La Vierge noire de la basilique de Guingamp
L’église catholique accorde une certaine place à la Vierge Marie, la mère de Jésus. Ainsi, le culte marial s’est développé tout au long de l’histoire de l’Église et se trouve révélé par une grande dévotion de la part des fidèles. Il s’agit, tout d’abord, d’une ferveur populaire. La prière de l’Ave Maria répétée lors du chapelet, est un parfait exemple de cette dévotion, En effet, tout catholique, connaît « par cœur » cette prière, et pourtant l’origine de celle-ci n’est pas forcément connue de tous. Il en est de même pour le chapelet. D’autre part, nous avons pour habitude d’associer à la Vierge Marie, la couleur bleue, sans pour autant connaître la raison véritable.
Dès lors, les symboles mariaux et les objets liés au culte de Marie constituent un sujet intéressant pour comprendre la grande dévotion des croyants, qui a permis la construction de nombreux édifices religieux. La Basilique Notre-Dame de Bon Secours, Guingamp, constitue, en Bretagne, un exemple significatif de cet attachement pour la mère de Jésus.
Par la sainteté de Marie, sa place importante qu’elle a auprès de son fils et son exemption de péché font de la Vierge un être exceptionnel et qui devient pour les chrétiens, un exemple et un chemin d’intercession vers Dieu. La Vierge Marie joue un rôle important dans l’intercession entre Dieu et les hommes. Elle est invoquée pour demander des grâces au ciel. Il suffit pour s’en rendre compte, en 2016 encore, d’aller dans la chapelle nord dédiée à la Vierge, Notre-Dame de Bon Secours, et cela tout au long de l’année !
L’appellation Notre-Dame
Le mot français dame vient du latin domina, maîtresse. Comme le mot madame, il était à l’origine réservé aux femmes nobles. Le terme « Notre-Dame » appliqué à la Vierge Marie apparaît en France au XIIe siècle, au moment de la naissance de l’amour courtois et du culte de la femme idéalisée, tout droit issu de l’esprit de la chevalerie. Cette expression revêt alors un caractère respectueux, plein de confiance et d’affection. Le terme « notre » souligne alors le fait que la Vierge est la protectrice de tout le peuple chrétien.
Ici à Guingamp on a rajouté : Bons Secours que l’on peut interpréter par une intercession de la Vierge dans le bon déroulement d’une quelconque situation ; dans tous les cas si la Vierge intervient, ses bienfaits ne peuvent être que bénéfiques !
Elle est toujours vêtue d’un manteau bleu qui symbolise sa virginité et une robe blanche pour affirmer sa féminité.
Le cas des Vierges noires
On en retrouve beaucoup en Europe mais surtout en France. Elles sont apparues pour la plupart aux XIe et XIIe siècles, à l’époque romane. Ce sont le plus souvent non pas des Vierges à l’enfant mais des Vierge dites « en majesté. » Leur couleur noire peut paraître surprenante car elle est concentrée souvent sur le visage et sur les mains de la Vierge. Cela s’expliquerait en fait par un phénomène simple. Les pigments à base de plomb utilisés en peinture pour les carnations, se sont oxydés avec le temps et ont noirci. Les études de ces statues ont permis de découvrir, sous la couche noire, des traces de la carnation d’origine, qui était de couleur chair. C’est donc le temps qui est à l’origine de cette couleur particulière des Vierges noires romanes, ce n’était donc pas un choix des sculpteurs de l’époque ! Le blanc de plomb ou céruse (carbonate de plomb) était présent dans la peinture. Cependant les traces de sulfure d’hydrogène dans l’atmosphère (engendré par les sources chaudes dégagées par la combustion des bougies) entraînent le noircissement du pigment.
On a également avancé que : la fumée des bougies offertes à la Vierge, en se consumant, finissait par « colorer » les parties visibles en noir, ou, que le bois utilisé pour la confection des statues était de l’ébène.
Pourquoi la vierge de Bon-Secours est-elle noire ?
Elle est bien énigmatique cette vierge installée à l’entrée de la basilique. Et les théories ne manquent pas. Ainsi, selon d’anciens récits, la statue serait marseillaise. Elle aurait été ramenée des croisades au XIIe siècle ; des érudits rappellent encore que certaines statues venues d’Orient étaient l’œuvre d’artistes locaux qui leur auraient donné l’aspect des femmes de leur pays. Alors, localement, pourrait-on dire qu’elle aurait simplement pu être peinte en noir ; qu’elle aurait noirci lors d’un incendie, qu’elle a noirci progressivement à la fumée des cierges. La pierre de départ était noire, choix délibéré tout comme la création d’une copie à l’identique du labyrinthe de Notre-Dame de Chartres, pour inscrire Guingamp dans le réseau des basiliques et cathédrales possédant à la fois Vierge noire et labyrinthe et ainsi augmenter le flux des pèlerins ? Ou encore que l’Église était contrainte de récupérer l’ancien culte des déesses-mères des religions primitives et préchrétiennes ?
La Vierge Noire, Notre Dame de Bon Secours ou Itron Vari Gwir Zigour (en breton).
En bois polychrome, elle est exposée dans une chapelle située sur la façade nord de la basilique, dite « portail de Notre-Dame ». On la date du XIVe siècle mais il pourrait s’agir d’une copie du XVIIe siècle. Arrachée de son socle en 1793 et brisée, la statue est reconstituée, et l’absence de bras est masquée par ses vêtements. En 1854, lors de la réfection de la chapelle, elle est replacée, d’abord au-dessus, puis en dessous du baldaquin de Kersanton datant du XIXe siècle.
Le cœur d’or, placé en sautoir sur la statue a été offert par les sœurs de La Croix de Paris (communauté de moniales dominicaines, de l’ordre de Saint-Dominique, établie à Paris au début du XVIIe siècle).
Le pèlerinage annuel, attesté depuis le XVIe siècle, coïncide avec la fête de la Visitation au début du mois de juillet ; sa particularité est une procession aux flambeaux dans les rues de la ville qui s’achève par l’embrasement de trois feux de joie sur la place du centre. Le visage noirci de la statue en fait une des rares Vierges noires de l’ouest de la France, la plupart étant dans le Massif central et le Sud.
Auparavant, la statue était posée entre les deux anges encenseurs, mais pour une facilité de changement de ses vêtements, elle a été descendue, en 1954, et remplacé par un Christ en croix.
Pourquoi ce culte à Guingamp ?
Avant de vénérer Notre-Dame de Bon Secours, on vénérait Notre-Dame du Halgoët ou Notre-Dame sous terre, sous les pavés du porche, peut-être y aurait-il une crypte suite possible d’un culte païen à une déesse-mère, symbole de fécondité ou à une Vierge noire comme à Chartres.
Cette statue ne sert pas pour la procession nocturne du samedi soir qui précède le premier dimanche de juillet.
À l’intérieur de la basilique, on vénère la Vierge de procession, du XIXe siècle, également habillée d’un somptueux manteau que les pèlerins baisent avec dévotion.
En 1823, une statue de bois doré était portée en procession sur un brancard par des femmes. Elle était également exposée aux fidèles qui la frottaient et l’embrassaient à tel point que tous les ans il fallait acheter de la peinture pour cacher l’usure !
Le culte de la Vierge à Guingamp
Charles de Blois lui vouait une dévotion toute particulière. Il a été pour beaucoup dans le développement de son culte et de son pèlerinage dans les années 1350. Les origines du pardon de Notre Dame de Bon Secours se confondent avec celles de Frérie-Blanche. Cette dernière fut fondée le lundi 8 juillet 1356, elle se plaça sous le patronage de la Vierge et prit la fête de la Visitation pour fête patronale. Elle était composée de bourgeois, de membres du clergé et de la noblesse. Sa célèbre devise biblique (Ecclésiaste 4,12) « la corde à trois fils ne se rompt pas facilement » a traversé les âges et indiquait les liens de solidarité et d’assistance mutuelle qui devaient régner entre ses différents membres. Les trois grands feux allumés chaque année aux angles de la place du Centre, à l’issue de la procession nocturne, nous proviennent de cette époque (XIVe siècle) et symbolisent les trois ordres de la frérie dont la réunion générale annuelle, sous le porche de la Vierge, coïncidait avec la date du pardon marial.
L’an 1356, c’est aussi le retour de captivité des geôles anglaises du duc de Bretagne, Charles de Blois. Ce dernier fit alors de nombreuses donations et fit bâtir deux hôpitaux, celui de Saint Martin à Guingamp intra-muros (« La délivrance » situé dans Porzh Maria avant la porte de Rennes, l’actuelle rue Notre-Dame) et celui de Toussaints de Nantes. L’hôpital guingampais avait pour objectif de servir d’asile aux malades pauvres et aux vieillards sans appui et le prince présida à la pose de première pierre.
II créa une foire annuelle, l’une des plus connues et des plus populaires de toute la Bretagne, le 1er samedi de juillet, qu’il associa à deux événements majeurs, le pardon annuel de Notre-Dame du Halgouët (l’actuelle Notre-Dame de Bon-Secours) et la fête de saint Martin (saint patron des descendants capétiens). La saint Martin tombait le 4 juillet. Les gains de cette grande foire du pardon permettaient de subvenir à l’entretien de la fondation, chauffage des pauvres et autres dépenses. Cette grande foire accolée au pardon religieux donna rapidement une dimension extraordinaire aux festivités cultuelles.
La Visitation
Le Pardon de Notre-Dame correspondait dans l’ancien calendrier liturgique à la fête de la Visitation. Ceci explique la date du samedi précédant le 1er dimanche de juillet, le choix du passage de l’évangile (Luc 1,39-56) à la Grand-messe pontificale du samedi soir, et enfin, le thème de la maîtresse vitre de l’abside (la rencontre de Marie et Élisabeth sa cousine).
La statue de la Vierge à l’enfant a pourtant bien failli disparaître en 1789, n’étant qu’un vulgaire morceau de bois pour des révolutionnaires passionnés. Un Guingampais, qui ne s’est jamais révélé, a récupéré la tête et celle de l’enfant et les rendra plus tard, une fois le calme revenu. Il fallait bien répondre aux vœux pressants des fidèles toujours plus nombreux. Du coup, son apparence vestimentaire a ainsi pris de l’importance.
Comme pour répondre à ce problème, la duchesse de Berry (Marie Caroline Ferdinande Louise de Bourbon) fait don en 1823 d’une bannière fleurdelisée, brodée de ses mains, et la comtesse de Chambord (Marie Thérèse de Modène) a envoyé, le lendemain de son mariage avec Henry V (prétendant à la Couronne de France de 1844 à 1883), la moitié de ses robes de noces.
Aujourd’hui, elle dispose de sa propre garde-robe et change de parure plusieurs fois par an. C’est également au XIXe siècle, marqué par le renouveau du culte marial, qu’elle a reçu une couronne qui marquait la reconnaissance de son culte. S’en sont suivi l’instauration d’un grand pèlerinage en 1874 et l’attribution du titre honorifique de basilique mineure à l’église de Guingamp le 24 octobre 1899.
Couronnement de la Vierge
Après la Révolution, le pardon de juillet avait repris timidement, vraisemblablement dès 1799, plus tard, il drainait à nouveau les foules et reprenait son rang parmi les grands rassemblements bretons. Bien entendu le pèlerinage était tout autant, et sans doute bien plus le lieu de rassemblement de la région que celui de la ville. Mais lorsqu’en 1859, le nouvel évêque de Saint-Brieuc et Tréguier songe à l’interdire, en raison des désordres qu’il entraînait, c’est le tollé général dans le clergé et les fidèles de Guingamp comme des paroisses alentour.
Ce renouveau du culte marial avait été encouragé au préalable par un certain nombre d’actes symboliques : la tête préservée de l’ancienne statue mutilée à la Révolution est remise à la paroisse dans le plus grand secret en juillet 1805 par un des hommes chargés de sa destruction qui l’avait soustraite et conservée chez lui.
Dans la seconde moitié du siècle, sous l’impulsion de Mgr Le Mée se développe à nouveau d’une façon spectaculaire le culte marial. L’église Notre-Dame de Guingamp consacrée à la Vierge de Bon-Secours fut la première de Bretagne et la quatrième en France à recevoir de Rome « les insignes de la couronne d’or, fondation romaine du comte Sforza Pallavicini (prêtre jésuite italien, théologien et historien du concile de Trente ; il fut fait cardinal en 1657 par le pape Alexandre VII), pour le couronnement des Madones les plus célèbres du monde ».
Le 8 septembre 1857, la cérémonie du couronnement se fit en présence de quatre évêques dont un Américain, de plus de six cents ecclésiastiques, et d’une foule énorme.
Aujourd’hui, au XXIe siècle, quotidiennement, on vient, encore, l’invoquer, la prier. Il suffit de se rendre dans la chapelle pour voir nombre de lumignons se consumer ou des personnes en train de se recueillir !
On vient la voir de loin : des Anglais, des Espagnols et même des Colombiens ont laissé un mot sur le cahier de prière. Si auparavant on priait pour sa famille ou pour échapper à la guerre, les prières d’aujourd’hui sont plus individuelles : « faites que je réussisse mes examens », « faites que je ne souffre pas trop », « faites que je vende ma maison »… Elle voit vraiment de tout ! Enfin, ces demandes, nombreuses et incessantes, sont le signe de son succès.