Au Gagne Petit – Dolmen

Au Gagne Petit – Dolmen

Par M. Jean-Paul ROLLAND

Rue Maréchal Joffre, l'ancienne Caisse d'épargne
Rue Maréchal Joffre, l’ancienne Caisse d’épargne (cliquez sur les images pour les ouvrir en plus grand)

Dans les années 1880, les frères Émile et Louis Julienne arrivent à Guingamp, appelés par un de leurs oncles qui avait épousé une demoiselle Lejemble dont la famille avait une maison de commerce place de la République. Ce vieil oncle habitait à Pabu au manoir de Munehore.

Henri Julienne
Henri Julienne

La maison Julienne Frères, place de la République, a d’abord donné naissance en 1922 à la fabrique Dolmen rue du Maréchal Joffre (aujourd’hui entre l’office notarial et l’ancienne Caisse d’Épargne, actuellement poterie). Les affaires prennent de l’extension et en 1933 c’est l’ouverture du « Gagne Petit » le jour de la foire des Rameaux (le samedi huit jours avant Pâques).

Émile Julienne aura deux fils : Guy sera responsable du Dolmen à partir de 1932 et Henri se verra confier le Gagne Petit.

Ce magasin de nouveautés ouvre ses portes le 10 avril 1933 à l’initiative d’Henri Julienne. Le nom de ce commerce attribué par M. Julienne était un clin d’œil à celui de l’avenue de l’Opéra à Paris inauguré en 1844 et qui vendait des toiles. Le mot « gagne petit » était le surnom que l’on donnait au rémouleur et qui révélait assez la modestie de ses prétentions. Cette appellation était de mode à cette époque-là dans toute la France.

Aux 11 et 13 rue Notre Dame, face à la basilique, le « Gagne Petit » proposera la vente de tissus au mètre. En 1934, Henri Julienne y ajoutera un rayon de confection pour homme puis en 1935, un rayon pour femme, ce que l’on appelle maintenant le prêt à porter.

La façade du Gagne Petit
La façade du Gagne Petit 
Dessin de l'arrière-cour par l'architecte Le Fort
Dessin de l’arrière-cour par l’architecte Le Fort

La façade du nouveau magasin avait remplacé un grand porche qui menait à une cour intérieure dite du « Vieux Rocher ». De chaque côté de ce porche il y avait deux commerces, dont une armurerie. Au fond de la cour, une ancienne maison était appelée la « maison du tonnelier ». La disposition de ce magasin perdura jusqu’en 1970, année d’une grande transformation, avec notamment la construction de nouveaux bureaux et d’un rayon sport.

Le magasin, seul, emploie 13 personnes ; le prêt à porter à lui seul fera travailler une dizaine de personnes (hommes et femmes). Pendant la guerre, cette situation se maintiendra.

M. Henri Julienne décédera en 1947 ; son épouse prendra la relève jusqu’en 1952, date à laquelle les fils Paul-Henri et Patrice viendront épauler leur mère et assureront ainsi la continuité.

Rue Notre-Dame à Guingamp
Rue Notre-Dame à Guingamp

Dans les années 1960, le Gagne Petit s’adaptera à la mode et au goût de sa clientèle. Ainsi les rayons de prêt à porter prennent de plus en plus de place au détriment de ceux dédiés au tissu au mètre. En effet, beaucoup de femmes au foyer avaient suivi les cours ménagers et savaient se confectionner leurs propres vêtements vus dans des revues spécialisées (Petit Écho de la mode imprimé à Châtelaudren). Mais elles se sont mises à travailler à l’extérieur et ont petit à petit délaissé ce passe-temps.

En 1970, verra la création du rayon sport (sportwear) et deux autres nouveaux magasins : la Chemiserie du Cosquer et Morgane Tricot Rodier, place du Centre. Le nombre de personnel est de 20 dans les années 1970.

La manufacture Dolmen

Guy Julienne décède en 1971 et son neveu Paul Henri reprend la manufacture Dolmen puisqu’il en est également actionnaire et ce jusqu’en 1989.

À partir de 1975, Bruno Mabin, gendre de Guy Julienne vient prendre part à la direction de l’entreprise. En 1976, la manufacture se lance dans le prêt à porter masculin avec une collection de sportwear et crée la marque « West Men ».

Au magasin
Au magasin

En 1983, Paul Henri Julienne est toujours à la tête du « Gagne Petit » et également directeur de la manufacture « Dolmen » qui emploie quelques 61 personnes, pour la plupart des femmes. C’est déjà, dans le cadre de l’économie et le secteur habillement, une entreprise importante. Importance également en matière d’investissement car la notion de compétitivité de l’entreprise est devenue plus jamais d’actualité. C’est pourquoi la manufacture se dote d’un équipement de pointe dans le domaine de la coupe du tissu. L’investissement dans un chariot dérouleur est effectué au prix d’une dépense globale de 30 millions de centimes (300 000 F. lourds ou 45000 €). Là où le personnel mettait quatre heures pour réaliser un matelas d’environ 250 couches de tissus, le chariot dérouleur l’accomplissait maintenant en deux fois moins de temps. L’automatisation du matériel a, par ailleurs, amélioré les conditions de travail. La responsabilité de cette partie de la manufacture revenait à M. Mabin, directeur adjoint.

En 1987, les locaux de fabrication situés dans le centre-ville de Guingamp migrèrent vers des espaces plus spacieux dans la Zone Industrielle de Pabu. Malheureusement, en 1988, Bruno Mabin décèdera accidentellement, sa femme Béatrice reprendra les rênes de la société accompagnée de sa sœur Sylvie (Madame Le Merrer).

En 2011, cette société sera vendue par la famille Julienne à Jean-François Cuny.

La commercialisation de la production se faisait en partie au niveau régional, à toute la Bretagne avec des incursions en Normandie, Maine et Vendée. Ses produits sont à destination des commerçants, des professionnels, des artisans, des pêcheurs et des particuliers.

Créée par son grand-père, Émile Julienne, Paul-Henri Julienne a dirigé l’entreprise en solo de 1971 à 1975. Tout avait commencé après la première Guerre mondiale. Lorsque les trois fils de son grand-père revinrent de la guerre, il a fallu leur trouver du travail. C’est alors qu’Émile Julienne eut l’idée de créer en 1922 un atelier de chemiserie et il confia la réalisation à son fils aîné Henri. L’affaire lancée, Guy Julienne, cadet des fils d’Émile, prit la direction de l’entreprise devenue la SARL Dolmen, en 1932.
Il n’a ensuite jamais cessé de la développer, portant l’effectif des ouvrières mécaniciennes, comme on les appelait à l’époque, entre 50 et 60 personnes. Alors implantée dans la rue Maréchal-Joffre, la société Dolmen concevait essentiellement des vêtements de travail.

« Dans toute la Bretagne »

L’entreprise réalise alors des vêtements réputés dans toute la Bretagne étant d’excellente qualité et de fabrication extrêmement soigneuse. Paul Henri Julienne travaillait au magasin Au Gagne Petit, lorsque Guy Julienne fut emporté par un infarctus, en 1971. Son oncle laisse alors derrière lui son affaire sans direction. C’est alors que sa famille le sollicite pour la reprendre un temps. Si Paul Henri a la fibre patronale, il avoue de son propre-chef, qu’il ne connaissait, à l’époque, pas grand-chose à la fabrication de vêtements. « Nous avons connu des années difficiles. Je me suis reposé sur les cadres de l’entreprise qui étaient d’une grande valeur. Cela a permis d’éviter la fermeture », indique l’ex-dirigeant qui livre rapidement les clés de Dolmen au mari de l’aînée de ses cousines, Bruno Mabin. « Il avait exprimé son intérêt pour cette affaire et quand il en a pris la direction, il s’est montré extrêmement compétent pour la maintenir et la développer », insiste Paul-Henri Julienne, regrettant encore le décès accidentel de son cousin par alliance. On est en 1988 et Dolmen s’apprête alors à fêter sa première année dans ses nouveaux locaux de Pabu. L’épouse de Bruno Mabin, Béatrice, se retrouve à la tête de la société, épaulée par sa sœur, Sylvie.

« Être sur la brèche »

« Elles sont parvenues à la maintenir d’une façon habile avant de trouver un racheteur (Jean-François Cuny, actuel patron de Dolmen), en 2013 », retrace Paul-Henri Julienne, amer et affligé à l’idée que la société, entrée dans l’histoire familiale, ferme définitivement ses portes, après l’audience programmée ce jour au tribunal de commerce de Saint-Brieuc. « Je suis désolé de constater qu’en deux ans de temps, cette affaire a périclité alors qu’elle durait depuis plus de 90 ans. Cela me chagrine énormément. Les affaires ne sont pas faciles, celle-là avait pourtant une assise qui aurait dû lui permettre de se maintenir. Il faut tout le temps être sur la brèche à calculer et chercher des marchés. Il faut avoir une ténacité, une volonté de tous les instants pour que ça marche, mais moi je dis que ça peut marcher », estime le petit-fils qui assure qu’il aurait bien repris l’affaire en mains, s’il avait eu vingt ans de moins. « Cela m’a traversé l’esprit, de faire revenir l’entreprise dans la famille… Mais les enfants se sont dirigés vers d’autres secteurs ou ne sont pas encore en âge… », confie le Guingampais, ému à l’évocation de l’histoire de la société, symbole d’une épopée familiale.

Qui est Paul Henri ?

Paul Henri est un guingampais de pure souche pour être né à Guingamp le samedi 6 juillet 1929 au 7 de la rue du général de Gaulle, à 23 heures au moment où la procession du pardon de Notre Dame de Bon Secours passait à deux pas au carrefour dit à l’époque le carrefour des écrasés.

Il apprend à lire et écrire à l’école Saint-Léonard, et continue ses études au pensionnat Saint-François-Xavier à Vannes : bacs math élem et philo, puis un an au lycée Chateaubriand à Rennes pour y préparer l’entrée à HEC (Hautes études commerciales).

Malheureusement, en 1947 la mort prématurée de son père l’amène à faire des études plus rapides et il intègre alors l’ESSCA (École supérieure des sciences commerciales d’Angers) d’Angers où il passe y une licence en droit.

Il deviendra, en 1951, le jeune directeur d’une affaire commerciale familiale jusqu’ici dirigée par sa propre mère.

Il s’intéressera rapidement à la vie de la cité deviendra secrétaire du syndicat d’initiative en 1955, sera élu conseiller municipal en 1959 sous la mandature d’Henri Kerfant puis adjoint en charge des finances dans la municipalité d’Édouard Ollivro de 1961 à 1971.

Remise de décoration par M. Savidan
Remise de décoration par M. Savidan

Il sera le président de l’Union syndicale des commerçants guingampais (USCG) ; de l’APEL de 1971 à 1988 (Association des parents d’élèves de l’enseignement libre) de 1971 à 1978 ; de l’AGAM (Association Guingampaise des Amis de la musique, de la musique municipale) dans les années 1960 et 1970 ; de l’OGEC de Guingamp-Plouha (Organisme de gestion de l’enseignement catholique), de 1989 à 2016. À ce titre il recevra des mains de Jean-Yves Savidan, directeur diocésain des écoles catholiques, la médaille d’officier dans l’Ordre des Palmes académiques et la médaille de la reconnaissance de l’enseignement catholique, en juin 2005. Il aura été également président des Foires et salons du Pays de Guingamp de 1993 à 2003 ainsi que président du Chœur Renaissance de 1989 à 2017 et vice-président du conseil d’administration de la Caisse primaire d’assurance maladie des Côtes d’Armor de 1996 à 2001.

En résumé, il aura donc dirigé l’entreprise Dolmen de 1971, date du décès de son oncle Guy Julienne, jusqu’à 1989. En un mot, une carrière commerçante et industrielle très active.

Pourquoi une telle longévité ?

 L’enseigne Au Gagne Petit a habillé des générations de Guingampais et elle a vu passer les modes, les révolutions textiles de l’après-guerre et même du millénaire. Mais les meilleures choses ont une fin. Le 31 décembre 2001, le magasin baissera définitivement le rideau pour laisser place à l’opticien Krys-Le Galliot. Patrice et Paul Henri Julienne, en fermant le Gagne Petit, ont enlevé à la ville de Guingamp une enseigne emblématique et perdait ainsi un magasin à forte identité !

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Paul Henri et son frère Patrice auront toujours eu en ligne de mire le besoin de satisfaire leur clientèle et surtout de se caler sur le créneau de la clientèle classique, adulte, à la fantaisie modérée et exigeant une haute qualité. Ils n’ont jamais cherché à faire de la basse qualité !

Paul Henri Julienne, après des études studieuses afin de rentrer dans la vie active du bon pied, n’a eu cesse de développer ses activités pour assurer du travail à ces concitoyens. De plus, il a jugé bon de s’occuper de la  res publica (chose publique) afin d’améliorer l’environnement de sa ville et de ses habitants. Il s’est également préoccupé de l’enseignement des enfants de ceux-ci et de leur entourage culturel. C’est vraiment un humaniste !

Jean-Paul ROLLAND, Février 2020

Le personnel du Gagne Petit dans les années 1950

Le personnel du Gagne Petit en 1950
Le personnel du Gagne Petit en 1950

Sur la photo on peut reconnaître :

      • Marguerite Daouze, caissière puis affectée au rayon lingerie
      • Madame le Jeanne, secrétaire
      • Simone Doriath
      • Marthe Morfoise
      • Marie Thérèse Riou-Coz
      • Patrice Julienne
      • Paul Henri Julienne.

 

Généalogie de la famille JULIENNE

Généalogie de la famille Julienne
Généalogie de la famille Julienne

Remerciements

  • À Jean Louis PINSON d’avoir partagé ses documents qu’il conserve précieusement bien rangés dans sa bibliothèque.
  • À Jacques DUCHEMIN pour ses cartes postales
  • À Gaël ROBLIN pour le prêt de son film « Gwengamp-Gwechal».
Au magasin
Au magasin, rayon hommes
Au magasin
Au magasin, rayon femmes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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