L’hôpital du XX° siècle

L’hôpital du XX° siècle

A l’aube du XX° siècle, il était donc à nouveau urgent de reposer les mêmes questions. Un nouvel hôpital, oui… mais où ? Avec quels financements ? Quand ? Et quel gen­re d’hôpital ?

Il se trouve que, par un hasard inattendu, le problème du financement semblait être le moins difficile à résoudre.

La construction (1901-1911) du futur «nouvel hôpital».

localisationLa nécessité d’un nouvel établissement se faisant, nous l’avons vu, de plus en plus pressante, on en discute donc sérieusement dès l’année 1901.

Le lieu.

Les lois sur l’hygiène publique stipulaient que les hôpitaux devaient être construits à l’écart des villes. D’emblée on accepte donc le site de Mezanfoire en Pabu et puis on achète des parcelles proches afin d’étendre la surface de ce terrain qui est, depuis des siècles, propriété de l’hospice.

Il est vaste, bien exposé, bien situé.

Le projet.

Il comprend un ensemble de constructions car il n’est pas question de construire «seulement un hospice»; les besoins ont évolué, se sont diversifiés; aussi on prévoit :

  • – un bâtiment d’administration,
  • – un bâtiment pour les malades civils,
  • – un bâtiment pour les malades militaires,
  • – un bâtiment pour les vieillards,
  • – un bâtiment d’isolement,
  • – des édifices pour les services auxiliaires.

Le tout relié par des couloirs couverts.

L’avant-projet adopté fut celui de M. Lefort. Soumis à l’examen des services ministériels compétents, il fut remanié.

Entre autres modifications, l’asile des vieillards devait avoir plus d’importance et s’appeler «asile Bobé de Moyneuse».

En décembre 1902 on ajoute la construction d’une petite maternité, puis vinrent les exigences du ministère de la guerre pour donner plus d’importance aux locaux destinés aux militaires [1].

  1. Lefort se rendit plusieurs fois à Paris tant pour les aménagements du plan que pour obtenir l’autorisation de commencer les travaux. Il y est encore en janvier 1904. Les plans furent enfin approuvés en avril suivant.

Le financement.

Le montant des travaux était évalué à un peu plus de 600.000 francs.

Qui allait payer ?

  • – L’hospice, sur ses fonds de réserve : 100.000 F.
  • – La ville de Guingamp : 50.000 F.
  • – Et le fonds Bobé de Moyneuse, qui approchait de 500.000 F. On espérait en réserver 300.000 afin de construire, plus tard, un asile pour les incurables.
  • – Pour le reste on comptait bien sur la participation de l’État (ministère de la guerre ?)
  • – On espérait aussi une subvention prélevée sur les fonds du Pari Mutuel mais le montant restait à définir (150.000 F?)

Inutile de dire que le financement fit l’objet, de part et d’autre, de tractations serrées et que le début des travaux s’en trouva retardé mais, en 1903, un cri d’alarme fut lan­cé par l’hospice encore en service.

Un inventaire, dressé par les docteurs Corson et Martin, étale les insuffisances de l’établissement qui exigeraient une refonte complète de tous les services et d’impor­tantes réparations en application de la nouvelle loi de février 1902 sur l’hygiène publique.

En l’absence de la certitude de subventions de l’État, notamment du pari mutuel [2], chaque participant y alla d’un sacrifice supplémentaire : l’hospice engagea 200.000 francs et on préleva 250.000 francs du fonds Bobé de Moyneuse.

La construction.

L’hôpital 1909 – La façade Sud

hopital cmLes appels d’offres furent lancés au printemps de 1904 et les adjudications faites le 15 octobre (sauf pour le ciment armé à propos duquel un marché de gré à gré fut signé afin d’être certain de la qualité). Il y avait quatre lots qui furent enlevés, selon le principe du moins disant, respectivement par MM. Cheftel, Jacquot (2 lots) et Le Gall : ils avaient consenti, sur leurs devis, des rabais allant de 10,01 à 27 %…

On démolit une partie des bâtiments de l’exploitation agricole de Mezanfoire et les travaux commencèrent mais prirent très vite du retard : un entrepreneur fit faillite, les problèmes d’alimentation en eau, d’évacuation des eaux usées, d’étude de l’éclairage électrique et du chauffage à vapeur rendirent la réalisation très complexe et nécessitèrent le lancement de nouveaux marchés. En 1908, Offret, entrepreneur à Guingamp, se voit attribuer la construction des galeries couvertes et l’achèvement de certains travaux.

Tant bien que mal, cependant, les choses avancent, on prévoit l’inauguration en 1909. Elle eut lieu effectivement, en octobre, sous la présidence du ministre de l’agriculture de l’époque (M. Ruau).

Mais tout n’était pas terminé : ce n’est qu’en 1911 que se fit la mise en service effective du nouvel hôpital mixte.

Le personnel.

En 1907, dans la période de tension qui avait suivi le vote et l’application de la loi dite de «Séparation de l’Église et de l’État», on avait évoqué la possibilité d’une laïcisation de l’hôpital-hospice. [3] Mais rien ne semblait urgent : la construction avait pris du retard… D’ailleurs une partie des Religieuses Augustines a déjà, depuis 1901 et en 1906, quitté la communauté à cause de l’interdiction d’enseigner faite aux congré­gations et de la fermeture du pensionnat Jeanne d’Arc.

La commission administrative de l’hôpital ne veut employer que 12 religieuses sur les 24 restées à Guingamp. A partir de 1911, elles feront donc la navette, selon les be­soins du service, entre leur communauté à Guingamp et l’hôpital.

Mais un accord intervient pour la construction d’une nouvelle communauté dans l’en­ceinte même de l’hôpital. Toutes les religieuses s’y installèrent en avril 1914.

En 1927, elles feront construire, à leurs frais, une chapelle inaugurée en 1929.

Du coup se posait une autre question : Que faire de l’ancien hôpital (celui de 1834) et du monastère (de 1699-1709) ?

Dès 1912 la ville de Guingamp achète l’hôpital pour y transférer l’école primaire su­périeure des garçons très mal logée dans ses vieux bâtiments. La ville acquiert aussi l’enclos et le monastère.

Pour les jardins on pencha d’abord pour un lotissement mais la nouvelle municipalité, élue en 1912, fit adopter le projet d’un jardin public.

Quant aux bâtiments du monastère proprement dit, ils devaient abriter les services de la mairie et une vaste salle de réunions tandis qu’en bordure de la rue de la prison seraient installés le magasin des pompes à incendie et le commissariat de police.

Plan de 1912-1913

plan 1912Là dessus survinrent deux événements qui allaient compromettre ou retarder ces pro­jets.

Le premier fut, en décembre 1912, un projet des Beaux Arts pour classer la chapelle, le cloître et les bâtiments en aile.

plan 1913Malgré l’avis défavorable du conseil municipal, le classement est effectué d’office en février 1913 : tout un plan de transformation doit être soumis à l’approbation des services ministériels compétents. Un premier projet est cependant réalisé par M. Dieulesaint pour l’installation de l’école primaire supérieure des garçons dans l’ancien hospice qui n’est pas touché par cette mesure de classement. L’autre événement c’est la guerre de 1914 qui renvoie «sine die» l’exécution de ces travaux. L’hospice redevient actif pendant une partie des hostilités puis est occupé par des familles nécessiteuses. Le projet d’installation de la mairie est abandonné. L’ensemble sera, après transforma-tions[4] (destruction des bâtiments de 1834, constructions autour de la cour, aménagement d’une salle des fêtes) entièrement affecté à l’école supérieure de garçons, plus tard collège puis lycée.
C’est seulement en 1970 que l’ancien monastère devient l’Hôtel de Ville de Guingamp.

Hôpital en Pabu ou en Guingamp

C’est au début de l’année 1906 que la municipalité de Guingamp s’interroge. Le nouvel hôpital est construit sur la commune de Pabu. Les frais de construction suppor­tés par Guingamp sont élevés, de plus désormais les marchandises destinées à l’hôpital ne paieront plus d’oc­trois à Guingamp, pas plus que le nouveau quartier qui va nécessairement se créer. Se posera aussi le problè­me de l’inhumation des personnes décédées dans cet hôpital. Le cimetière de Pabu »en est bien plus éloigné que celui de Guingamp. Il serait tellement plus simple d’annexer à la ville non seulement le terrain sur lequel est construit l’hôpital mais aussi les terrains qui le sé­parent de la limite des deux communes afin que ne soit pas délimitée une sorte d’enclave reliée seulement à Guingamp par la route de Pontrieux (la nouvelle).

En mai 1906, le projet était élaboré : il consistait à an­nexer au moins tout le terrain compris entre l’ancienne (rue Montbareil) et la nouvelle route de Pontrieux. La commission des travaux était allée plus loin encore. Il suffit, disait-elle, de considérer trois bornes d’octroi :

  • – borne [1] : au croisement de la rue Montbareil et de la rue de Castel Pic;
  • – borne [2] : sur le ruisseau qui passe sous la route de Pontrieux;
  • – borne [3] : à l’entrée du chemin montant vers Kerbost.

– La n° [1] serait mise au Croissant, au point de rencontre des deux routes.

– La n° [2] irait aux arcades de l’aqueduc.

On formait ainsi l’aire à annexer : un vaste triangle dont les limites étaient :

  • – la base allait de Porzanquen à l’aqueduc,
  • – le côté gauche de l’aqueduc au Croissant,
  • – le côté droit du Croissant à Porzanquen. C’est à dire, à gauche de la route de Pon­trieux : Parc Marvail, l’Alouette, l’hôpital et le grand champ dit «de la paille», et, à droite de cette route : la petite montagne et ce qui, depuis, est devenu le quartier de Kergoz.

En compensation, Pabu recevait un vaste quadrilatère dont les diagonales allaient du Murio à Traou Lapic et de St-Léonard à St-lltud.

Le 1° juin 1907 arrive la réponse de la commune de Pabu : c’est non.

Les négociations se poursuivent mais, en 1910, Pabu rejette une nouvelle fois le projet, considérant qu’en acceptant l’échange proposé Pabu serait privé de toute la partie riche de la commune et ne recevrait qu’une surface sans doute plus grande mais formée de «terrains vagues et de landes incultes» dont les habitants, pour accéder au bourg (baptêmes, enterrements…), devraient traverser le territoire de Guingamp. Cela permit à Guingamp de faire remarquer que si ces terrains étaient vraiment, comme le prétendait Pabu, «inhabités et inhabitables» il n’y avait guère à se soucier de ses ha­bitants.

Enfin on proposait de joindre, au terrain cédé, une indemnité… Et on en resta là. Pabu accepterait seulement que Guingamp annexe «le terrain sur lequel est construit l’hôpital et deux champs attenants».

Lors de l’inauguration de l’hôpital, en 1909, c’est donc la municipalité de Pabu qui accueillit les personnalités sur le perron de l’établissement

En septembre 1912 se pose le problème des inhumations des indigents décédés à l’hôpital. Pabu, dont le cimetière est exigu, ne veut inhumer aucun défunt de l’hôpital étranger à la commune. Malgré un arbitrage du sous-préfet, Pabu reste irréductible sur les deux problèmes. On en est là en 1913 et, depuis, il n’y a eu aucune modification (1996).

Les hôpitaux militaires 1914-1918

Dès la déclaration de guerre, en août 1914, il fallut prévoir l’arrivée éventuelle de blessés et de malades militaires. Le nombre de lits des établissements de soins déjà existants, et occupés presque en totalité par des civils – hôpital-hospice et clinique du docteur Rouault (communauté de Montbareil) – était, bien sûr insuffisant : environ 60.

Immédiatement les écoles primaires et les écoles supérieures furent réquisitionnées.

L’E.P.S. de garçons ne fut pas utilisée : les travaux de remise en état n’étaient pas commencés [5] mais on y réquisitionna du matériel : des lits (une bonne centaine, en plus ou moins bon état) et de la literie.

D’autres établissements furent effectivement transformés en hôpitaux temporaires :

  • – l’E.P.S. de filles sera jumelée avec l’hôpital auxiliaire n° 13 installé par le comité de la Croix Rouge à l’Institution Notre Dame,
  • – l’école du Château est devenue l’hôpital n° 19,
  • – l’école Charles de Blois sera n° 16,
  • – et l’école des filles des sœurs de la Croix à Monbareil aura le n° 21.

Tout le matériel nécessaire est réquisitionné dans les écoles qui avaient des pensionnaires et au bureau de bienfaisance, place du château : lits, sommiers, matelas, linges, tables de nuit ainsi que des ustensiles de cuisine et des outils.

militaire 14 18Les ordres de réquisition pleuvent aussi sur les commerçants de Guingamp : couvertures neuves, draps neufs, traversins, oreillers, vêtements (chaussettes, mouchoirs, chemises, pantalons, pantoufles, serviettes de table et de toilette), de la paille pour remplir les paillasses, de la nourriture; par exemple, le 8 août 1914 pour l’hôpital 21 :

On eut raison de se presser : le premier convoi de blessés arrivait à Guingamp le 26 août 1914. Le 11 septembre, 247 blessés se répartissaient entre les différents hôpitaux temporaires; ils venaient de régiments très variés et de toutes les provinces françaises. Au mois d’octobre, 60 blessés faisaient partie des troupes coloniales. [6]

Une fois installés, ces hôpitaux prirent leur vitesse de croisière, toujours grâce aux réquisitions de matériel, de véhicules de transport, d’une «voiture de 14 chevaux» pour le médecin-chef de ces hôpitaux… La compagnie «Singer» prêta des machines à coudre à l’hôpital n° 13 (la Croix Rouge). Il fallait constamment prévoir l’alimentation en eau potable (500 litres par jour à l’hôpital «Charles de Blois»), en essence, en voitures, pour le transport des blessés depuis la gare, en épicerie, vêtements et charbon… Sans cesse il faut remplacer des carreaux, ramoner des cheminées, réparer des gouttières, vérifier des tuyaux de poêles, changer des tuyaux de gaz, vider les ordures et vidanger les fosses, faire laver le linge…

Les bénévoles furent sollicités pour les soins aux blessés, faire de la charpie [7] ou améliorer «l’ordinaire» des blessés et des convalescents. A la caserne de la Tour d’Auvergne étaient centralisés les dons les plus variés : linge, cidre, vin, sardines à l’huile, beurre, paniers de fruits, pommes de terre, lait frais tous les jours (fourni par la famille Chareton), paquets de cigarettes, confitures, cache-nez, tricots, jeux de cartes et de dominos…

A la fin de 1915, l’école des filles du château, réservée aux convalescents, est évacuée et un état des lieux est dressé le 21 janvier 1916. La même chose se produit à la même date à l’E.P.S. de garçons. A la fin de la guerre, le médecin-chef de ces hôpitaux remercia chaleureusement la ville de Guingamp et tous ses habitants pour l’aide accordée aux blessés.

L’hôpital après 1920

Jusque en 1939 l’hôpital, construit de 1904 à 1911, semble suffire aux besoins. Le premier problème sérieux se pose à la fin du mois d’août 1939, à l’approche d’une nouvelle guerre : en cas d’arrivée rapide de nombreux blessés (comme en 1914) comment les accueillir ? Il se trouve que la propriété dite «du Juvenat»[8] appartient aux soeurs Augustines : si l’hospice l’achetait, on pourrait y transférer 100 lits qui seraient occupés par les vieillards, libérant autant de lits pour les mettre à disposition des blessés militaires.

Le projet de transformation dût être différé car, la prison ayant été réquisitionnée, il fallut loger au Juvenat les réfugiés espagnols. [9] On construisit, près de l’hôpital, des baraques pour d’éventuels réfugiés du Nord. Le Juvenat fut utilisé, après 1940, pour abriter des élèves dont les écoles étaient occupées par les Allemands.

Dès après la guerre se produisirent des transformations :

  • – En 1946, l’administration de l’hôpital n’appartient plus aux religieuses. Un directeur et un économe laïcs furent nommés (MM. Cloarec et Le Graët).
  • – Les services (bloc opératoire, maternité, service de convalescence…) seront modernisés, les uns après les autres.
  • – Un nouvel «hospice», prévu pour 300 vieillards, devait être construit : la «Maison de retraite Bobé de Moyneuse» [10]
  • – On doit régler des problèmes de «lavage», d’alimentation en eau…

En 1956, le nombre des hospitalisés dépasse 2.700 et la durée moyenne de séjour des malades est de 30 jours en médecine, de 100 jours en phtisiologie. Le budget (à peu près équilibré en recettes-dépenses) dépasse 258.000.000 de francs.

C’est donc un tout autre établissement qu’il faut sans cesse agrandir et moderniser, un tout autre personnel administratif et médical dont la spécialisation et la laïcisation se poursuivent progressivement.

Mais cela n’entre plus dans notre sujet…

[1] En 1906-1907 il fallut encore modifier ces bâtiments.

[2] Elle ne fut acquise qu’en 1907 pour 30.000 francs.

[3] Depuis 1905 la religieuse chargée de l’Eco­nomat est nommée par la commission ad­ministrative.

[4] Avec monsieur Le Fort comme architecte.

[5]  Le transfert, prévu dans l’ancien hospice, était reporté sine die.

[6] On peut encore voir au cimetière de la Tri­nité, dans le carré réservé aux morts de la guerre 14-18, des tombes de soldats mu­sulmans.

[7]  Le coton cardé (ou ouate) était utilisé pour faire les pansements depuis le milieu du XIX0 siècle; on le dit «hydrophile» depuis 1894. En cas de pénurie de ce produit on continue, comme auparavant, à utiliser, pour les pansements, de la charpie c’est à dire des «fils provenant de morceaux de vieilles toiles que l’on a défaits fil à fil».

[8]  Immeuble construit rue du Trotrieux, en contrebas de la place du petit Vally.

[9] La fin de la guerre d’Espagne se traduisit par l’arrivée, dans toute la France, de réfugiés espagnols.

Le groupe qui vint à Guingamp fut logé dans la prison désormais inoccupée. De là ils fu­rent donc transférés au Juvénat.

[10] Elle sera inaugurée en 1965 mais porte-t-el­le vraiment ce nom ?

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