques 60 ou 80 cm d’eau. La passerelle improvisée tourne à gauche vers la rue des ponts, et il y en a du monde là-dessus ! À quelques mètres devant l’épicerie de madame Leonarduzzi, j’aperçois précisément Joseph Hélary, lui aussi a son soldat-guide le tenant fermement par la main. Sa maison a dû prendre un sacré bain de pieds !  Ce devait être en 1942 ou 1943. La prairie du Roudourou avait aussi été noyée. Dans quel état la retrouverions nous lors de la prochaine « prom » avec « Saint-Léone » ? En réalité c’est le ruisseau qui s’appelle Roudourou, je crois [en fait, Prat-al-lann. NDLR] ; à peine large d’un mètre cinquante et dans lequel nous pataugions à plaisir en été. Tous en caleçon. Quoi qu’il fût très boueux il nous arrivait, lors de grandes chaleurs d’hésiter à boire cette eau fétide, et pour cause, mais quand on crève vraiment de soif… Roudourou a changé de signification et a été anobli en temple du foot ! Fief d’En Avant.

Justement… au « caté » j’avais un copain du nom de Raphaël Menou, un grand costaud, très doux pourtant et qui défendait les plus petits. J’ai appris plus tard qu’à 16 ans il fut embauché – mais comment le dire autrement – par En Avant et connut un début de carrière prometteur. Il doit être de 1934. A cette époque le stade d’En Avant ne connaissait pas encore la magnificence du Roudourou : modeste terrain sur les hauteurs de la ville à Pabu les supporteurs de l’équipe devaient déjà s’offrir un bon bout de route montante avant de pouvoir encourager de la voix l’équipe aimée.

Une grande inondation peut en rappeler une petite ! [Allusion à la catastrophe de Carcassonne. NDLR].

Jean-Yves LE SOLLEU, le 16 octobre 2018

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