La Madeleine Guingamp

La Madeleine Guingamp

Quand vous quittez Guingamp par la route dite départementale 64, si délicieusement raboteuse, vous tra­versez aux limites de la ville le quartier de la Madeleine, actuelle­ment en pleine expansion, mais au­trefois séparé de l’agglomération ur­baine. C’est que là exista et, de bonne heure, semble-t-il, un hôpi­tal. Un hôpital « spécialisé » pour­rait-on dire : II ne recevait qu’une sorte de malade, ceux qu’on appe­lait les « ladres », les « mésels », les « caquins », autrement dit les lépreux. C’était, en effet, là qu’était établie « anciennement la ladrerie », ainsi que le reconnaissait la « Com­munauté des Bourgeois », en sa séance du 17 mai 1629.

La lèpre était connue en Occident bien avant les Croisades, puisque dès la seconde moitié du Vè siècle, Agricola, évêque de Chalon-sur-Saô­ne, fondait un hôpital pour lépreux, près de sa ville épiscopale. Mais, à partir du XIè siècle et des Croisa­des, le fléau prit une extension considérable. Les malheureux qui en étaient atteints étaient un objet d’horreur : tout le monde n’avait pas la vertu héroïque d’une Sainte Elisabeth de Thuringe, d’un Saint François d’Assise ou d’un Saint Louis qui tînt à servir-à-table le lépreux de l’abbaye de Royaumont, « son malade », à s’asseoir à ses cô­tés et à partager son repas, ou qui baise tranquillement la main d’un « mèsel… qui à peine pouvait parler », au grand effroi de son entourage. Et le mal faisait peur ;  on redoutait la contagion. Aussi la so­ciété féodale prit le parti d’isoler les « mésels » dans des maisons spécia­lement destinées à ces malades. Au temps du roi Louis VIII, en 1225, on en estime le nombre, dans ses états qui sont loin de représenter la France actuelle, à 2.000. Il n’est donc pas étonnant que Guingamp « ait tenu » à avoir sa maladrerie.

Quand fut-elle fondée? Je n’en-sais trop rien d’absolument sûr. Mais j’inclinerais volontiers à croire qu’elle dut son origine aux Bourgeois-de-Guingamp et au Sei­gneur de Saint-Michel. Le« « cha­pelains » ou «recteurs » de la mala­drerie sont présentés, en effet, à l’approbation de l’évêque de Tré­guier « alternativement » par la « Communauté des Bourgeois » et le Seigneur de Saint-Michel. Ils ont droit de percevoir une rente — sym­bolique plutôt, tant elle était mini­me  de 3 sols 4 deniers au terme de « Sainte-Croix de Septembre » (14 septembre) sur le four « banal » de la ville, à Montbareil. Et la Communauté, elle aussi, a le droit de prélever les « offrandes qui tom­bent à la Chapelle le jour des Rogations ». Du moins, il en était ain­si en 1456, en 1462 et en 1512. Dès lors on peut légitimement conclure que les « Fondateurs » selon l’usage assez général au Moyen-Age, étaient bien ceux qui, par la suite, se ré­servaient le droit de présenter les administrateurs de l’hôpital à l’ap­probation du « Seigneur évêque de Tréguier ».

Comment était administrée la  léproserie ?   Évidemment comme  les autres léproseries du  Royaume. Les lépreux étaient en fait retranché de  la société et de son commerce. Il ne pouvait sortir qu’en  agitant   « flavel », sorte de cliquette qui annonçait son passage pour qu’on s’écarter de lui. Parfois même, il devait se résigner à être « cloîtré ». La léproserie ne tarda pas à devenir une petite cité, en bordure de la grande, avec puits, jardin, cuisine, chapelle,         cimetière… pour éviter tout contact avec   la population   saine et   même autant que  possible,  avec ceux – il s’en trouvait- qui avaient assez de charité pour se consacrer au service des reclus: le « Recteur », comme on  disait à Guingamp,  ou  Administrateur et ses auxiliaires. Il fallait aussi — l’Église l’exigeait — qu’elle eut sa chapelle où les malades puissent recevoir les Sacre­ments et les autres secours spiri­tuels. La Chapelle de notre léproserie était dédiée à Sainte-Marie-Madeleine, en qui l’on voyait la sœur de Lazare le Ressuscité. L’évêque de Tréguier avait le droit, le devoir même, en vertu de sa charge épiscopale de surveiller l’administration de la léproserie : « recteurs et chapelains » recevaient de lui  l’investiture officielle. Certains appartinrent aux grandes familles de la région : ainsi en 1512, les Bour­geois présentent à l’approbation de l’évêque, Missire Jehan de Botmilliau.

Il est probable qu’à ce moment la léproserie n’existait d’ailleurs plus, sans quoi il n’y aurait pas eu con­testation entre la « Communauté » et les tréffviens de Saint-Michel touchant les émondures des arbres d’environ la chapelle ; on les aurait volontiers laissées aux lépreux. Un siècle plus tard, des maisons se sont construites tout autour. Le chape­lain, Missire Jourin, recteur de Plouisy (dont relevé la paroisse tréviale de Saint-Michel sur te terri­toire de laquelle est bâtie la cha­pelle), voudrait la rendre « plus propre à la commodité du public, car elle est ruinée et démolie », Le 21 juillet 1630, le Maire de Guin­gamp, Henri Rigolet, fait part de cette intention à l’assemblée de la « Communauté ». Nos Bourgeois ad­mettent parfaitement l’opportunité de la mesure envisagée par le rec­teur de Plouisy… mais ils posent conditions, en leur qualité de co-propriétaires: Mestire Y. Jourin fera aveu à la Communauté et, qui plus est, il ferait réparer le chemin du côté d’icelle et l’entretiendra ». Ils ne perdaient pas de vue leurs intérêts  MM. les Nobles Bour­geois », tout « dévotieux » qu’ils fus­sent !

L’Abbé Y.  Jourin accepta-t-il contrat lèonin ? Je ne sais. Mais la chapelle fut quelque peu restaurée, puisque nous y trouvons en qualité de chapelain, en 1696, Y. Le Gac de Lansalut, parent de ce Claude Le Gac  de  Lansalut  qui  venait,  deux ans auparavant, d’acheter la charge de Sénéchal de la Cour de Guin-gamp,  pour  la somme  appréciable, très appréciable, de 44.100 livres, et frère de Jean-Marie Le Gac de Lansalut, en faveur de qui il résigne sa chapellerie le 24 mai 1702. Il semble que ses successeurs,   l’un  d’eux au moins, en prirent à  leur aise avec les obligations de leur c bénéfice ». Le 25 mai 1733, le Maire était char­gé d’avertir le Seigneur de Saint-Michel, M. de la Rivière, de qui  relevait la chapellerie au même titre que la Communauté des Bourgeois, que le chapelain ne desservait  plus la chapelle et ne l’entretenait  plus ainsi qu’il l’avait promis à sa nomination. En 1753, c’est au tour de de la Communauté de présenter son candidat à l’agrément de l’évêque : c’était F. de Visdeloup. Vingt-trois ans après, le chapelain, devenu recteur de Plounez, encourt le blâme de véhément de la Communauté. M. de Visdeloup se soucie fort peu de l’état lamentable de la chapelle; une partie est déjà « écroulée et assolée, la tour et la cloche est prête à tom­ber », ce qui en interdit l’accès aux gens du quartier. Devant l’attitude du recteur de Plounez, la Commu­nauté mit l’évêque de Tréguier au courant de la situation. L’évêque, M. de Lubensac, promit de rappe­ler ses obligations au «chapelain trop désinvolte. Le résultat de la démarche épiscopale ne nous est pas connu; en tout cas, M. de Visdeloup paraît bien n’en avoir tenu aucun compte. A la date du 2l décembre de la même année 1776, la Commu­nauté note avec une pointe assez lé­gitime de colère : « Rien n’est in­tervenu encore. Cependant voilà le ; moment où ils (les chapelains) n’oublient pas de percevoir les revenus de la chapellenie ». Et elle envisage de traduire le délinquant devant le Présidial. Les revenus étaient-ils suffisants pour entretenir et ré­parer la vétusté édifice ? Je ne sais: mais il est sûr que certains débi­teurs ne mettaient aucune hâte à s’acquitter de leurs redevances vis-à-vis du chapelain. Témoins cet Ollivier de Rocquancourt, sieur de Ké-ravet, et le ménage François Allain, sieur de Kercado, que la juridiction de Saint-Michel, le 20 octobre 1676, doit condamner à livrer au chape­lain Mathieu Le Bricquer, docteur en Théologie et vicaire — un des quatre vicaires-recteurs de Notre-Dame — les 7 boisseaux de froment qu’ils lui doivent annuellement — 7 boisseaux, environ deux quintaux de blé ; c’était peu de chose, c’était encore trop, parait-il, au gré de nos gens.

La chapelle fut-elle réparée ? On ne sait En tout cas elle disparut sans bruit, ni bien qu’il en reste à peine le souvenir… et plus du tout celui de la « maladrerie » pour qui elle avait été bâtie et où les pauvres « mésels » achevaient, dans l’isole­ment, les dernières étapes de leur douloureux pèlerinage sur terre.

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