Les couvents de Montbareil
Le couvent des Cordeliers et celui des Frères Prêcheurs
Au Moyen Âge, le bas du quartier de Montbareil était occupé par deux vastes monastères (dès la fin du XIIIe siècle). À gauche en montant la rue, entre le grand chemin de Tréguier et celui de Pontrieux, le couvent des frères Mineurs (les cordeliers) ; à droite, celui des frères Prêcheurs (jacobins ou dominicains). La période troublée des guerres de la Ligue mit fin à trois siècles de leur présence à Montbareil. En 1591, avertis que les troupes du prince de Dombes et ses alliés anglais approchaient de la ville, les Guingampais détruisirent en partie le monastère des jacobins installé sur une butte, face aux remparts entre la porte de Pontrieux 1 et celle de la Fontaine. Un véritable danger pour la défense de la ville.
Le siège acheva les destructions. Le couvent des cordeliers fut entièrement détruit par un incendie, et les religieux se réfugièrent à Grâces où ils transféreront les reliques de Charles de Blois (1610). Le feu ravagea aussi ce qui restait de celui des jacobins. Ils se retirèrent à Sainte-Croix d’abord, puis au Penker avant de s’installer à Saint-Martin 2 où ils entreprirent la construction de leur nouveau monastère. Leurs archives gardent le double d’un contrat (7 octobre 1616) passé avec les héritiers des fondateurs de Montbareil. Les parties s’engagent réciproquement à « maintenir à Saint-Martin l’ancien état de choses qui durait depuis des siècles à Sainte-Anne 3 ».
Les jacobins devaient aussi régler le différend avec la communauté de ville, responsable à leur yeux de la ruine de leur maison de Montbareil. Depuis sa destruction, disent-ils, l’ancien couvent sert de carrière à des particuliers comme à la ville. Les bourgeois prennent des pierres pour réparer douves et remparts, les privant de matériaux pour l’édification de leurs nouveaux bâtiments. Le procès fut jugé en 1634 au profit des jacobins. Quelques années plus tard (1638), ils cédèrent à la ville, pour 1 200 livres, leur ancien enclos. Cette rentrée d’argent leur permit d’entamer (enfin !), en 1641, la construction de leur nouvelle église.
Mais en 1659, Richard Guillouzou, prieur, scandalisé « qu’un lieu autrefoys sacré, et qui […] avoit servi plus de trois cents ans de demeure à plusieurs saints religieux […] et mesme de tombeau à plusieurs ducs et quantité de grandz personnages […] servoit à présent pour pasturer les bestes brutes et de cloaque à toutte sorte d’imondisse et villainies » demande à la ville… de rétrocéder aux jacobins leur ancien enclos. L’accord fut conclu en 1660, mais les jacobins durent attendre 1674 pour en reprendre possession. Les clauses comportent un incontournable chapitre sur les servitudes liées au «tuïau de la pompe » ; les jacobins ne pourront bâtir sur l’emplacement de l’ancien couvent, mais seulement le clore et y planter une croix. Trois ans auparavant, ils avaient obtenu du gouverneur de Bretagne l’autorisation de « fouiller les ruines de leur ancien couvent, d’en tirer les pier- res et d’y édifier une cftapelle pour y continuer le service divin dans le mesme lieu où il a esté exercé pendant plusieurs siècles ».
L’implantation du couvent des dames de la Charité et du Refuge devait offrir aux jacobins l’occasion de faire entrer l’argent nécessaire à leurs constructions en cours, tout en étant assurés que, cette fois, la mémoire de leur premier couvent serait respectée. Le 28 mai 1683, le prieur, Joseph Paugant, obtint du chapître l’autorisation de vendre. La transaction fut signée dès le lendemain par les « Dames de Montbareil ».
Le monastère des Dames de la Charité et du Refuge
Le monastère féminin de Montbareil, voué à l’accueil et l’amendement des « femmes de mauvaise vie », est né de la rencontre à Rennes de deux femmes au parcours atypique : une Guingampaise, Hélène Moysant, vicomtesse des Arcis et une Normande, Marie Heurtaut, connue plus tard sous le nom de mère Marie de la Trinité Heurtaut.
Sigismond Ropartz a consacré plusieurs pages à la première 4, s’appuyant sur une notice nécrologique trouvée dans les archives des « Dames de la Charité et du Refuge » de Montbareil.
Créé en 1651 par un missionnaire normand, le père Eudes 5, cet ordre assignait à ses religieuses un objectif très précis : rétablir dans le droit chemin les « femmes tombées » par une conduite dévoyée, les amener à s’amender, bref, se racheter une conduite par un retour vers Dieu et une meilleure pratique de la religion catholique. Vaste programme, mais qui s’inscrivait tout à fait dans le cadre du renouveau religieux après la réforme tridentine. Au moment de leur profession de foi, les religieuses de l’ordre devaient prononcer un « quatrième voeu » par lequel elles s’engageaient à travailler à l’instruction et à la conversion des filles et femmes pénitentes.
En réalité, il existait déjà dans certaines grandes villes des refuges laïques qui accueillaient ces « femmes perdues » (mais il manquait à leurs objectifs la finalité spirituelle, le retour vers Dieu voulu par le missionnaire). Rennes avait le sien, soutenu financièrement par de bonnes familles, Mme d’Argouges, femme du premier président du parlement de Bretagne, et son amie la comtesse de Brie. Comme beaucoup à cette époque, ces dames pensaient conforter le salut de leur âme au Paradis en juste récompense de leurs bonnes actions sur terre. De ce point de vue, le Refuge rennais était un réservoir inépuisable d’âmes à sauver…
Ainsi naquit l’idée, impulsée par le père Eudes, de transformer cet établissement gouverné par des laïcs en monastère de l’ordre de Notre-Dame de la Charité et du Refuge.
En attendant les autorisations nécessaires, une solution intermédiaire fut adoptée : à défaut de pouvoir être gouverné dans l’immédiat par des religieuses (encore trop peu nombreuses à Caen pour essaimer ailleurs), le Refuge conserverait une direction laïque, mais il lui fallait une personne dévouée et attachée aux objectifs de l’ordre. Et l’on se souvint de Marie Heurtaut, sortie laïque du monastère de Caen après quatre années de noviciat. Le profil idéal…
Le couvent des Dames du Refuge et de la Charité n’aurait pu voir le jour sans les nombreuses démarches entreprises par Hélène Moysant, notamment pour obtenir les autorisations nécessaires. Celle de la communauté de ville fut accordée le 26 août 1676, mais les religieuses « seront tenues de recevoir préférablement les filles mal nottées de cette ville et déclarées en justice » ; celle de l’évêque de Tréguier tomba le 28 septembre 1676 ; celle de M. de Vendôme le 21 juillet 1680. Mme des Arcis sut aussi aller chercher l’argent indispensable, là où il était : dans sa famille, dans la bourgeoisie aisée, et surtout chez sa belle-mère, Mme de Kervégan.
Les bienfaiteurs du nouveau couvent jetèrent d’abord leur dévolu sur un terrain situé dans le haut de la ville, en dehors des fortifications, près de la porte de Rennes. Mais le duc de Vendôme l’avait promis aux hospitalières… C’est finalement le faubourg de Montbareil, alors « mal fréquenté », qui fut choisi. Mme des Arcis, « faisant pour les sœurs de Notre-Dame de Charité de Rennes », s’occupa d’acheter maisons et terrains à partir de l’été 1676.
La plus grande des maisons fut aménagée en toute hâte pour accueillir les premières religieuses. Le rez- de-chaussée était à usage multiple (chapelle, sacristie des prêtres, chœur des religieuses), le premier étage aussi : cuisine, réfectoire et salle de communauté ; le grenier servait de dortoir.
Le toit de genêts était si bas qu’il était difficile d’y placer des lits et impossible d’y marcher sans le toucher.
Le 20 novembre 1676, Marie de la Trinité Heurtaut, supérieure, avec Mlle Ménard, son bras droit de Rennes, sœur Marie de la Présentation Vallée et la sœur Marie de Saint-Esprit de Porçon, toutes du Refuge de Rennes, arrivent à Guingamp. Le lendemain la première chapelle de Montbareil est bénite.
Puis on fit construire : un immeuble neuf pour les pénitentes, un bâtiment pour les religieuses. La première pierre de la chapelle fut posée le 3 décembre 1677, gravée d’une croix et de cœurs, l’église étant consacrée aux Sacrés Cœurs de Jésus et Marie et à saint François de Sales. Dix-huit mois après le début des travaux, les constructions étaient utilisables bien qu’inachevées.
- Nom de la porte au bas de la rue
- Voir notre n°43.
- Faut-il voir dans cette appellation « ancien Sainte-Anne » de l’auteur des « Souvenirs dominicains » (Revue historique de l’Ouest, 1889), le nom de l’ancien couvent jacobin, ou la volonté de marquer une continuité entre le nouveau monastère de Saint-Martin (voué aussi à Sainte-Anne) et le vieux couvent de Montbareil ?
- ROPARTZ Sigismond, Guingamp, Études pour servir à l’histoire du Tiers-État en Bretagne, Prud’homme, Saint-Brieuc, 1859.
- Jean Eudes (1601-1680), canonisé en 1925, fonde à Caen la congrégation de Jésus et Marie (eudistes) et celle de Notre-Dame de Charité vouées « aux Sacrés Coeurs de Jésus et Marie ».