Le tir au papegault et le Champ-au-Roy

Le tir au papegault et le Champ-au-Roy

Par M. Jean-Pierre COLIVET

Lorsque vous désirez stationner en voiture à proximité de la ville vous recherchez une place sur le Champ-au-Roy. Ce nom surprenant est presqu’aussi ancien que la ville. C’est là que se tenaient un marché et une attraction très ancienne – le tir au papegault – dans cette zone nord de la cité. Nous nous attacherons ici à montrer les différents visages de ce quartier au fil du temps, puis de raconter ce qu’était le tir au papegault. Enfin, une ouverture sera faite sur la persistance de ce jeu à notre époque en prenant pour exemple le tir à l’oiseau à Couches (71490).

Le Champ-au-Roy

Ce lieu est attesté depuis le Moyen-âge et recouvre deux parties bien distinctes.

Intra-muros

La partie « noble » du lieu se situe intra-muros c’est-à-dire entre la muraille et la rue Notre-Dame. C’est une ceinture de courtils (jardins) permettant de protéger la ville. En effet, il est trop risqué d’y construire car les projectiles des assaillants risqueraient de détruire ces maisons. Au XVIIIe siècle cette règle sera appliquée avec rigueur. En effet, ce fut l’objet d’une âpre lutte entre l’évêque de Tréguier et les bourgeois de la ville lorsqu’il fallut construire les trois monastères (Trinité, Augustines et Montbareil) au XVIIe siècle. Ces derniers refusèrent toute implantation contre les murailles. C’est ainsi que s’est constituée la ceinture monastique de Guingamp.

Sur cette place se tint le marché au lait. Cette indication est portée sur différents plans.

Extra-muros

Plan de situation du Champ-au-Roy

L’autre partie de ce lieu qui correspond au long parking actuel, est située extra-muros, comme on peut le constater sur le plan Morfoisse de 1778. Cette vaste zone est aussi appelée « canton ou quanton ». En poliorcétique (art d’assiéger, en offensive ou en défensive) elle se définit comme une zone non aedificandi en avant des murailles. Ce mot a donné « cantonner » c’est-à-dire camper, bivouaquer. Ici elle est pratiquement toute occupée par la douve ce qui n’est pas le cas tout au long des murailles. Étymologiquement le canton est un angle renforcé par un ouvrage souvent de petite taille. Il porte également le nom de boulevard. Sur le plan on peut voir le repère F.

Cette zone n’était pas des plus salubre : au XVIe siècle, la peste produit une peur panique dès qu’elle s’abat sur la ville. En 1567, l’élite urbaine qui réside majoritairement dans la ville close, tente de préserver cet espace. La communauté des bourgeois fait expulser hors des murailles les personnes atteintes du mal contagieux. Elles sont chassées de l’espace habité et vont mourir sur les terrains vagues, notamment dans les douves des remparts du Champ Mauroy.

L’enceinte et les terrains qui l’environnent ont toujours été considérés comme des espaces dont pouvaient se servir les habitants, mais sans en modifier les lieux (chemins de ronde…) Au pied des remparts étaient en temps ordinaire des voies publiques. Les douves ont bien souvent servi de décharge et de fosses d’aisance…

Abandon et démolition des murailles

Les murailles du Champ-au-Roy n’ont pas toujours été entretenues correctement. On peut citer de nombreux cas de démolition avec vente des pierres puis de reconstructions. N’oublions pas que Guingamp a subi 15 sièges… En 1741, divers écroulements sont d’une ampleur tout-à fait exceptionnelle. De fait, la ville abandonne son statut de ville close. Seules les murailles au sud (côté Trotrieux) seront entretenues car elles sont utilisées comme mur de soutènement ! En juin 1773, on note que la ville a payé « des charroys et manœuvres employés à démolir au Champ au roy » sans en demander le consentement du duché ! Les pierres sont soumises à un vol généralisé des particuliers…

L’enceinte deviendra bien national en 1790 et doit être promise à la destruction. Toutefois, la menace chouanne va figer tout projet de démantèlement. Un colmatage des vastes brèches sera entrepris (1793-1799). Une fois la menace passée (1800) la destruction pourra commencer. En effet, la raison et l’esthétisme voulu par le XVIIIe siècle vont triompher : on veut une belle ville (alignement des rues, érection de beaux édifices urbains…) et un cadre fonctionnel (circulation facile par de larges et grandes voies rectilignes). On va ainsi liquider le passé médiéval des cités, « dégothétiser » la ville.

Le démantèlement total commencera en 1815 par les portes de Rennes et de Brest pour s’achever en 1827. La circulation peut enfin être facilitée pour la traversée de la ville par la route royale. Le reste des remparts (hors soutènement) disparaitra avant 1850. Les pierres feront l’objet de convoitise quant à leur réemploi. La spéculation ou le pillage allaient bon train !

Ainsi, Benjamin Jollivet (Né le 18 juillet 1804 et décédé le 04 juin 1867 à Guingamp) pourra dire :

[…]tout cela a disparu sans pour ainsi dire laisser de traces … Débarrassée maintenant de toute étreinte, la ville déploie ses ailes, franchit les limites étroites que lui avait imposée sa lourde ceinture de granit, et respire à l’aise… pour tout dire, en un mot, le vieux Guingamp n’existe plus ! ».

La ville ne méritait plus les vers satiriques de Charles Guillaume HELLO (né le 6 août 1787 à Guingamp et décédé le 12 mai 1850 à Paris) :

 Adieu petit séjour, où tout devient petit,
 Et dont les murs étroits rétrécissent l’esprit…

Le tir au papegault

Face aux calamités liées aux nombreuses troupes et compagnies qui sillonnèrent et vécurent sur le pays durant la guerre de cent ans (XIVe et XVe siècles), il devint nécessaire que les habitants des villes prennent en main leur sécurité, tant pour leur vie que pour leurs biens. Les villageois, ne pouvant pas compter sur le pouvoir ducal ou royal pour assurer leur défense, durent s’organiser pour résister à ces bandes armées ou à des soldats pillards. L’apprentissage du maniement des armes devenait nécessaire. L’institution du Papegault en découle certainement.

Dans toutes les Provinces, les villes appelèrent alors leurs habitants à se réunir, à s’exercer au tir et à former des compagnies bien organisées dans le but de se protéger contre les maraudeurs, d’aider les soldats à garder les murailles contre les attaques des ennemis extérieurs, et au besoin même de défendre leurs libertés et leurs franchises s’il prenait envie au suzerain de vouloir y porter atteinte.

Le jeu du papegai ou du papegault consistait, pour ceux qui y étaient autorisés, à tirer à l’arc ou à l’arbalète, sur un oiseau le plus souvent en bois, placé à une certaine hauteur et distance des concurrents.

François II, duc de Bretagne (1435-1458-1488) s’appuya sur les milices bourgeoises dans sa lutte contre la France du côté de laquelle s’étaient rangés les hauts barons. Il fut l’instigateur du jeu de papegault en Bretagne et donna le 30 septembre 1483 un mandement touchant « les privilèges des roys des archiers et arbalestriers » de Guingamp ».

Le concours avait toujours lieu au « Champ Mauroy », (qui deviendra le « Champ-au-Roy » appelé ainsi en l’honneur du vainqueur ou « Roi du Papégault »).

Le tir commençait au mois de mai. Il s’agissait d’abattre un papegault (perroquet) en bois situé tout en haut d’une haute perche à l’aide de l’arc puis de l’arquebuse.

Dans leurs ouvrages respectifs, Sigismond Ropartz (Etudes pour servir à l’Histoire du Tiers-Etat en Bretagne, 1859) et l’abbé Dobet (Histoire de Guingamp, 1963) nous décrivent l’organisation de ce jeu fort couru par les notables et toute la population. En voici une synthèse.

Ce jeu du papegault se tenait sur la place du Champ-Maurroy qui s’étendait à proximité des murailles, au nord de la ville close. Elle est clairement visible sur le plan de 1778 (plan Morfoisse) et s’étend à l’intérieur des murailles. A l’extérieur la douve remplie d’eau est large.

La police du jeu appartenait au maire assisté de quatre prévôts choisis par lui. Prenaient part à la fête spectateurs ou acteurs, ceux qui étaient inscrits au « rôle » : le roi, le connétable, le vieux roi, le procureur des bourgeois, le gouverneur de la ville, messieurs de la justice seigneuriale et de la juridiction des bourgeois. Puis, tous les anciens maires. Parmi les chevaliers, on voit des nobles, des bourgeois, des ouvriers et même, malgré les ordonnances de 1543, des ecclésiastiques et entre eux, proh ! pudor ! [Oh ! Honte !] l’official.

Le vainqueur de la compétition, celui qui abat le « joyau » et « rend la gaule nette », salué du titre honorifique de « Roi », jouit toujours de grands privilèges et de petites charges.

Parmi les grands privilèges, citons :

  • 25 tonneaux de vin qu’il peut débiter en franchise ou les « 50 pipes » mentionnées en 1671. Une pipe de vin représente environ 450 litres de Bordeaux, du Moyen Âge à la Révolution. Elles sont franches de tous les droits de billot et d’octroi [droits d’« Aides » au profit du roi sont perçus dont le « billot ». Pour les différentes catégories de vins ils est de 11 sous la barrique. En sont exemptés certains seigneurs et les établissements religieux] ;
  • Le privilège d’être reconduit à son « Louvre » qui était souvent une échoppe de savetier (analogie avec le palais du Louvre à Paris) en tête d’un cortège tumultueux composé de tous les chevaliers, le maire, le gouverneur, le sénéchal, au son de la musique. Chaque archer ou soldat qui en fait partie, doit être deubment… équipé et pourvu d’une… demye-livre de poudre ;
  • Participer aux processions de la Fête-Dieu à la tête des archers et arquebusiers ;
  • Présider le tir du papegault l’année suivante.

Mais il y a aussi quelques charges…

  • Faire célébrer chaque année une « Messe à notes » (messe chantée et accompagnée) ;
  • Munir le camp de 12 pots de vin (un pot de vin = 2,2648 l. Cette contenance est très précise puisque la commission de Nivôse an VII évalua directement le demi-pot à 1,1357 litre), de 12 pains, pour les officiers et archers avant de commander à la conduite du « nouveau » à son Louvre.
  • Il devait encore « bailler » au vieux Roy, au connétable, au Maire, au miseur de l’année, aux quatre prévôts, aux enseignes, aux sergents de bande, au greffier (les Officiers du Jeu), deux aulnes de ruban bleu et blanc couleur de la ville, plus, mais une fois seulement, une écharpe d’une aulne et demi, de taffetas bleu ou blanc…

Si l’institution du papegault fut l’objet d’une grande importance, celle-ci subit bien des vicissitudes dès la Renaissance jusqu’à sa suppression définitive en 1770 dans toutes les provinces de France.

Suite au rattachement de la Bretagne à la France, ce tir a failli être interdit en 1532. Il fallut alors définir le nouveau statut de la place de Guingamp. Pour ce faire, les bourgeois de la ville ont alors dû requérir le droit de tirer à l’arquebuse sur le papegault.

Ce tir, ludique, permettait aux milices bourgeoises de s’exercer à la pratique des armes : « ils avoient prins l’habitude et accoustumance de tirer et ils faisoient souvent exercice pour subvenir à la tuition (garde, défense) de la ville ». Ils durent insister sur le fait que « Guingamp est bonne ville du royaume », nécessaire à la défense de la côte : « lesdits bourgeois ont faict dire et remonstré que ladite ville est de deux à troys lieux frontière de mer, bien close et peupplée de grand nombre de gens de tous estatz ». Le roi permit alors que « les bourgeois, manans et habitans de la ville et faubourg de Guingamp s’exercent à ce jeu une fois l’an. »

En 1554, face à la menace venant de la mer (anglais, hollandais et espagnols), le droit de tirer le papegault est octroyé à la ville.

Mais les privilèges du « Roi » nuisaient au fermier des octrois, du moins celui-ci s’estimait-il lésé. Aussi en appela-t-il, au Conseil Royal en 1737. Des lettres royales confirmèrent les privilèges de la Communauté.

A cette date on était tout près de la suppression du Papegault qu’édicta l’arrêt du Conseil du 7 mai 1770 ; les droits concédés au vainqueur du tournoi furent transférés aux hôpitaux et servirent à l’entretien des enfants trouvés.

D’ailleurs, ce dernier point n’était pas pour les Guingampais une nouveauté : le 25 avril 1680, la Communauté avait entériné déjà semblable proposition, sur la recommandation du gouverneur de Bretagne, le Duc de Chaulnes (Charles d’Albert d’Ailly, duc de Chaulnes, 1625 – † 1698).

De nos jours

L’oiseau (papegault)

Au cours du XXe siècle, des associations de tireurs ont remis au goût du jour la pratique de ce jeu,  notamment en Auvergne, en Bretagne, en Picardie, en Flandre, en Bourgogne…

Ainsi, par exemple à Couches (71 490), en Bourgogne du sud, la Société de l’arquebuse (association) a remis à l’honneur il y a une centaine d’années le tir à l’oiseau (papegault). Elle se réfère à l’année 1427.

Tous les ans, les chevaliers de l’arquebuse défilent en ville, oiseau en tête, avant de rejoindre le  lieu du tir.

Médailles et « breloques » de la famille (grand-père, père et votre serviteur)

Chaque membre tire à tour de rôle sur l’oiseau. S’il n’est pas abattu, on rapproche la table de tir et l’on recommence. Ainsi de suite jusqu’à ce que l’oiseau soit entièrement abattu. Certains tireurs vont simplement toucher la cible et faire tomber, qui une aile, qui la tête… Ils seront récompensés par la remise d’une médaille appelée « breloque ». Ils pourront ainsi fièrement l’arborer (ou les arborer) lors des défilés les années suivantes et montrer ainsi leur adresse ou leur chance !

Le roi de l’oiseau sera celui qui fera tomber le dernier morceau. Il recevra entre autres une médaille… Il n’y a qu’un gagnant par an et seulement une petite poignée de tireurs toucheront l’« ouîlleau ».

En Flandre, ce sport est encore très présent. On peut en voir deux exemples en suivant les liens suivants (merci à M. Hubert D.  pour sa contribution) :
– Lien 1 : clic ici
– Lien 2 : clic ici

Voir l’article paru dans le Journal de Guingamp fin 1948 : clic ici

En conclusion

Le Champ-Mauroy devenu Champ-au-Roy est indissociable de la vie guingampaise. Sa protection par les murailles fut souvent interrompue et les pierres du rempart servirent de carrière à ciel ouvert malgré les rappels à l’ordre du duché. Il fut aussi un lieu de réjouissance guingampais du Moyen Âge à la Révolution française. Aujourd’hui le marché animé du samedi matin a pris la relève dans sa partie basse. Ainsi ce lieu continue à vivre…

    Jean-Pierre COLIVET, juillet 2018

J.-P. Colivet (2004)
Le pas de tir (tente blanche) et l’oiseau sur son mât devant les arbres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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