Troubles dans les rues de Guingamp (1728)

Troubles dans les rues de Guingamp (1728)

En 1728 : Que de désordres et de tapage nocturne dans les rues de Guingamp !

Le 4 mai, le procureur général du roy de la sénéchaussée 1 de Guingamp dénonçait devant les magistrats assemblés dans l’auditoire de la ville, l’impunité dont bénéficiaient « les coureurs de nuit qui s’attroupaient presque tous les soirs sous les bulles», sises sur la Place Neuve (l’actuelle Place du Centre ou de la Plomée).

Non contents de troubler le sommeil de  concitoyens, qu’«ils épouvantoient par leurs cris et leurs hurlements », ils insultaient tous les passants et commettaient de nom­breux méfaits dans les rues du centre-ville comme dans les faubourgs.

Par crainte des représailles, nul n’osait porter plainte, et les sergents du guet 2 chargés de faire régner l’ordre public refusaient même de patrouiller pendant la nuit pour les appréhender.

En août 1727, puis en février 1728, ces malfaiteurs avaient notamment, à deux reprises, « volé la porte neuve garnie de ses ferrures, clef et serrure », que le responsable du matériel de lutte contre les incendies avait fait poser près du faubourg de Montbareil sur l’un des réservoirs d’eau destinée à alimenter l’unique pompe de Guingamp.

Malgré les risques d’incendie

Or, à cette époque, les incendies provoqués par la foudre, les accidents domestiques ou la malveillance étaient monnaie courante et provoquaient souvent l’embrasement de tout un quartier, voire de presque toute une ville, tels «le grand feu» de Londres en 1666 et celui de Rennes en 1720.

Malgré ces risques, ces malandrins avaient récidivé en mai 1728, en réduisant en miettes la porte qui condamnait l’accès au chemin situé « soulz le Champ au Roy », où se trouvaient « les canaux de plomb conduisant à ladite pompe».

Quelques semaines plus tôt, ils avaient aussi « démonté une partie des boutiques » en bois installées sous les halles, tant « dans l’allée des marchands drapiers » que « dans celles des boulangers, des tanneurs et des sauniers », dont ils avaient volé les planches.

À plusieurs reprises, ils avaient également dans les rues avoisinant la Place Neuve, «tenté de percer et d’enfoncer» les volets qui y étaient entreposés.    

Chaque année, à la belle saison, » ces larrons escaladaient en outre les murs des jardins cultivés dans les faubourgs, dont « ils pilloient les fleurs, les fruits et les légumes», et saccageaient les arbres fruitiers.

Pour narguer les juges

Enfin, pour narguer les juges, une de ces bandes avait, dans la nuit du 24 au 25 avril 1728, «enlevé l’eschelle de la potence» dressée sur le Martray, avant de la fixer « sur l’escalier de l’auditoire3» qui était aménagé au-dessus des halles.

Ulcérés d’avoir dû gravir ses échelons comme les criminels qu’ils condamnaient à la pendaison, les magistrats guingampais avaient alors chargé le procureur fiscal de la sénéchaussée 4 Joseph Bobony, sieur de Kergré, de faire publier dans toutes les églises de la ville des « monitoires » (lettres signées par l’évêque de Tréguier), qui enjoignaient aux témoins d’un délit de dénoncer ses auteurs, sous peine d’excommunication.

Le 19 juillet 1728, cinq témoins se présentèrent donc à la barre du tribunal, présidé par le sénéchal Pierre Le Gac de Lansalut.

Un vacarme assourdissant

Parmi eux figurait Henry Follet, l’un des échevins des marchands 5 de Guingamp, qui tenait boutique rue Saint-Yves.

Il s’y trouvait avec plusieurs personnes le 8 mai précédent entre 9 heures et demie et 10 heures du soir, lorsqu’il entendit « un grand bruit de cloches, poëlles, chaudrons et autres instruments » qui semblait provenir des halles. Le tumulte s’intensifiant, il sortit sur le pas de sa porte.

Là, il vit que la foule responsable de ce tintamarre s’était arrêtée au milieu de la rue, sous les fenêtres de Charles Valentin, un maître d’école âgé de 36 ans, qui avait épousé le jour même Elenne Le Breton, une veuve qui avait presque le double de son âge.

A la tête des manifestants se tenait le paveur Robert Blanchard qui après les avoir harangués, leur demanda de crier avec lui : » charivary », ce qu’ils s’empressèrent de faire à plusieurs reprises.

Cette ancienne coutume avait été condamnée, entre autres, par l’édit de Blois signé par Henri III en 1579.

Mais au XVIIIe siècle, la plupart des juges manifestaient encore de l’indulgence envers les auteurs d’un tel charivari.

Robert Blanchard, qui avait été convoqué au tribunal vers la fin du mois d’août, fut donc vraisemblablement condamné à une peine légère par Pierre Le Gac de Lansalut (sénéchal et gouverneur de Guingamp mort à Morlaix en 1763).

Ce qui n’empêcha pas les autres fauteurs de troubles, qui n’avaient pas été identifiés de continuer à perturber les nuits guingampaises.

 

  1. Officier royal qui avait le titre de conseiller du roi et qui remplissait les fonctions du ministère public dans une juridiction royale, soit baillage ou sénéchaussée, prévôté, viguerie ou autre. (Source : dictionnaire de l’ancien régime du royaume de France). En fait la fonction de procureur du roi correspond à peu près à celle du procureur de la république d’aujourd’hui. C’est le chef du parquet
    Une grande différence tout de même : sous l’ancien régime les procureurs achetaient leur charge.
  2. Surveillant de nuit dans une ville ou une place-forte par une troupe de soldats.
  3. Lieu où l’on plaide dans les tribunaux.
  4. Officier d’un seigneur, haut justicier chargé de l’intérêt public et de celui du seigneur Le procureur fiscal était l’officier chargé d’exercer le ministère public auprès du tribunal seigneurial. Il veillait aux droits du seigneur et aux objets d’intérêt commun. Ce magistrat tenait la place occupée par les procureurs du roi dans les justices royales
  5. Magistrat élu par les bourgeois ou l’ensemble des habitants, pour s’occuper des affaires communales.
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