LA BATAILLE D’AURAY, 1364

LA BATAILLE D’AURAY, 1364

La fin tragique de Charles de Blois

 

Par M. Jean-Paul ROLLAND

Statue saint sulpicienne de Charles de Blois dans l’église de Bulat

1364, année sanglante en pleine guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre. L’un des enjeux de ce grand affrontement entre ces deux puissances, l’insulaire et la continentale, c’est le contrôle de ce beau, riche et fascinant territoire entre ces deux ennemis : la Bretagne qui du reste est en pleine guerre de succession depuis déjà vingt-trois ans (1341).

Au décès du duc Jean III le 30 avril 1341 à Caen, sans héritier, depuis près d’un quart de siècle, chaque camp, le français comme l’anglais soutient son propre prétendant au duché de Bretagne :

  • Côté français, la nièce de Jean III, Jeanne de Penthièvre mariée à Charles de Blois, neveu du roi de France (Philippe VI de Valois).
  • Côté anglais, le demi-frère de Jeanne de Penthièvre, Jean, comte de Montfort qui ne dispose que du domaine de Guérande, mais qui peut se targuer de la forte amitié du roi d’Angleterre (Édouard III). Jean de Montfort est dit également le Conquérant.

Le comte de Montfort est mort en 1345 lors du siège du Siège de Quimper, son fils, dénommé Jean aussi, reprendra le flambeau. Pendant vingt ans, jusqu’en 1364, on va voir des villes assiégées et des soldats anglais qui ne vont pas cesser de débarquer dans le duché.

Tombeau, en albâtre, construit en 1405, de Jean IV dans la cathédrale de Nantes, détruit en 1793

Où est Charles de Blois ?

Il est en captivité à Londres (Le 18 juin 1347, il est fait prisonnier par les Anglais lors de la bataille de La Roche-Derrien) il ne peut donc pas faire grand-chose. Ainsi les Anglais n’ont pas trop de mal à prendre le dessus, or pour eux, le contrôle de la Bretagne est d’abord essentiel. En parallèle, on observe aussi des tentatives de paix, notamment la trêve de Malestroit (signée le 19 janvier 1343) entre Édouard III d’Angleterre et Philippe VI de France, en la chapelle de la Madeleine. Après la signature de cette trêve le souverain anglais et ses troupes quittèrent la Bretagne pour l’Angleterre. On en espérait beaucoup mais finalement elle ne durera que deux ans (Les hostilités reprennent toutefois officiellement en 1345 pour se poursuivre jusqu’en 1362). Il y a aussi des plans de partage (partage de la Bretagne entre les deux rivaux) en 1363 à Evran, en 1364 à Poitiers. Cette année 1364 est tellement importante, elle marque une escalade dans la rivalité entre Anglais-Français car nous parlons d’Anglo-Bretons d’un côté et Franco-Bretons de l’autre.

Chapelle de la Madeleine à Malestroit (56)
La trêve de Malestroit

Huit ans plus tôt en 1356, le roi de France, Jean le Bon avait été capturé près de Poitiers par les Anglais et le 8 avril 1364, le pauvre roi toujours en captivité (il avait été dans un premier temps libéré, mais comme la caution n’avait pas été réglée, il s’était remis en captivité ; il avait poussé très loin le sens de l’honneur !) finit par mourir à Londres. Mais son fils, Charles V qui gouvernait la France en son absence, à ce moment-là, peut lui succéder pleinement. Or, Charles V entend bien restaurer partout l’autorité royale, y compris aux marches du royaume donc en Bretagne. Les Anglais le savent et partant du principe : la meilleure défense c’est l’attaque, ils passent à l’action et font main basse sur le duché.

Le dimanche 29 septembre 1364, non loin de la côte, à Auray, c’est là bataille où les troupes de Jean de Montfort étaient déjà là, présentes sur le plateau de la Chartreuse en Brech depuis plusieurs semaines ; pendant que Charles de Blois occupait Kerzo et les environs en Pluneret. Dans le vallon de Rostevel qui sépare ces deux points, c’est là que se livra, le 29 septembre, la décisive bataille d’Auray.

Cet affrontement oppose directement les deux prétendants à la couronne du duché de Bretagne : Jean de Montfort d’un côté et Charles de Blois de l’autre. On peut dire que l’avenir de la Bretagne est en jeu.

Cette bataille d’Auray n’est pas une bataille comme les autres

D’abord, elle a lieu un dimanche (comme Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214) alors que l’on ne se bat que rarement le dimanche. De surcroît le jour de la saint Michel qui est une date extrêmement importante qui autrefois marquait la fin de l’engrangement des récoltes et le jour où l’on payait les loyers et les fermages. Pour nos aïeux, c’était une date particulièrement sacrée dans le calendrier. Était-ce bien le moment de se battre ?

Puis, c’était une bataille rangée, c’est-à-dire force contre force, en terrain dégagé, alors qu’à cette époque, ces batailles rangées sont relativement rares, surtout pour rompre une trêve. Au Moyen Âge, on a plus l’habitude de mettre des sièges devant les villes ou places fortes.

À Auray, nos deux prétendants au duché de Bretagne vont s’affronter pour la première et seule fois. Tout commence quand même par un siège, celui du bourg d’Auray. Jean de Montfort en effet met le siège devant la ville dès l’été 1364.

Pourquoi Auray ?

Parce que c’est une petite ville du littoral méridional de la Bretagne, célèbre pour son château fort très bien fortifié. C’est un véritable verrou très stratégique. Elle est aux mains des franco-bretons depuis plus de vingt ans ; elle est construite sur l’escarpement d’une colline ; elle dispose d’un port bien abrité (Saint-Goustan sur la rivière du Loc’h à 15 km de la mer en fond de ria) et d’un pont sur la route qui se dirige vers Vannes et donne le passage à l’Ouest. Donc, en s’emparant d’une telle place, Jean de Montfort se rend maître de tout ce littoral depuis Vannes (son lieu de résidence), le golfe du Morbihan et jusqu’à Quimperlé. Seulement pour l’atteindre combien de souffrances, de saignées, de chevaux éventrés, de bras tranchés, de crânes défoncés… combien d’horreurs ?

Jean de Montfort n’est pas venu tout seul avec ses hommes mettre le siège devant Auray. À ses côtés, se trouve un grand chef de guerre nommé John Chandos qui est considéré comme un des meilleurs capitaines anglais de la guerre de Cent Ans. Il a été un des héros de la bataille de Poitiers (1356), il va être un des personnages clés de cette bataille qui s’annonce. Ainsi que Robert Knoles qui s’est beaucoup illustré à la bataille de Crécy (1346) et à Poitiers où le Prince Noir (Édouard Plantagenêt, plus connu sous le surnom de Prince Noir ou parfois d’Édouard le Noir) a capturé Jean le Bon (Jean II, dit « le Bon », né le 26 avril 1319 au château du Gué de Maulny du Mans et mort à Londres le 8 avril 1364, fils du roi Philippe VI et de son épouse Jeanne de Bourgogne, est roi de France de 1350 à 1364). En fait cette bataille de Poitiers 19 septembre 1356 s’est déroulée à Nouaillé-Maupertuis, près de Poitiers en Aquitaine. Le roi de France Jean II le Bon cherche à intercepter l’armée anglaise conduite par Édouard de Woodstock, prince de Galles, qui est en train de mener une chevauchée dévastatrice. Par une tactique irréfléchie, Jean II conduit ses troupes, quoique numériquement très supérieures, au désastre et se fait prendre, ainsi que son fils Philippe et de nombreux membres éminents de la chevalerie française. Ces deux hommes sont à la tête d’hommes anglais, gascons, normands et aussi bretons. Jean de Montfort ne va pas tarder à se rendre maître de la ville d’Auray, mais il ne l’est pas du château qui reste sur une position imprenable défendue par deux écuyers, un français et un breton. À l’intérieur, de ce château, se trouve, non seulement la garnison franco-bretonne, mais, aussi, une partie de la population de la ville qui est venue comme on le fait à ce moment-là : trouver refuge derrière les hauts murs.

Montfort fortifia son siège puis il fit dresser des engins (arbalètes à tour, béliers en bois…) battre et endommager la place, mais ne disposait pas d’artillerie à poudre.

Arbalète à tour

 

 

Bélier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que fait Charles de Blois ?

Il apprend la nouvelle alors qu’il se trouve à Guingamp. On pensait qu’il allait agir au plus vite, même pas. Il est tombé malade. Néanmoins, il réclame des renforts au roi de France Charles V dit le Sage (du 8 avril 1364 au 16 septembre 1380). Charles V au même moment est en train de chercher des moyens d’une paix négociée. On ne peut pas dire que cette bataille s’annonce sous des auspices limpides.

Cependant il lève une troupe importante, il est vrai qu’il a le soutien d’une grande partie de la noblesse bretonne, et, il recrute également hors de Bretagne (Bourguignons, Picards, Normands, Manceaux) également des étrangers (Génois, Espagnols, Allemands). En septembre 1364, arrive, en personne, Messire Bertrand du Guesclin (environ 44 ans). Il est issu de la petite noblesse bretonne, il a été fait chevalier par Charles de Blois lui-même dix ans plus tôt, puis, il a été nommé lieutenant de Normandie, d’Anjou et du Maine. C’est un homme de guerre, tout à fait hors pair, reconnu pour quatre qualités : la bravoure, la malice et son intransigeance aux armes mais également aussi sa laideur ! (on ne peut pas tout avoir). Un de ses contemporains le décrit comme : « un sanglier revêtu d’une armure ». Du Guesclin à ce moment-là est déjà chambellan du roi de France Charles V (Un chambellan ou chambrier, camerarius en latin, est un gentilhomme chargé du service de la chambre d’un monarque ou d’un prince, à la cour duquel il vit). En quelques semaines, il a littéralement écrasé Charles II de Navarre, en guerre contre la France pour la succession de la Bourgogne confiée à Philippe le Hardi, recrute des troupes parmi ces Grandes Compagnies (composées d’Anglais et de Gascons) et parvient en Normandie avec l’intention d’empêcher le sacre de Charles II en coupant la route de Reims, lors de la bataille de Cocherel dans l’Eure (13 mai 1364). Il arrive donc en Bretagne tout auréolé d’une victoire toute récente.

Avec sa compagnie personnelle forte d’une centaine de lances, Charles de Blois est prêt pour marcher sur Auray et affronter son ennemi depuis vingt-trois ans : Jean de Montfort.

Il doit faire vite du reste, parce que Montfort et les assiégés se sont entendus le 26 septembre 1364, les habitants d’Auray ont obtenu une trêve et des vivres à condition de se rendre le jour de la Saint Michel. Jean de Montfort est également averti de l’avancée des troupes de Charles de Blois. Mais il y a un espion dans les rangs de celui-ci ; en fait tout ce monde s’espionne, on a souvent une image un peu simpliste de ces combats au Moyen Age, mais les frontières entre ces camps n’étaient pas toujours bien claires !

Voilà Montfort replié avec ses troupes dans le nord d’Auray, sur les hauteurs de la forêt, dès le samedi 28 septembre, dans l’après-midi, les deux armées sont en repérage et se retrouvent face à face. « Ordre est donné de se livrer à aucune course, ni joute contre le camp adverse ». Pourtant chacun défie l’autre, le soir même quelques escarmouches sont menées par des valets près du ruisseau, la peur d’une attaque produit une certaine panique chez les franco-bretons dans la nuit.

La tension monte au fil des heures : la bataille va pouvoir commencer !

Juste après la messe qui a eu lieu très tôt, le signal de la bataille est donné à 6 heures, aucun camp n’a attendu la marée basse qui était prévue à 14 heures. À 7 h 58, la mer est haute avec un coefficient de 105, cela n’est pas négligeable, la mer est rentrée très loin dans les terres. Selon Jean Froissart (chroniqueur de l’époque), il y a une forte disproportion entre les armées en jeu. Les troupes sont organisées en trois corps ; Les chevaliers sont groupés sur 3 à 5 rangs, les Anglais adoptent la même organisation que les Français. Les Français ont la bannière à fleurs de lys ; les Anglais ont celle au léopard d’or.

Armée Franco-bretonne de Charles de Blois

  • À gauche le comte d’Auxerre dit le Chevalier Blanc,
  • À droite du Guesclin,
  • Au centre Charles de Blois. Une faible réserve qui ne sera pas utilisée.

Armée Anglo-bretonne de Jean IV de Bretagne

  • À droite Olivier V de Clisson,
  • À gauche l’anglais Robert Knolles,
  • Au centre Jean IV et l’Anglais Chandos. Une réserve importante prête à intervenir.
Les protagonistes
Les commandants

 

 

 

 

 

 

 

La bataille d’Auray (clic pour ouvrir en grand)

C’est un duel entre deux princes qui ne se sont jamais rencontrés ; c’est une confrontation suprême presque une forme d’ordalie (ou jugement de Dieu qui était une forme de procès à caractère religieux qui consistait à soumettre un suspect à une épreuve douloureuse, voire potentiellement mortelle, dont l’issue lui permettait de conclure à la culpabilité ou à l’innocence). La plupart des enluminures mettent l’accent sur l’opposition des chefs des deux camps. La bataille rangée est vécue comme un duel d’honneur qui découle du combat entre deux champions ou entre deux camps luttant entre eux en jugement de Dieu dans une ordalie pour désigner le droit dans la guerre médiévale. La bravoure compte plus que le succès. Bien rares sont les chevaliers ou capitaines qui n’ont pas connu les revers, la capture, la défaite. Mais ce qui compte, c’est avant tout un comportement exemplaire sur le champ de bataille. Dans cette recherche ostentatoire du courage, les princes doivent être des modèles de vertus militaires, un idéal encore très vivace au XIVe siècle. Le bon prince doit s’engager en personne dans le combat. Dans le récit de Jean Froissart les portraits de Jean de Montfort et de Charles de Blois sont équilibrés, les deux étant présentés comme de bons chevaliers qui sont là pour combattre vaillamment.

Au début, la bataille semble bien organisée, c’est toujours comme cela au Moyen Age. Les troupes de Charles de Blois semblent prendre l’avantage sur celles de Jean de Montfort. Mais les troupes Anglo-bretonnes ont une ruse que raconte le chroniqueur Cuvelier. Une prophétie dit que lors d’une bataille celui qui porte les armes avec une hermine serait vaincu. Pour éviter qu’elle se réalise Jean de Montfort fait armer et vêtir un de ses cousins d’une cotte de mailles armoriée d’un semis d’hermines. Il y a comme cela une kyrielle de prophéties ; on a remarqué sur le terrain un faucon pèlerin accompagné d’éperviers, et c’est Charles de Bois qui les a vus, c’est un bon présage. Il y a aussi cette légende d’un lévrier blanc de Charles de Blois (nommé Yoland) qui aura changé de camp au début du combat pour rejoindre celui de Jean de Montfort, ce chien qui symbolise la loyauté, la pureté guerrière. On a même cru voir une prophétie de cette bataille dans le texte de Merlin qui circulait, la veille, dans le camp. À cette époque on croyait à tous ces signes (en breton : seblantoù, qui ont perduré jusque dans les années 1960-1970 en Bretagne chez nos grands-parents).

Le recours au surnaturel contribue à valoriser la victoire en la faisant découler d’une intervention divine et en lui donnant un aspect miraculeux.

Ce qu’il y a de spécial dans cette bataille, c’est l’ampleur du carnage avec les armes qui sont utilisées : des lances qui peuvent mesurer près de trois mètres et demi et peser 18 kg, des arcs avec des flèches qui peuvent dépasser les 50 mètres (les soldats anglais excellent avec cette arme en précision et rapidité de tir), des arbalètes si meurtrières avec leurs carreaux qui transpercent les matériaux (alors qu’elles étaient interdites depuis le concile de Latran en 1139, mais personne ne respecte cette interdiction), les glaives, les épées et les dagues car on se bat également au corps à corps. Une arme fait peur également : la hache de combat à double tranchant dévastatrice qui terrorise l’adversaire à pied et d’une grande efficacité guerrière puisqu’elle peut trancher un corps en deux !

Selon Cuvelier, du Guesclin se bat comme une bête enragée ; et selon Froissart, Olivier de Clisson fait merveille de son corps. C’est intéressant de voir que ces deux hommes, tellement amis – on dit que du Guesclin sur son lit de mort avait transmis son épée à Clisson – là ils sont dans des camps opposés. Ce sont les hasards des alliances mouvantes de cette époque ! Du Guesclin sera comparé par plusieurs chroniqueurs à un boucher. Charles de Blois va subir une véritable débâcle, car au fur et à mesure qu’on avance ce sont les Anglo-bretons qui ont le dessus. L’événement majeur de cette bataille va être la mort de Charles de Blois, on a dit qu’il avait été tué accidentellement pendant la mêlée, qu’il a été tué délibérément par la lance d’un anglais ou capturé avant d’être tué… Chaque chroniqueur a sa version ! Toujours est-il qu’il est mort, les redditions sont nombreuses ; mais également l’abandon dans le camp franco-breton du comte d’Auxerre et de du Guesclin. Ce dernier va se rendre et fait prisonnier, il sera libéré plus tard contre une forte rançon (100 000 livres) payée par le roi de France Charles V. Jean Froissart écrira : « une véritable débâclé, la fuite ; quand une déconfiture vient, les déconfits se déconfisent et s’ébahissent de trop peu, les autres perdirent tout leur équipement et se mirent en fuite, chacun au mieux qu’il put pour se sauver ».

On parle beaucoup de morts du côté de Charles de Blois : 5 à 6000 hommes. Un chroniqueur rapporte : « la place fut tantôt jonchée de morts sans demeure, le sang coulait à grand ruisseau, les bannières sont abattues, les cervelles étendues, les dagues, les épées, les haches et les gens étendus comme des vaches… ! »

Victoire sanglante, très dure ; Jean de Montfort va devenir duc de Bretagne ; le roi de France Charles V n’a pas le choix et est obligé de reconnaître ce duché et ce duc ; ainsi sera signé le 12 avril 1365, le traité de Guérande reconnaissant les droits de Jean de Montfort au titre ducal. Jean IV est duc et laisse le comté de Penthièvre à sa cousine Jeanne de Penthièvre.

Charles de Blois était affilié à la couronne de France et la victoire de Jean de Montfort est une sorte de victoire anglaise mais le roi d’Angleterre Édouard III (1327-1377) n’en profitera pas pour autant d’annexer la Bretagne : le duché reste indépendant sous forte influence anglaise. Mais Jean de Montfort prend un certain temps avant de prendre possession de son duché ; les troupes de Charles de Blois prennent tout le temps qu’il faut pour se retirer des différentes places qu’elles occupent.

Ainsi le 29 septembre 1364 met fin à la guerre de Succession de Bretagne en éliminant l’un des deux prétendants au trône ducal et en évitant la division en deux du territoire. À 24 ans, Jean de Montfort devient duc sous le nom de Jean IV. Il doit affirmer la légitimité du pouvoir souverain du vainqueur et celle de la nouvelle dynastie ducale. Il peut alors entreprendre une politique audacieuse qui transforme le duché en un État princier indépendant du royaume de France. En cela, la bataille d’Auray peut bien apparaître comme « l’un des plus grands événements de l’histoire de Bretagne », et peut-être même « le seul événement décisif de l’histoire du duché à la fin du Moyen Âge » : une lutte mémorable qui devait décider du sort de la Bretagne. Cette bataille d’Auray marque la fin de la féodalité en Bretagne. Cette féodalité qui n’était pas du tout insupportable pour les serfs, ni pour les paysans. C’était au contraire une organisation extrêmement douce, avec bien entendu un duc à la tête de la hiérarchie et des pauvres en queue. Entre la tête et la queue, il y avait de la place pour tout un échelonnement de strates, de hiérarchie… ce qui faisait que tout le monde avait intérêt à ce que l’autre soit riche pour qu’au plus haut, le duc soit le plus riche de tous ! Il y avait une sorte de grande cohésion en dehors de l’aspect matériel. La féodalité, à ce moment-là, ne mettait pas l’indépendance de la Bretagne au premier plan. Elle mettait au premier plan la bonne marche du duché et des fiefs, les affaires du duché. Un suzerain peut devenir lui-même un vassal d’un suzerain plus élevé : c’est principe même de la féodalité. Dans certains tableaux, les peintres ont symbolisé cette féodalité en la représentant sous la forme d’un bouquet de roses imbriquées les unes dans les autres, de la plus grandes à la plus menue.

Le lendemain de la bataille, 30 septembre 1364, la Bretagne se réveille Nation. C’est d’une certaine manière l’acte qui a figé les frontières de la mosaïque de fiefs qui la composaient ; fondateur de la Bretagne moderne. Mais c’est également la première fois que cette idée de l’indépendance s’est cristallisée. L’indépendance jusque-là s’était traduite par des disettes, des massacres, des carnages, dans l’âme du breton, dans son for intérieur, il n’y avait pas une soif d’indépendance comme cela peut se manifester aujourd’hui. Les Bretons étaient finalement engagés sous la bannière de leur duc respectif, un peu comme des mercenaires, ils n’y allaient pas au nom de l’indépendance, ils y allaient parce qu’ils étaient payés et qu’il fallait le faire ! D’où parfois, ce passage d’un camp à l’autre, au hasard des affrontements et des alliances. La Bretagne découvre là une nouvelle forme d’indépendance ; elle sera unie et non pas rattachée comme on le dit souvent, bien plus tard au royaume de France (1532). Il fallut le double mariage d’Anne de Bretagne et l’affaire de Claude de France, sa fille, épouse de François 1er, roi de France. Certains au niveau du pouvoir central prétendent, aujourd’hui, que ce sentiment d’indépendance est un fantasme !!! Il s’agit au contraire de renforcer la Nation en renforçant les régions. Ce que les gouvernements successifs semblent n’avoir pas compris au moment de leur histoire quand les choses ne vont pas si bien que cela.

Jean de Montfort est un personnage étique, falot, assez craintif qui n’était pas prédestiné à un tel affrontement.

Charles de Blois est exactement comme Jean de Montfort, un bigot moraliste, ennuyeux. On va tenter une canonisation qui n’aboutit pas ; il sera seulement béatifié en 1904. Charles de Blois portait des cailloux dans ses chaussures, il avait autour de la taille un cilice (vêtement fait d’une toile rugueuse en poils de chèvre) bourré de vermine car cela contribuait à sa mortification (pratique d’ascèse religieuse qui consiste à s’imposer une souffrance, en général physique, pour progresser dans le domaine spirituel) ! Et pourtant, il va se révéler de quelqu’un d’incroyablement courageux à la bataille.

Cette bataille est également dénommée la bataille des « deux Jeanne » : Jeanne de Penthièvre (femme de Charles de Blois) et Jeanne de Flandre dite Jeanne la Flamme (femme de Jean de Montfort, la mère de Jean IV). Déjà à cette époque lorsqu’il y avait des hommes extraordinaires, derrière ces hommes, il y avait des femmes bien plus extraordinaires ! Alors que ces deux hommes qui voulaient être duc ont tenté de faire la paix en se partageant le royaume (le 12 juillet 1363 sur la lande d’Evran, il fut décidé que Charles de Blois conserve la ville de Rennes, Jean de Montfort, lui, aurait la ville de Nantes). Mais cela n’a pas été possible car les deux Jeanne voulaient leur héritage à part entière. Et ce sont elles qui ont relancé les hommes à faire la guerre. La bretonne à cette époque-là était l’égal du breton. Lorsque Jean de Montfort est en Angleterre, c’est sa mère qui part à la bataille. Jean de Montfort installe une nouvelle dynastie qui allait gouverner le duché pendant plus d’un siècle jusqu’à Anne de Bretagne. Ces batailles qui amènent un changement de dynastie sont exceptionnelles dans l’histoire du Moyen Âge. De plus, Jean IV ne doit pas son trône au roi de France, mais à une victoire par les armes sur le champ de bataille. Il profite de cette situation pour entreprendre une politique d’indépendance qui transforme le duché en État princier.

Croix Charles de Blois en Brec’h

Le champ de bataille lui-même : sur le plateau de la Chartreuse d’Auray (ou saint Michel du Champ) où l’on peut voir une croix dite de Charles de Blois se situe sur la commune de Brec’h. L’édifice de granit et la stèle furent érigés par un ancien maire de Brec’h en 1842, en souvenir de la mort de Charles, mort au combat. Sur l’emplacement d’une fosse commune ? « On dit aussi qu’on retrouva son corps ici. Rien ne le prouve. Reste que tout cela a participé au culte autour de Charles de Blois, élevé au rang de bienheureux au début du XXe siècle ».

Jean de Montfort, en hommage à son valeureux ennemi, s’empresse d’élever en 1365 une chapelle qui sera l’embryon de la Chartreuse. C’est là que repose l’autel de la chapelle Saint-Michel au cœur du champ de bataille. Les religieuses de la Chartreuse venaient y prier autrefois. Mais, en réalité, l’épicentre de cette fameuse bataille se situe sur le site de leur congrégation. Cette chapelle, disparue et rebâtie, inaugurait la dynastie des Montfort. Ce lieu fut aussi l’acte fondateur de l’ordre des chevaliers de l’Hermine dès 1368 pour commémorer l’âme des victimes de la bataille ayant opposée la chevalerie bretonne aux armées de Montfort. L’institution de l’ordre veut aussi réaffirmer la domination ducale sur l’ensemble de la noblesse bretonne.

 

La Chartreuse

 

La chapelle des Martyrs

 

 

 

 

 

 

 

 

Son inhumation

Sa dépouille mortelle fut ramenée au monastère des Cordeliers à Guingamp. Il fut inhumé sous l’autel dans le chœur. Peu de temps après de nombreuses manifestations surnaturelles ont lieu sur sa tombe, à tel point que la chapelle en fut tapissée d’ex-voto ! Des files interminables venaient s’agenouiller et prier sur sa sépulture ; des pèlerins venaient du Blésois, d’Anjou, du Maine, de l’Orléanais…  Charles de Blois, vénéré de son vivant, fait l’objet d’un véritable culte depuis sa mort. Son gendre Louis d’Anjou marié à Marie de Blois et les franciscains de Guingamp s’emploient à obtenir sa canonisation. Dès 1371, le pape Urbain V ordonne une enquête en vue de sa canonisation. Plus de 198 témoins viennent raconter le duc, l’austérité de la mortification, la profondeur de sa charité. La canonisation proclamée en 1376 est ignorée jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Le 27 mai 1591, guerre de la Ligue, l’invasion de Guingamp par les Royaux. Le prince de Dombes (Henri de Bourbon) vient faire de siège de Guingamp pour le roi de France Henri IV. Le 3 juin, il s’en rend maître. Lors de ce siège, la veille de l’Ascension, les couvents des Cordeliers et des Jacobins sont incendiés et détruits.

Le seul vestige du couvent des Cordeliers (1283-1591) de Guingamp fut découvert en 1989, lors du terrassement de la nouvelle sous-préfecture, encore visible à l’entrée, une pierre tombale qui porte le blason du vicomte de Chastelier de Pommerit. Il s’agit de « noble chevalier Jean vicomte de Pommerit, qui mourut (en 1431) en l’habit de St François et fut enterré au dit couvent après y avoir fait de grands biens. »

Le cimetière de ce couvent était dénommé : « La Terre Sainte » ou le « Saint-Denis des Penthièvre » accueillit du XIVe au XVIe siècles les sépultures de la famille de Penthièvre Seigneur de Guingamp.

Les Cordeliers renoncèrent à reconstruire leur maison et se réimplantèrent à Grâces, ce nouveau couvent subsista jusqu’à la Révolution. Quant aux Jacobins, ils choisirent pour se réinstaller un terrain compris entre la rue St-Martin et le quartier de St-Julien. L’ancienne église paroissiale St-Martin devint la chapelle de leur nouveau domaine – Sainte Anne – qui se maintint jusqu’à la Révolution.

Selon certains historiens, la pierre tombale de la sépulture de Charles de Blois aurait servi à la construction du balcon de l’ancien presbytère de Plouisy (rue des Salles), dont dépendait Grâces avant 1792 ?

Le balcon de la rue des salles à Guingamp

En prenant possession de Grâces, les Cordeliers apportèrent avec eux quelques reliques du Bienheureux Charles de Blois, qu’ils avaient pu sauver à Guingamp dans l’incendie de 1591. Au XVIIe siècle elles furent placées dans un beau reliquaire, aujourd’hui disparu, sur lequel on pouvait lire l’inscription suivante, en style pompeux : « Ci-dessus reposent les reliques de Très-Haut, Très-Puissant et Très-Excellent prince Charles de Chastillon (dit de Blois) duc de Bretagne, tué à la bataille d’Auray, le 29 septembre 1364, après une guerre de 23 ans, et s’être trouvé à dix-huit batailles contre les comtes de Montfort, oncle et cousin germain de Jeanne de Bretagne, son épouse. Les reliques qui reposent dans cette église ont été mises dans cette châsse par les soins de Très-Haut et Très-Illustre Seigneur Monseigneur Alexis-Magdelaine-Rosalie, duc de Chastillon, pair de France, cy-devant gouverneur de M. le Dauphin, premier gentilhomme de la Chambre, grand maître de sa garde-robe, lieutenant général des armées du roy, chevalier des ordres, grand bailly de la Préfecture Provinciale d’Hagueneau, lieutenant général Sa Majesté de la Haute et Basse Bretagne, lequel, par respect pour les reliques d’un si digne ancêtre, lui a fait élever ce monument le premier août M.D.CC.LII. ». Ce reliquaire fut détruit sans doute dans un incendie accidentel de la sacristie en 1829. Ce qu’il en reste se trouve encore aujourd’hui dans un reliquaire de bois sculpté, offert par Mgr David, inauguré le 6 juillet 1874 (Maurice Mesnard-1981). La chasse est posée sur un meuble à la porte aux armes de Monseigneur Augustin David ; elle fut réalisée sur le modèle de celle de 1753 par un ébéniste sculpteur briochin, Paul Marie Guibé (1841-1922).

En 1894, l’abbé Le Saux, curé de Guingamp, participe activement à un complément d’enquête pour son procès en béatification. Le 14 décembre 1904, Charles de Blois est édifié au nombre des Bienheureux par Pie X. Mais il faudra attendre le 7 juillet 1910 pour célébrer l’événement où Guingamp voit accourir 14 évêques, 700 prêtres, 50000 pèlerins (Ouest Éclair du 31 août 1910).

Église de Grâces : châsse-reliquaire de Charles de Blois

 

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le culte des saints bretons se développe dans un contexte de reconquête catholique et de fortes tensions avec la République. Charles de Blois est alors vu comme un martyr qui s’est sacrifié pour la Bretagne. De plus, en raison de l’anglophobie ambiante, on préfère Charles de Blois, soutenu par la France, à Jean de Montfort, aidé par les Anglais.

Le stade Charles de Blois

En 1891, le Pape Léon XIII promulgue son encyclique « Rerum Novarum » qui incite à la création des patronages paroissiaux catholiques. En 1898, est fondée la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF). À côté de la gymnastique qui a motivé sa création, la FGSPF choisit le football comme sport de référence. Ainsi le stade Charles de Blois a vu le jour. Après 1905, le climat autour de l’Église étant assez tendu par la mise place de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, interfère dans la vie du football entre les clubs catholique et club laïque !

 

Plaque du stade Charles de Blois

 

 

 

 

 

 

 

 

L’église à Auray

Une église est construite sous la dédicace de Charles de Blois, en 1930 par l’architecte Guy Aubert de Cléry, à Auray non loin du champ des Martyrs.

 

Jean-Paul ROLLAND, mai 2020

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

  • Jean-Christophe Cassard, La Guerre de succession de Bretagne : dix-huit études, Spézet, Coop Breizh, 2006
  • Laurence Moal, Auray, 1364 : un combat pour la Bretagne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012
  • Cinq siècles de présence franciscaine à Guingamp. Simonne Toulet

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