ND de Boulogne à Guingamp 1945

ND de Boulogne à Guingamp 1945

NOTRE DAME DE BOULOGNE ou le Grand Retour à Guingamp

 Par M. Jean-Paul ROLLAND

 Que peut bien encore signifier, en 2019, cette manifestation religieuse dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue, des catholiques pratiquants, de simples catholiques ou tout simplement de spectateurs d’un événement très particulier dans les rues de Guingamp ? L’on verra dans ce qui suit d’où venait et où allait ce pèlerinage national qui est passé rapidement par notre cité mais avec faste. Nous avons la chance de pouvoir accéder aux détails du protocole de cet événement grâce aux archives diocésaines. Celles-ci recèlent bien des trésors permettant ainsi aux Guingampais de se réapproprier le souvenir d’un certain 17 janvier 1945… Mais avant d’en arriver à Guingamp, plongeons avec délectation dans l’Histoire de France.

De quoi s’agit-il ?

Préambule

En 1938, un congrès marial se tient à Boulogne sur Mer, à l’occasion du tricentenaire de la consécration de la France à la Vierge Marie par Louis XIII.

En effet, le 10 février 1638, dans un Édit solennel enregistré par le Parlement, le roi Louis XIII consacre, avec la Reine, Anne d’Autriche, alors qu’il multiplie les prières et les pèlerinages pour obtenir un héritier attendu depuis 22 ans, « sa personne, son État, sa couronne et ses sujets » à la Sainte Vierge Marie, confirmant ainsi l’antique adage venu des Francs : « Le royaume de France est le royaume de Marie. »

Neuf mois après naîtra le futur Louis XIV qui recevra le nom de baptême de « Louis Dieudonné » ! Ce vœu de Louis XIII est mieux connu aujourd’hui : « faire chaque année une grande procession pour la fête de l’Assomption, le 15 août ».

Qu’est-ce qu’un congrès marial ?

C’est un grand rassemblement en l’honneur de la Vierge Marie ayant pour but d’approfondir la spiritualité mariale en rappelant le sens des expressions Mère de Dieu, Mère du Verbe, Mère du Christ, Mère de l’Église, Mère des hommes, Reine du ciel et Reine du monde…

Pourquoi Boulogne sur Mer ?

La « Vierge de Boulogne », la Vierge nautonière (qui conduit un bateau), Notre-Dame de Boulogne et Notre-Dame du Grand Retour sont les vocables retenus pour la Vierge Marie dont une apparition aux abords de Boulogne-sur-Mer, selon la légende en 638 (sous le règne du roi Dagobert), engendra un pèlerinage catholique qui existe encore de nos jours. La Vierge Marie apparut aux Boulonnais assemblés dans leur église et leur dit : « Allez au port, un navire y pénètre qui porte en ses flancs un gage de protection divine. Placez-le ici même ; c’est là que vous m’invoquerez. Je prêterai l’oreille à vos prières. Je serai votre patronne, votre avocate et votre refuge au milieu des plus grades afflictions ». Cette statue d’origine n’existe plus. Néanmoins, il faut savoir que du VIIe au XVIIIe siècles, 14 rois de France, 5 rois d’Angleterre, cinq reines, 14 fils de rois et tous les ducs de Bourgogne seront venus en pèlerinage à Boulogne devant cette statue représentant la Vierge portant l’enfant Jésus. Au Moyen Âge les foules y affluent et les Parisiens, à leur tour, créeront en quelque sorte une « succursale » du sanctuaire boulonnais, qui devint Boulogne sur Seine (ou Boulogne Billancourt). En janvier 1308, Philippe IV le Bel accompagné de ses trois fils se rendit à Boulogne-sur-Mer pour le mariage de sa fille, Isabelle de France, avec Édouard II d’Angleterre. À son retour, il fera bâtir Notre Dame des Menus (dans le hameau des Menus de Saint-Cloud) qui fut détruite en 1827 et remplacée par l’actuelle basilique.

Après de multiples vicissitudes, les révolutionnaires le 27 décembre 1793 auront eu raison de la statue d’origine. Seul deux morceaux de doigts sont conservés dans ce reliquaire pour nous rappeler cette statue miraculeuse.

Plusieurs autres auront été sculptées après la Révolution, mais celle qui trône actuellement dans la basilique de Boulogne date de 1938.

Elle est l’œuvre du sculpteur libanais Joseph Hoveck, neveu du Grand Patriarche maronite de ce nom et ancien élève des écoles de Paris et Rome. Elle a été exécutée au Liban sur un modèle d’un sceau de l’abbaye Notre Dame, datant du XIIIe siècle, sous la direction de Monseigneur Rémi Leprêtre délégué apostolique à Beyrouth en 1938.

Elle a été taillée dans une des branches (tombée sous son propre poids) d’un cèdre millénaire du Mont Liban.

La Vierge Marie porte dans sa main droite un cœur en or, souvenir de l’hommage féodal de Louis XI et de ces successeurs.

Le Christ porte un globe crucifère : symbole chrétien, sa forme circulaire rappelle non pas celle du globe terrestre mais la voûte de l’Univers ; il est le sauveur du monde.

En 1477, la suzeraineté du Boulonnais est transférée à la Vierge nautonière par Louis XI, lorsqu’il rattache la province à la Couronne après s’être proclamé protecteur du sanctuaire en mars 1464. C’est ainsi que l’on voit, un jour d’avril 1478, le roi faire un premier hommage de son comté de Boulogne à la Mère de Dieu et s’engager, en son nom et en celui de tous ses successeurs, à lui payer tous les droits seigneuriaux de ce fief.

Il en fut ainsi jusqu’à Louis XVIII et même Napoléon III !

Genèse de ce pèlerinage de Notre-Dame de Boulogne

8 mai 1938 : À l’occasion du Congrès marial national de Boulogne (du 20 au 24 juillet), tricentenaire du vœu de Louis XIII, la statue, nouvellement sculptée, part d’Arras et parcourt le Pas-de-Calais et le Nord. Ce fut un véritable succès. L’artiste boulonnais, Pierre Stenne, sculpte quatre Vierges différentes afin de multiplier les pèlerinages.

Septembre 1938 : Les résultats spirituels sont si probants que les organisateurs décident de se remettre en route à travers la France, jusqu’au Puy-en-Velay où doit se tenir en 1942 le congrès suivant. Mais son chemin est arrêté par la guerre.

Octobre 1939 : La guerre vient d’éclater et les allemands ont envahi la moitié nord de la France (zone de démarcation). La statue est mise à l’abri dans l’abbaye trappiste d’Igny (monastère de moniales cisterciennes situé sur la commune d’Arcis-le-Ponsart dans le département de la Marne).

22 juin 1942 : Les pèlerins qui veulent affirmer leur attachement à la Vierge partent vers Nancy, Domrémy, Troyes, et lui font franchir la ligne de démarcation, camouflée dans un camion de légumes, puis Paray-le-Monial et Clermont-Ferrand.

15 août 1942 : Elle arrive au Puy- en-Velay, au milieu des acclamations : c’est la jonction de la France occupée et de la France libre (mais plus pour longtemps : 1er mars 1943).

8 septembre 1942 : Sur l’initiative de Mgr Martin, évêque du Puy, elle gagna Lourdes où elle y demeura pendant l’hiver.

20 mars 1943 : Consécration de la France au Cœur Immaculé de Marie, et, départ de la statue de la grotte pour « le grand retour » vers Boulogne.

Vu l’engouement de la population pour la statue de la Vierge de Boulogne, les personnes lui font des faveurs extraordinaires, d’autres se convertissent, certaines, malades sont guéries… Les organisateurs, à partir de Toulouse, rappellent les trois autres statues de Boulogne et mettent en place quatre itinéraires différents :

  • L’itinéraire Maritime au départ de Bordeaux, en fait Dieulivol (dans le petit village de Dieulivol en Gironde à 70 km au sud-est de Bordeaux, une grotte en l’honneur de Notre-Dame de Lourdes a été aménagée en contrebas de l’église et inaugurée le 15 août 1942), vers la Bretagne ;
  • L’itinéraire ouest par Tarbes, Limoges, Poitiers, Orléans… ;
  • L’itinéraire centre qui part de Tulle vers Bourges, Dijon et Reims ;
  • L’itinéraire est depuis Albi, Le Puy, Lyon, Marseille, Grenoble…

Ces itinéraires ont été mis en place avec l’approbation de l’armée d’occupation qui y voyait une occasion pour la population de se détourner et d’oublier les soucis quotidiens et ainsi de ne pas avoir le temps de comploter contre eux !

La statue était posée sur une remorque décorée tirée par huit hommes qui se relaient (quatre par quatre). La statue pèse 160 kg. Les étapes de paroisses en paroisses n’excédaient 7à 10 kilomètres.

Les quatre statues retrouveront Boulogne sur Mer en juillet 1948.

Pourquoi une telle ferveur des français ?

Ce pèlerinage appelé également le « Grand Retour » répond à une attente populaire. Le retour de la Vierge de Boulogne, c’est aussi le retour de la paix, des soldats prisonniers et des déportés.

Et comme le disait l’écrivain Louis Madelin : « Aux heures de crises aiguë, combien de Français, qui se proclament volontiers incroyants, n’ont-ils pas tourné, comme malgré eux, leurs regards vers le Ciel, pour en solliciter, par des vœux inconscients, le miracle qui sauve ». Peut-être aussi que les Français dont la foi, voilée à certains, est encore vivace et se tournent vers Notre Dame !

Ou alors comme l’a si bien dit un grand marin navigateur qui a affronté les fureurs de la mer et de la nature : « Je crois quand j’ai peur » !

Quand est-t-elle arrivée à Guingamp ?

Elle est arrivée le mardi 16 janvier 1945 à 17 h dans l’église de Grâces pour passer la nuit, elle venait de Tréglamus.

Programme et itinéraire : (D. = départ ; A. = Arrivée)

  • Mercredi 17 janvier : D. à 9 h, A. à 10 h 30 (en passant une heure à l’Hôpital).
  • Jeudi 18 janvier : D. à 9 h, A. à 11 h à Coadout ; D. à 15 h, A. à 17 h 30 à Bourbriac.
  • Vendredi 19 janvier : D. à 8 h 30, A. à 12 h à Pont Melvez ; D. à 15 h 30, A. à 17 h 30 à Bulat-Pestivien.
  • Samedi 20 janvier : D. à 8 h 30, A. à 11 h 30 à Callac ; D. à 14 h 30, A. à 17 h 30 à Carnoët (pour la nuit).
  • Puis Trébrivan, Maël-Carhaix…

Déroulement de l’accueil (protocole)

Le départ du matin toujours à 8 h 30 (heure solaire) ; l’ordre de procession est le suivant :

  • La croix du grand retour portée par un notable du pays, relayé par trois autres porteurs;
  • Les petites filles et les petits garçons;
  • Les hommes et les jeunes gens;
  • La croix paroissiale (trois porteurs), les enfants de chœurs et le clergé;
  • La statue de Notre Dame de Boulogne;
  • Les jeunes filles derrière le fanion de Jeanne d’Arc. Les missionnaires apportent le fanion;
  • Les femmes.

La jonction entre les paroisses se calcule à la moitié du parcours sans tenir compte des limites paroissiales. Ne pas s’insérer dans la procession pendant le parcours, mais au départ ou à la jonction.

L’église sera fermée, une porte sera ouverte et la procession y pénétrera en ordre de marche. Sonner les cloches avant l’arrivée, mais au moment de l’entrée cesser pour permettre à l’assistance de chanter. Enlever les chaises pour permettre à un plus grand nombre de personnes d’assister aux cérémonies. Garder quelques chaises pour les vieilles personnes ou handicapées.

Les habitants de la ville ou des bourgs qui habitent sur le parcours du pèlerinage du Grand Retour décorent leur maison afin de la recevoir comme une reine ! Qu’ils respectent les consignes données afin que la procession se déroule dans la dignité et qu’elle soit vraiment un acte de foi et une grande prière à l’adresse de Notre-Dame de Boulogne. À l’approche du sanctuaire, le cortège passe entre deux haies de guirlandes et de sapins qui lui font une voie triomphale. De magnifiques arcs de triomphe, où s’inscrivent les vœux que la population demande d’exaucer (paix, retour des prisonniers et des déportés).

L’enthousiasme et la ferveur des fidèles s’expriment par la puissance des chants de « Chez nous soyez Reine » ou du « Salve Regina ». Ce qui frappe le plus dans cette manifestation c’est le caractère pénitent et de réparation. Des hommes prient avec ferveur, à genoux, les bras en croix, pieds nus malgré l’hiver, dans la neige et la boue ! C’est un geste renouvelé du Moyen Age, et un geste qui engage… Ce n’est pas obligatoire, ni, peut être conseillé à tous ! Mais tous sont invités à la veillée qui durera toute la nuit. Le chapelet, le chant des cantiques, les invocations, la prière sans interruption ; différents groupes se relaieront d’heure en heure pour assurer cette veillée.

Puis à partir de 22 h 30, ce sera la grande veillée, dirigée par les missionnaires : c’est la cérémonie essentielle, et que terminera la messe solennelle chantée à minuit. Et la prière se poursuivra, infatigable, jusqu’aux messes du matin.

Pour le diocèse de Saint-Brieuc, le missionnaire de ce pèlerinage désigné par Mgr Serrand évêque de l’évêché, fut l’abbé Auguste Lorinquer dit Mab Sulon, recteur de Saint-Connan.

Comment peut-on analyser, en 2018, une telle ferveur ?

Comment quatre statues de la Vierge à l’enfant ont pu, au milieu du XXe siècle, parcourir ainsi 1200 km chacune sur le sol de France, visiter 16 000 paroisses et être honorées dans 83 diocèses ?

Depuis la nuit des temps, les Vierges antiques, souvent à l’origine de pèlerinage, comme ici à Guingamp, la Vierge noire qui ne nous a pas encore tout révélé sur son origine, ont été souvent auréolées de légendes, surtout les plus populaires (Boulogne, Rocamadour, Roncier à Rostrenen…). Notre civilisation n’a-t-elle plus besoin de légendes pour rêver ? N’a plus besoin de prier, car elle n’a plus peur ?

Et pourtant en ce début de XXIe siècle, nous devrions encore avoir peur. Notre planète ne se porte pas le mieux possible. Nous n’arrêtons pas de la malmener jusqu’au jour où elle se rebellera. Les hommes ne se portent pas mieux, certains sont assoiffés de pouvoir. Souvenons-nous de la réponse d’Albert Speer (architecte d’Hitler) à un journaliste qui lui avait posé la question : « Comment se fait-il qu’une personne aussi instruite que vous ayez adhéré à une idéologie aussi exécrable que le national-socialisme ? »

Vous savez lui répond Albert Speer, « j’étais jeune et ambitieux, je ne voulais pas que Hitler ait tous les pouvoirs, car vous savez le pouvoir est très très délicieux !!! »

Le pouvoir fascine et Dieu sait si sur cette Terre, il y a des hommes qui aspirent à en avoir pour être le « maître du monde ». Donc logiquement on peut penser que des hommes auront encore peur et que peut-être ils auront encore besoin de Notre-Dame de Boulogne pour les rassurer !

  

ROLLAND Jean Paul
Décembre 2018

Merci à :

  • Jean Louis Pinson pour ses photos
  • Yves Marie Errard, archiviste diocésain pour la mise à disposition de documents.

Notre Dame de Boulogne, devant la Plomée à Guingamp

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