Les statues des apôtres de la basilique

Les statues des apôtres de la basilique

Par M. Jean-Pierre Colivet

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En entrant à la basilique par le porche nord, celui qui donne sur la rue Notre-Dame, outre la Vierge noire, on remarque de grandes statues noirâtres alignées le long de deux des murs. Cet article se propose de découvrir leur histoire.

Les apôtres sont au nombre de douze, correspondant aux douze tribus d’Israël ; ce sont les disciples que Jésus a choisis pour être ses compagnons et prêcher l’Evangile (la bonne nouvelle) dans le monde. Après la mort du Christ, ils forment, sous la direction de Pierre, le collège apostolique auquel le Seigneur a confié le gouvernement de l’Eglise.

Les statues des apôtres se trouvent presque toujours dans le porche qui accueille les fidèles dans une église. Celui-ci est en principe situé au sud à l’exception de Guingamp, Bourbriac, Lohuec… où ils sont situés au nord. Pourquoi ? on n’a pas de réponse. Selon la SPREV[1], la présence des Apôtres dans les porches d’entrée est due au fait qu’ils sont les témoins de la vie du Christ, ayant reçu son enseignement direct, et qu’ensuite ils sont les « piliers » de l’Église dès sa naissance. Les fidèles sont accueillis dans le sanctuaire par ce collège prestigieux, souvent accompagné de la Vierge.

 

La tourmente révolutionnaire

Avant la Révolution, le portail Notre-Dame de Bon Secours possédait déjà une statue de la Vierge. Le labyrinthe au sol quant à lui est daté d’une époque indécise d’après Émile Le Jamtel. Des statues représentant les douze Apôtres étaient présentes avant cette période troublée. La furie révolutionnaire a tenté de tout faire disparaître comme l’a mentionné l’abbé Lagain, curé de Guingamp :

« […] au milieu des excès et des abominations qui eurent lieu en 1793, cette statue [celle de la Vierge] ne fut pas épargnée. On ordonna de l’abattre et de la mutiler ainsi que celles des Apôtres qui se trouvaient placées au portail… »

Face au délabrement, cette chapelle fit l’objet d’une souscription publique pour un premier travail de restauration. L’abbé Coadic, auteur de Notre-Dame de Bon secours de Guingamp (1933) nous le confirme :

« elle fut rapidement couverte, grâce aux générosités des fidèles de la ville et du canton de Guingamp (séance du 11 floréal en l’an XII – 1er mai 1804 – tenue par les membres de l’administration de l’église…)

 

La rénovation du XIXe siècle

De part et d’autre du portail de Notre-Dame on peut remarquer un ensemble d’arcatures trilobées qui courent le long des parois du sanctuaire. Les statues supportées et leurs socles sont l’œuvre du sculpteur briochin Pierre-Marie Ogé, né en 1817 à Plérin et décédé en 1867 à Saint-Brieuc. Ogé repose au cimetière Saint-Michel à Saint-Brieuc sous un buste réalisé par son fils Pierre, Marie, François Ogé (1849-1913). Elles sont très certainement en calcaire de Caen, pierre souvent travaillée par Ogé.

Mme Toulet, dans Trégor mémoire vivante paru en 1993 écrivait :

« les anges et les bas-reliefs étaient l’œuvre du sculpteur Ogé de Saint-Brieuc. On lui fit la commande aussi des douze statues des apôtres dans le style simple et sobre du XIIIe siècle, destinées à être placées dans les niches supérieures du porche. Elles seront livrées en 1855 (coût 3600 Fr). Le bord des manteaux était simplement bordé d’un filet doré. En 1860, avec l’autorisation du sculpteur elles furent peintes ainsi que les niches, par Danguy de St Brieuc, ainsi que la voûte. »

Au pied de ces sculptures, des motifs symboliques sont inscrits dans la pierre à l’intérieur de cercles.

 

Description générale des statues des apôtres

Les apôtres (chacun des douze disciples que Jésus-Christ choisit pour prêcher l’Évangile, c’est à dire, porter la Bonne nouvelle), évangélistes et saints chrétiens sont généralement identifiables grâce aux symboles qui accompagnent leurs portraits ou statues. La plupart du temps, ce sont les objets de leur martyre (comme André et la croix en X par exemple) mais pas nécessairement. Parfois c’est un passage célèbre de leur vie qui est mis en avant. Ils sont largement représentés dans les œuvres d’art, c’est pourquoi il est intéressant de savoir les reconnaître pour les comprendre. Par ailleurs, les apôtres sont souvent pieds nus car ils ont une mission divine. Leur attribut figure les instruments de leur martyr (l’épée de Paul avec laquelle il fut décapité ; couteau de Barthélémy par lequel il fut écorché ; la scie de Simon par laquelle il fut coupé en morceaux…)

Dans les représentations du porche, il manque un apôtre, Judas, celui qui a trahi. Par ailleurs on voit Paul de Tarse qui est considéré comme le « treizième apôtre » par la tradition chrétienne : il est qualifié d’« Apôtre des Gentils ».

Dans la monographie de Notre-Dame de Bon Secours, Émile Le Jamtel décrit finement ce décor :

« De chaque côté, sur un banc de pierre de 0 m. 40 de haut, sont assises sept niches en pierres vétustes d’un jaune assez franc et analogues à celles de la tour de l’horloge ses voisines. Ces sept niches sont composées de faisceaux de trois colonnettes avec embases de dessins différents, à larges chapiteaux et tailloirs circulaire, surmontés d’arcs trilobés allant jusqu’au mur. Au-dessus, et entre deux niches, le mur est décoré, de cercles à ornements différents. La décoration de pierres montre la belle époque du XIIIe siècle. Un large bandeau forme console. Y reposent six statues d’apôtres et non sept comme les niches du dessous, qui n’ont par suite pas de correspondance avec elles. Elles reposent sur des piédestaux de 0 m. 65, qui ont 0m. 50 de haut. Les statues sont de taille imposante et ont été assez bien composées par Ogé vers 1870 [sic. On a donné la date plus haut]. Elles sont nobles, bien drapées chacune tenant l’insigne qui lui est spécial (Chanoine Abgrall). Elles ont remplacé des statues en bois, qui se pourrissaient. La famille Isselin en conservait une. Chaque statue est encadrée de colonnes à embases et chapiteaux. Au-dessus de ceux-ci une moulure trilobée. Elles sont groupées par trois sous l’arc formeret de la voûte. » [Note : l’arc formeret est un arc situé à l’intersection entre le mur porteuret une voûte en berceau ou d’un quartier de voûte.]

Détail des statues

 

 

 

Saint Pierre

Mort vers 65.

Symbole : les clés du paradis.

Autre symbole : la croix à l’envers.

En principe, saint Pierre se trouve toujours à droite le plus près la porte d’entrée dans toutes les églises lorsque l’ordre n’a pas été perturbé par méconnaissance de ce principe de construction. Il possède souvent deux clés : celle du royaume des cieux et celle du royaume terrestre.

Sous Néron, il a été crucifié à sa demande la tête en bas, se jugeant indigne de mourir comme le Christ.

 

 

 

Saint Jean

Apôtre et évangéliste. Mort vers 100.

Symbole : calice ou serpent.

Autres symboles : l’aigle, le chaudron.

Saint Jean est presque tout le temps représenté imberbe car il était le plus jeune.

On l’identifie aussi souvent au « disciple bien-aimé » de Jésus qui est mentionné dans l’Évangile selon saint Jean.

 

 

 

 

 

Saint Thomas

Mort en 72.

Symbole : équerre d’architecte.

Autre symbole : la lance.

Thomas a été condamné à mort par Gondoforus, roi des Indes. Il fut tué d’un coup de lance.

 

 

 

 

 

 

Saint Philippe

Mort vers 62.

Symbole : croix en T.

Nota : la croix peut être à double ou triple traverse, renversée ou non.

Philippe a été crucifié comme Pierre, la tête en bas pour ne pas avoir sacrifié à une statue de Mars.

 

 

 

 

 

 

Saint Jacques le mineur

Mort en 62.

Symbole : le bâton de foulon.

Après avoir essuyé de la part des Juifs une pluie de pierres, Jacques fut achevé par un violent coup à la tête donné par une perche de foulon (gros bâton noueux, massue).

Le nom sur le socle est illisible. Par déduction on peut attribuer cette statue à Saint-Jacques le mineur.

 

 

 

 

 

Saint Barthélémy

Mort au Ier siècle.

Symbole : couteau.

Autre symbole : sa propre peau suspendue à son bras.

Barthélemy subit le martyre en Grande Arménie lors de persécutions contre les chrétiens Il fut écorché vif.

 

 

 

 

 

 

 

 

Saint Paul

Mort en 64.

Symbole : épée du martyre.

Traditionnellement, la mort de Paul est associée à la répression collective des chrétiens de Rome, accusés d’avoir incendié la ville en 64. En liberté surveillée à Rome, Paul est mort décapité, privilège des citoyens romains.

 

 

 

 

 

 

Saint Jacques le Majeur

Mort en 44.

Symbole : manteau long.

Autres symboles : l’épée, la coquille Saint-Jacques, les habits de pèlerin.

Jacques a évangélisé l’Espagne. Il fut décapité à Jérusalem sur ordre d’Hérode Agrippa. Sa sépulture est en Galice à Saint-Jacques-de-Compostelle.

 

 

 

 

 

 

Saint André

Mort au Ier siècle.

Symbole : croix en X.

Autres symboles : clous, filet de pêcheur, poissons.

Égée, proconsul d’Achaïe (nord-ouest du Péloponnèse), face au succès d’André, vint à Patras convaincre les chrétiens de sacrifier aux idoles.  André s’opposa et fut crucifié sur une croix en forme de X.

 

 

 

 

 

Saint Matthieu

Apôtre et évangéliste

Mort en 61.

Symbole : épée du martyre ou bâton pointu.

Autres symboles : l’enfant, la lance, les pièces de monnaie.

Après 23 ans de mission en Éthiopie, il mourut martyr à Naddarer, en 61, après que le roi eut envoyé un de ses soldats passer l’apôtre au fil de l’épée.

 

 

 

 

 

 

Saint Simon

Mort au Ier siècle.

Symbole : épée du martyre (cassée sur la statue de la basilique).

Autres symboles : la scie.

Simon le Zélote partit en missionnaire afin d’évangéliser l’Égypte et les Berbères. Il aurait ensuite rejoint l’apôtre Jude afin d’aller tous deux prêcher en Perse (autrefois empire Parthe). Ils moururent ensemble en martyrs. Simon le Zélote fut sauvagement scié en deux par des païens.

 

 

 

 

Saint Jude Thaddée

Mort au Ier siècle.

Symboles : palme et livre.

Autres symboles : la massue.

Jude est mort en martyre (voir saint Simon ci-dessus).

 

 

 

 

 

 

Et maintenant ?

L’ensemble du porche Notre-Dame est couvert de suie provenant des bougies qui se consument dans la journée depuis plus de 150 ans. Pour redonner vie à cet ensemble architectural (Vierge, statues…) une restauration du lieu serait à envisager. Ce sujet est régulièrement évoqué par l’association des Amis du patrimoine qui rappelle que la basilique est classée au titre des monuments historiques (MH 1888 et 1914/04/18).

Il appartient à chacun de lire ce livre ouvert à toutes et à tous, de se rappeler qui sont ces personnages ou simplement de regarder la finesse du ciseau du sculpteur, selon ses convictions.

Jean-Pierre Colivet, avril 2021

 

 

Merci à Jef Philippe pour ses conseils.

Sources

  • Monographie de Notre-Dame de Bon Secours, Émile le Jamtel
  • Trégor mémoire vivante, 1993, Simonne Toulet
  • Notre-Dame de Bon secours de Guingamp, 1933, abbé Coadic
  • Les saints et leurs attributs, Christophe Renault chez « mémo Gisserot »
  • Site des Amis du patrimoine : La Vierge noire de Guingamp
  • Site des Amis du patrimoine : Le labyrinthe du porche Notre-Dame
  • Jean-Paul Rolland

 Photos

  • Jean-Pierre Colivet


[1]
L’association Sauvegarde du patrimoine Religieux En Vie (SPREV), créée en 1984 sous le régime de la loi 1901, veut contribuer au maintien en vie, au développement et à la meilleure connaissance du patrimoine cultuel et culturel de l’Eglise catholique.

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