Le moulin du cuivre
Par M. Jean-Paul Rolland
Le nom du « Moulin du cuivre » est un nom curieux et rare dont personne n’en soupçonne l’origine. Il a fait l’objet de nombreuses recherches de la part de géologues comme de beaucoup d’historiens.
Le « moulin du cuivre » en breton « milin ar C’houerv » pour ce qu’il en reste aujourd’hui, est sur la commune de Grâces entre le château de Kernabat et l’ancienne nationale N°12 Paris-Brest.
On sait que le premier métal trouvé par l’homme, à l’époque de la préhistoire est le cuivre. Cette découverte fut faite environ 2 000 ans avant Jésus-Christ. L’âge du cuivre a suivi l’âge de la pierre polie et a précédé l’âge du bronze et l’âge du fer.
Dans son « Inventaire des découvertes archéologiques du département des Côtes du Nord » A.-L. Harmois « Mémoires de la Société d’Emulation des Côtes du Nord » signale qu’en 1905, un laboureur trouva au lieudit « Mez-Gwen » en Plouisy, des scories de bronze. Un Charles Berthelot du Chesnay en fit don au musée de la Société d’Émulation des Côtes du Nord à Saint-Brieuc.
On sait que le bronze est fait de l’alliage du cuivre et de l’étain. Pour trouver des scories de bronze en un lieu, il faut donc qu’en celui-ci ou en un lieu peu éloigné, on ait fondu du cuivre pour le mélanger à l’étain. Il y aurait donc du cuivre sur le territoire de Plouisy ? Nous n’en sommes pas sûr. Voici pourquoi.
Au 18ème siècle, le Manoir de Kernilien (aujourd’hui occupé par le lycée agricole) était la propriété des Hingant de Kerduel ; il était tenu, à titre de cens (charge pécuniaire, redevance due au seigneur), les Démour sieurs de Kernilien, fermiers du duché de Penthièvre. Il reste de cette famille le souvenir de l’ingénieur le Demour de Kernilien qui naquit à Plouisy vers 1695 : un attaché à la doctrine des Physiocrates, c’est-à-dire des hommes qui considéraient l’agriculture comme la première et principale richesse de l’homme et la plus utile à sa vie physique. Ce en quoi il n’avait pas tort car l’homme qui ne se nourrissait pas… serait bientôt mort. Il expérimenta des méthodes nouvelles en agriculture et dans l’industrie ; il en rendit compte à l’académie des sciences et aux États de Bretagne dans plusieurs rapports de 1732 à 1738.
Le Démours de Kernilien avait appris cela depuis fort longtemps. Il appartenait aussi, comme beaucoup de ses semblables, à la « Société d’Agriculture, du Commerce et des Arts[1] » créée, en 1757, par les États de Bretagne, sous l’influence de l’intendant du Commerce Jacques Claude Gournay[2]. Cette Société fut d’ailleurs la première de ce genre en France. En ce domaine, la Bretagne était à l’avant-garde. Elle travaillait au développement et au progrès du pays, dans les domaines agricole, économique, intellectuel, artistique ; et avait des représentants dans toutes les régions bretonnes qui se livraient à des expériences dans tous les domaines qui les intéressaient.
Le Démours de Kernilien était dans notre région un des représentants de cette Société. Esprit curieux, observateur, inventif, épris de progrès, à la fois travailleur manuel et intellectuel, lui aussi se livra à un grand ensemble de travaux, d’études, et d’expériences, cherchant à se rendre utile dans le domaine agricole, et dans tous ceux qui d’une façon ou d’une autre, touchaient au sol.
Il s’occupa de la culture du lin, des toiles ; les filandières et les tisserands étaient alors nombreux dans nos campagnes et dans nos villes. Les toiles de Bretagne étaient renommées. Il s’occupa de l’amélioration du rouet car il avait l’esprit extrêmement inventif. Il s’occupa du défrichement et de l’amendement des terres par le détournement des eaux, de créer des prairies pour l’élevage, d’assécher des marais de l’intérieur des terres ou au bord de la mer. Il s’occupa de la destruction des loups alors nombreux dans la région et qui s’attaquaient aux troupeaux et aux hommes. Il créa une machine d’élévation des eaux pour l’amélioration de certaines terres, machine qui eut les honneurs des « Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de Paris » en 1732. Le Démours de Kernilien participa d’une manière profonde et utile, à la vie de notre pays et au progrès dans un tas de domaines.
Dans les archives départementales des Côtes d’Armor, un document daté « Guingamp ce 18 décembre 1758 » et signé de Kernilien Le Démours, on peut lire :
« J’ai établi auprès de Guingamp depuis cinq mois, une manufacture de cuivre où l’on travaille très utilement à la fonte des cuivres et à les battre au grand marteau pour former des plaques de différentes grandeurs, dont les dinandiers de la province viennent faire emplette à cette manufacture pour former des cuves, marmites de cuivre rouge, casseroles et autres meubles qu’ils faisaient venir ci devant de l’étranger, et on continuera autant que les fonds ne manqueront pas pour rendre cette manufacture très considérable, et enlever aux Normands ce commerce qu’ils font avec nous, tirant de cette Province plus de 1 000 000 livres ».
Situé près de Guingamp et non loin de Kernilien, le « Moulin du Cuivre » est vraisemblablement l’endroit où le Démours de Kernilien avait établi, en 1758, sa manufacture de cuivre. En fait, il faisait venir son cuivre et son étain des régions où ces deux métaux étaient extraits. Puis il faisait des ustensiles de cuisine pour faire concurrence à des villes comme Villedieu-les-Poêles en Normandie.
Il œuvra également dans la région de Lannion, près du bord de mer où il fit aménager un terrain de 150 journaux[2] pour entreposer du sable de mer et du goémon pour servir d’amendement aux terres agricoles. Également dans la région de Dinan, il obtint, à Ploubalay et Lancieux une concession de 400 journaux de terre issus des marais de Drouet, situés sur ces deux communes.
La ville de Guingamp a créé un lotissement dans le quartier de Gourland : trois barres d’immeubles ont été construites dans les années 1960 ; un écoquartier a remplacé ces immeubles en 2014. En 1973, Guingamp trouve un terrain d’entente avec la municipalité de Plouisy afin de créer un lotissement sur la commune de celle-ci mais en contrepartie, Guingamp devra construire une route (Hent ar Vilin) qui relie ce lotissement au bourg de Plouisy. Un moulin se situe sur la commune de Grâces porte le nom de Moulin au Cuivre ; à Guingamp, une rue porte le nom de rue du Moulin au Cuivre et une résidence celle de Moulin au Cuivre.
Peut-être qu’un jour M. Le Démours de Kernilien aura également une rue à son nom afin que les habitants du quartier ne se posent plus la question de savoir s’il y a eu autrefois une mine de cuivre dans leur environnement ?
Jean-Paul ROLLAND, mai 2023
Sources :
- « Mémoires de la Société d’Émulation des Côtes du Nord » Inventaire des découvertes archéologiques du département des Côtes du Nord » A.-L. Harmois
- Yves de Bellaing
- Gilbert le Roux par les chemins de Plouisy
Moulin au cuivre dans la commune de Grâces, alimenté par la rivière Prat an Lan, affluent du Trieux
Notes :
[1] Jean-Gabriel Montaudouin de La Touche, important négociant et armateur de Nantes, en fut l’initiateur en 1756.
[2] Jacques Claude Marie Vincent, marquis de Gournay, né le 28 mai 1712 à Saint-Malo et mort le 27 juin 1759 à Paris, est un négociant international devenu réformateur de l’économie française. Principal introducteur du libéralisme économique en France, on lui attribue la maxime libérale : « Laisser-faire, laisser passer ».
[2] Journal : Ancienne unité de superficie, correspondant en principe à l’étendue qu’une personne ou un attelage pouvait travailler dans la journée, plus ou moins équivalent d’arpent* et d’acre*, et de ce fait variable suivant les contrées, autour d’un tiers à un demi-hectare.