L’hôpital sous la révolution

L’hôpital sous la révolution

Les communautés religieuses de Guingamp tombèrent sous le coup de la «nationalisation des biens d’église».

Les Dames de la Charité de Montbareil, les Carmélites, les Ursulines, ainsi que les Soeurs Grises ont dû quitter [1] leurs monastères qui ont été transformés : celui des Carmélites en prison pour les suspects (aristocrates et prêtres réfractaires), celui des Ursulines en caserne et atelier de salpêtre, celui de Montbareil en maison de déten­tion.

Le couvent des Jacobins est aussi une caserne. Seules les «Hospitalières», nécessaires au fonctionnement de l’hôpital sont maintenues provisoirement et une pension doit leur être versée pour leur entretien; elle le sera mais avec beaucoup de retard.

En 1794, quand l’obligation du serment à la constitution civile du clergé fut imposée aux membres des congrégations, 24 religieuses s’y refusèrent. Elles furent internées pendant un an. Libérées en février 1795, elles restèrent huit années «errantes et désemparées», accueillies par des parents ou des amis.

L’hôpital (le ci-devant «hôtel-Dieu») continue à fonctionner avec un personnel civil : administrateur, personnel soignant et personnel de service (dont des filles de cuisines placées sous l’autorité d’une «agente»).

Cependant les services sont surchargés : c’est d’abord un hôpital militaire avec soldats en garnison, soldats et matelots en route, ou en provenance de Brest, ouvriers réquisitionnés pour différents travaux qu’il faut héberger et soigner.

Quant aux convois de forçats qui font étape à Guingamp, ils sont logés à la chapel­le St-Nicolas ou dans l’église désaffectée de St-Sauveur.

– L’hôpital civil continue à être ouvert pour les malades, les vieillards et les infirmes, mais le nombre des places est limité; leur admission est autorisée ou non par le Conseil Général de la commune et seulement à la condition que ces personnes «puissent travailler».

– L’hôpital général abrite les enfants abandonnés et les orphelins mais, bientôt, on y installe aussi la gendarmerie !

Les femmes près d’accoucher sont recueillies, dans son appartement, par un des responsables, le sieur Boivin, dont l’épouse est «sage-femme». Des cours de formation pour cette fonction sont organisés à l’hôpital de St-Brieuc.

Il y a donc pénurie de place, insuffisance de personnel, en quantité et en expérience. Très vite on manque aussi de «drogues», c’est à dire de médicaments (malgré la réquisition de ceux qui étaient détenus par les Soeurs Grises et les autres congrégations).

Comment nourrir les malades, vieillards, enfants, infirmes ?

Sans doute, il y a la réquisition mais son rendement est faible. Au début de prairial de l’an III, sur 230 quintaux requis dans les communes du district, il n’en rentre que 55. Il faut rationner les pensionnaires comme le reste de la population (une demi-livre de pain par jour) et, bien souvent, on n’a, en stock, que pour quelques jours de vivres seulement malgré les appels à «la fraternité et amitié» des communes et des boulangers de Pontrieux qui, paraît-il, sont mieux pourvus. La nourriture des prêtres réfractaires hospitalisés est réclamée à leur commune d’origine. Les malades bénéficient par­fois, quand cela est possible, d’un régime de faveur : chaque quinzaine, un quintal de farine sera réservé pour faire du «pain léger». [2]

En messidor de l’an III, la municipalité demande à la ci-devant supérieure des Hospitalières si elle accepterait que quelques religieuses reviennent à l’hôpital. Sa réponse est très ferme : oui, à condition que ce soit toutes les religieuses et dans les mêmes conditions qu’avant leur départ… C’est une fin de non-recevoir.

D’ailleurs les locaux du monastère ne sont plus disponibles : la plupart servent de logements. La chapelle a servi d’entrepôt à lin puis, en l’an III, de «temple» avant d’être cédée à l’administration militaire pour en faire des écuries complémentaires de la caserne des ex-Ursulines.

La situation ne peut que s’aggraver. Désormais, on examine la situation sociale des malades et on peut réclamer à leur famille le montant des frais d’hospitalisation. On essaie d’occuper, à quelque activité, les vieillards convalescents et, sitôt guéris, les malades doivent quitter l’hôpital.

Une épidémie de teigne, chez les enfants hospitalisés, oblige à faire appel au savoir-faire des Soeurs Grises : une maison est mise à leur disposition, dans le jardin des Hospitalières, pour qu’elles puissent dispenser les soins nécessaires aux petits malades.

En l’an III, l’hôpital manque de tout, même de vêtements pour enfants, il y en a 23 d’hébergés et 15 sont en nourrice aux frais de l’hôpital. Un soin particulier est apporté aux «enfants adoptifs de la patrie» dont le père est décédé aux armées. Les enfants sont admis pour rachitisme, maladie ou décès de leurs parents. Les motifs de l’admission pour les vieillards sont le grand âge, l’indigence, la démence sénile, la vue très faible, les douleurs rhumatismales… avec une attention particulière pour les parents des défenseurs de la patrie.

D’une manière générale, quant aux maladies justifiant une entrée à l’hôpital, citons : dysenterie, maladie nerveuse, scrofule,[3] fièvre tierce, fièvre putride, ictère, menace d’hydropisie, folie caractérisée, tumeurs ou hémorragie, voire état de grossesse avancée…

Au début de l’an IV, l’hospice civil abrite 66 personnes. Le boulanger et le boucher n’ont pas été payés depuis 3 mois. Il faut se résoudre à «licencier» ceux qui peuvent encore travailler et «tous les malheureux que la loi de l’humanité avait fait admettre».

En pluviôse, 25 personnes sont ainsi «évacuées». Par la suite, lors d’une nouvelle admission, on n’accorde que «le lit», la famille devant prendre la nourriture à sa charge. Désormais il y a donc des lits vacants à l’hospice des malades. On pourrait y installer les enfants. La gestion serait facilitée : les locaux de l’hôpital général ainsi libérés et aussi les jardins pourraient être loués à bon prix. Il serait même souhaitable de libérer complètement l’hôpital général en installant ailleurs la gendarmerie.

Quant au personnel médical, on peut avoir, au moins, quelque doute sur sa compétence quand on lit qu’un nouvel officier de santé, s’étant installé à Guingamp sans avoir fourni les pièces nécessaires, reçoit cependant l’autorisation de continuer à exercer «ses talents» puisque trois indigents sont venus témoigner qu’ils vont mieux depuis qu’il les soigne.

Recensement de nivôse, an IV.

En nivôse de l’an IV, à l’hospice des «infirmes et malades»; Jean Baptiste Hubert, économe, une infirmière et deux jardiniers [4] s’occupent de 56 pensionnaires (21 hommes et 35 femmes) dont 37 ont plus de 60 ans (10 octogénaires). A l’hospice «des orphelins» sont hébergés 12 garçons et 13 filles tous âgés de moins de 13 ans (14 ont moins de 6 ans).

Les comptes des hôpitaux en l’an V.

En réunissant les ressources des deux établissements, on pourrait embaucher 3 personnes dévouées, nourries, logées, avec un traitement modéré. L’administrateur touche 300 F. par an, sa femme, qui est «dépensière» : 150 F.[5] Ils sont logés et bénéficient des produits du jardin.

Autres charges :

  • 1 infirmière,                          60 F
  • 1 cuisinière,                          30 F
  • 2 filles de salle,                    30 F, chacune
  • 2 Jardiniers,                         90 et 45 F

Bien sûr, il faudrait être très vigilant car le coût de la vie augmente : il a fallu porter le mois de nourrice à 7 francs. On cherche des ressources complémentaires : le bureau des poids et mesures est mis en adjudication au profit de l’hospice. Par ailleurs, «rien ne s’oppose à ce que les citoyens aisés fassent une quête volontaire».

Il n’est pas question de payer les réparations nécessaires à l’ex-chapelle devenue écurie des chevaux du 12° régiment de hussards. L’armée ne paye pas de loyer pour ce local… qu’elle en assume les frais !

La réunion des deux hôpitaux est effective en l’an V.

La remise en route.

En l’an IX de la République, il y a, à l’hôpital civil, 77 pensionnaires (16 hommes, 25 femmes et 36 enfants).

  • – Dès 1802, le 14 août, M. Bernard Mauviel, sous-préfet, effectue une première démarche pour obtenir le rappel des religieuses.
  • – En 1803, même demande formulée par le maire Pierre Guyomar.
  • – Le 23 septembre 1803, 10 religieuses (trois d’entre elles seront «salariées» de le municipalité) reprennent possession d’une partie des locaux de leur monastère sauf ce qui est à la disposition de l’armée et de certains bâtiments en fort mauvais état : poutres, cloisons, fenêtres ont un besoin urgent de réparations.
  • – On y fera, en l’an XII, 304 F. de frais.
  • – En 1812, un décret impérial restitue aux Dames hospitalières l’église, le choeur et le réfectoire qu’elles prennent «dans leur état actuel, sans exercer aucun recours». La ville devra, en contrepartie, construire des écuries pour 150 chevaux près de la caserne St-Joseph.

Les jardins, l’enclos et toutes les dépendances restent encore propriété de la ville. Il faut attendre le 9 mars 1842 pour que les religieuses en obtiennent la jouissance, à charge, pour elles, d’entretenir le tout. En 1843, elles eurent l’autorisation de construire, dans l’enclos, une maison pour l’aumônier et, plus tard, d’autres édifices (par exemple, la maison des enfants dite «petit hospice». Dès 1822, elles ont ouvert un pensionnat pour les jeunes filles.

Les revenus, en 1808, se montent à un peu plus de 8.000 Francs, soit :

  • Fermages                               2750,60
  • rentes en argent                       711,66 + 433,00
  • rentes en nature                       878,50

auxquels s’ajoute, versée par la ville, une somme de 3.000 F. prélevée sur le rendement des octrois.

Le total de ces recettes est tout juste suffisant pour les dépenses courantes, y compris les frais d’économat et de personnel. De plus, il faut compter avec les réparations urgentes chiffrées à 3.000 F.

A cette date, 16 hommes, 29 femmes et 36 enfants sont hospitalisés.


Quelles nouvelles ressources peut-on encore trouver ?

Toujours les mêmes : loger les gendarmes ailleurs qu’à l’ex-hôpital général et louer le bâtiment, verser à l’hospice le montant des «amandes», élever à 4.000 F. la participation des sommes de l’octroi, tirer un peu de profit du produit du travail des indigents.

En 1810, il faut songer à refaire toutes les toitures des édifices composant l’hospice.

L’adjudication en 2 lots de valeur égale se fait «au moins-disant»; elle est enlevée, pour un lot, par Guy Bouli et, pour l’autre, par Pierre Henry qui ont baissé leur devis de 50 % : 100 F. au lieu de 200. Ils fourniront les clous, les lattes, les ardoises manquantes, le sable, les chevrons et coyaux [6] à remplacer.

Au fil des années, le problème ne fait que s’aggraver et il faut songer, non à réparer, mais à construire un nouvel hospice.

[1] Elles ont eu l’autorisation de prendre «bardes et nippes» et, chacune, un peu de mobilier.

[2] ) Le pain courant, dit «de l’égalité», comprenait peu de blé mélangé surtout à du seigle et de l’avoine.

[3] Scrofule ou écrouelles : désignaient toutes sortes de lésions persistantes de la peau, des ganglions, des os, etc.

[4] Le vaste enclos comprenait un jardin potager dont les produits étaient destinés à l’hôpital.

[5] «dépensière» : c’est ainsi que l’on désignait la fonction d’économe.

[6] Coyau : Pièce de bois placée horizontale­ment sous l’arête des combles.

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