Le « trésor de Guingamp »
Retour sur une vente aux enchères
Par Maël Le Pillouër
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Mercredi 1er octobre 2025, plusieurs articles parus dans la presse locale indiquaient la vente prochaine du « trésor de Guingamp », un lot de pièces extraordinaire datant des derniers millénaires, et en proposaient une histoire succincte1. Un rapide examen du site internet du commissaire-priseur nous informe que ce trésor fut découvert en 1922 par Joseph Verger, cultivateur de son état à Tréflévenez, une commune proche de Landerneau, dans le Léon donc. C’est au cours d’un travail de la terre que le sieur Verger fit cette découverte : voulant défricher une lande pour la transformer en terre exploitable – rappelons qu’en ce temps-là, le défrichage se faisait à la pioche – il fut dans l’obligation de détruire une grosse roche. A l’image de la bobinette du conte, il fit choir ladite roche qui, dans son mouvement, se brisa et fit apparaître une poterie grossière conservée en son sein, d’où s’échappèrent des pièces de métal. Le soleil de juillet aidant, le paysan observa avec attention l’objet de sa découverte : des pièces anciennes, deux mille environ, dans un état de conservation remarquable. Un érudit et numismate éclairé de Carhaix, Ernest Charbonnier de Sireuil, s’intéressa à cette découverte et en acheta la moitié au sieur Verger.
Après examen, il situa la date de l’enfouissement aux années 1180 et il retient plus précisément l’année 1184. Il parvient également à déterminer la provenance de ces pièces : celles-ci seraient majoritairement issues d’une frappe réalisée à Guingamp par Étienne Ier, comte de Trégor, de Guingamp puis de Penthièvre (v.1060-1138), fondateur de l’abbaye de Sainte-Croix par ailleurs2. Du Trégor au Léon il n’y a qu’un pas, ou presque. Si nous ne connaissons pas les raisons qui ont poussé les propriétaires à enfouir ces pièces, cette heureuse découverte permet aux Bretonnes et aux Bretons de contempler une partie de l’histoire financière du duché3. L’expertise contemporaine des pièces apprend que l’on pouvait vivre avec toute une année sans problèmes financiers avec ce trésor4.
Au fil du temps, le trésor revient à sa source. Remisé et oublié, ce trésor fit son grand retour en 2024, chez un certain baron de B. Comment ce bien de Carhaix a-t-il pu se retrouver à Guingamp ? Il faut ici revenir sur la famille Charbonnier de Sireuil. Le chef de famille, Ernest, est originaire de Carhaix : né en 1871, il épouse à Saint-Jean d’Angély une demoiselle Moreau de Bellaing un jour de 1903. De cette union naissent trois enfants, Adolphe, Geneviève en 19095. Celle-ci hérite du trésor. Elle se marie par la suite à son cousin, le baron Jacques Moreau de Bellaing. Cette famille originaire du Hainaut (actuelle Belgique) était proche des rois de France : en 1821, un de ses membre officier de cavalerie fut fait baron par Louis XVIII6. Avec les turpitudes du temps, le titre passa à ses neveux dont un certain Junéval. Il compte dans sa nombreuse descendance – huit enfants – Léopold, militaire, père de Jacques et Marie-Thérèse, mère de Geneviève.
Plus connue sous le nom de Vefa (Geneviève en breton) de Bellaing, son destin se conjugue avec le mouvement en faveur de la culture bretonne. Sa biographie dans le Dictionnaire du Mouvement breton (1790-2000) mentionne sa participation à la création de cercles celtiques, de bibliothèques bretonnantes ainsi que son entrain pour la recherche7. Entre Saint-Brieuc, où elle réside séparée de son époux, et Guingamp où elle termine da vie, elle se bat pour sauvegarder la culture bretonne : à ses débuts en 1938, elle n’hésite pas à scander la foule pour remettre au président Lebrun une pétition en faveur de l’’enseignement du breton8. En 1962, elle participe à la fondation de Oaled Abherve, aujourd’hui Centre Culturel Breton Abherve, association assurant la promotion du breton, qu’elle préside par ailleurs de 1981 à 1985. Elle collabore également à la publication en 1992 du Dictionnaire des compositeurs de musique en Bretagne. Son engagement militant est récompensé en 1988 lorsqu’elle reçoit le collier de l’Hermine. Elle décède à Guingamp en 1998.
La découverte d’un trésor entraîne parfois l’émulation. De la numismatique à la généalogie nobiliaire, une vente aux enchères concerne plus que le patrimoine : l’histoire du « trésor de Guingamp » nous permet de revenir ici sur l’histoire d’une famille d’érudits locaux et particulièrement sur la vie d’une femme engagée pour la défense de notre histoire et de notre culture.
Par Maël Le Pillouër
2 octobre 202
Crédits photos :
- COLLIN, Gaëlle, « Un trésor vieux de près de 900 ans mis aux enchères », Ouest-France, [en ligne], consulté le 2
octobre 2025. - TREMEL, Fanch, Oaled Abhervé ou 40 années de culture bretonne à Saint-Brieuc, Saingt-Brieuc, Edictions du CCBA, 2006, p.14.
Notes :
1 LE FUR, LAURENT, « Côtes d’Armor. Ce trésor oublié a été retrouvé dans un manoir à Guingamp », L’Echo de l’Armor et de l’Argoat, [en ligne], consulté le 2 octobre 2025. URL :
2 TOULET, Simone, « Églises et monastères à Guingamp du Xe au début du XXe siècle », Les Amis du patrimoine de Guingamp, sans date, [en ligne], consulté le 2 octobre 2025. URL :
3 On ne peut que conseiller à ce sujet la lecture du livre suivant : MORIN, Stéphane, Trégor, Goëlo, Penthièvre. Le pouvoir des Comtes de Bretagne du XIIe au XIIIe siècle, Rennes, PUR, 2010.
4 COLLIN, Gaëlle, « Un trésor vieux de près de 900 ans mis aux enchères », Ouest-France, [en ligne], consulté le 2 octobre 2025.
5 ADF, 3E/46/6, État civil de la commune de Carhaix, année 1909.
6 Région Nouvelle-Aquitaine, Patrimoine et inventaire de Nouvelle-Aquitaine, [En ligne], consulté le 2 octobre 2025. URL :
7 FOUERE, Yann, Dictionnaire biographique du Mouvement breton. Document d’ébauche, sans lieu, sans date, p.10.
8 TREMEL, Fanch, Oaled Abhervé ou 40 années de culture bretonne à Saint-Brieuc, Saingt-Brieuc, Edictions du CCBA, 2006, p.14.