Histoire de l’ÉGLISE
Cet article concerne l’histoire de l’église Notre-Dame de Bon Secours avant qu’elle ne devienne une basilique (1899).
Après 1899, lire « Pourquoi une basilique »
Œuvre d’art davantage et légitime orgueil de la ville : l’Église Notre-Dame. L’église romane écroulée à la fin du XIIIe s. fut vite remplacée par une autre église de style «gothique». On dut y travailler fiévreusement car elle parait avoir été achevée avant Charles de Blois (1341-1364). On ne signale en effet parmi tant de libéralités aux églises et couvents de Guingamp faites par le Duc pour servir à leur reconstruction ou à leur agrandissement, que les fonds nécessaires à l’édification de la «Chapelle de la Trésorerie» sous le vocable de St Yves, dont il posa la première pierre, en présence de l’Évêque de St-Malo et de l’Abbé de Bon-Repos[1].
Cette chapelle de la Trésorerie ou de St-Yves sera, avec la Chapelle ou «Cuer de Monsieur St-Jacques», le lieu des délibérations de la Communauté jusqu’en 1621 et même quelquefois après. L’Évêque de Tréguier, Pierre Morel, enfant de Guingamp, y viendra reposer après sa mort dans un «enfeu» en 1401.
L’œuvre était-elle solide ? Il est permis d’en douter ; et puis, la guerre de succession de Bretagne, avec tous les remous qui l’avaient suivie, avait fait délaisser les travaux de réparation ou de consolidation. Le conflit terminé, on se rendit compte quand même qu’il fallait intervenir : une bulle du Pape Nicolas V (10 févr. 1469) accordait des indulgences aux donateurs de fonds pour la restauration de l’Église. Et au lieu d’employer l’argent à consolider l’œuvre ou à réparer les dégâts, on s’avisa de le consacrer à l’agrandir. Le chœur jusque là se terminait par un chevet plat percé de trois fenêtres ; on décida de le continuer par une manière d’abside, avec chapelles et déambulatoires. Le terrain nécessaire fut acheté à Jehan de Bégaignon et sa femme Aliette du Fresne en 1462 (22 janvier)[2]. Des particuliers offraient des dons, tel Dom Jehan Le Croez, recteur de Tréveneuc, pour «ayder à soutenir les charges des édifices que l’on fait en ladite Église» écrit-il le 6 avril 1468).
En 1484 – sinon en 1480 – tout était terminé. Et le peintre verrier, Pierre du Moulin, travaillait à exécuter «deux vitres pour les deux fenêtres, de l’œupbre nouveau…» représentant l’une le Duc François II «Souverain seigneur» de Guingamp et sa deuxième femme, Marguerite de Foix, l’autre étant une copie de la «poultraictur estant en la ville de Malestroit»[3]. Tout ce travail fut presque ruiné pendant les deux sièges de Guingamp, comme le veut le Procès verbal du 17 juin 1599 par Pierre Marchant et Noël Allair.
Les Bourgeois et manants de Guingamp, avaient lieu d’être satisfaits : ils avaient l’Église de leurs vœux ; non pas sans doute grandiose à l’échelle des grandes cathédrales avec ses 60 m. de long, ses 35m. de large, mais belle et originale avec son double transept, ses deux collatéraux, son porche occidental bien encadré par deux tours dont l’une abrite l’horloge – un des plus anciens monuments de la ville puisqu’il mit aux prises l’administration épiscopale et le Procureur des Bourgeois en décembre 1471, avec ses deux portails du Nord, dont l’un va devenir célèbre : le «Portal» de N.D. – où les Pèlerins viendront vénérer «l’ymaije de la Vierge»[4] et dont l’autre prendra le nom de «porche de Ste-Jeanne» avec sa porte au Duc débouchant sur le «Château», sa «Pyramide» ou flèche de 57 m. portée par les quatre massifs qui ont gardé les traces du roman primitif mais qui nuisent si fort à l’élégance intérieure.
Ils peuvent admirer la robuste sveltesse des arcs-boutants consolidant les fragiles colonnes du chœur.
Mais pourquoi a-t-on eu l’idée, plutôt saugrenue, de plaquer une sacristie postiche contre le bras nord du transept et d’aveugler ainsi les grandes verrières ? Tout ce coin est sombre. Ne serait-ce pas là la raison qui a déterminé nos gens à déplacer les orgues – car ils s’étaient munis d’orgues pour «soutenir le chœur» – et à les fixer dans la partie Sud au bas du transept[5]. Telle quelle l’Église N.D. était imposante et digne des Ducs qui vinrent s’y agenouiller : Ch. de Blois, Pierre II et sa pieuse épouse Françoise d’Amboise, la Reine Anne.
Certaines parties pourtant manquaient de solidité et en particulier les deux tours de l’Ouest. L’une d’entre elles, le 29 novembre 1535, s’écroula écrasant le Portail, une partie de la nef et l’habitation du sacriste : un long phylactère qui déroule ses replis à la base de la nouvelle tour rappelle l’événement : «la vigile de St-André, l’an mil cinq cent trente et cinq, la grande âme piteuse à voir fut de cette tour qui à terre vint». On ne la laissa pas à terre, on déblaya les ruines et le 5 février 1537, toujours suivant l’inscription, on posait la première pierre de la nouvelle construction. Nouvelle, elle l’était à un double titre, car on allait adopter pour l’œuvre une formule nouvelle, un «style» nouveau : le style «Renaissance». Deux maîtres d’œuvre : Henri Beaumanoir, un grand artiste, et Hémeri dont S. Ropartz a donné le devis (T.II pp. 177-183), avaient proposé d’édifier la tour neuve sur un plan qu’on jugea démesuré : une tour carrée de 90 pieds, une flèche octogonale de 110 pieds, quatre lucarnes de 30 pieds, quatre clochetons de 45 pieds et des arcs-boutants proportionnés. Probablement en plus, il fallait prévoir une flèche semblable sur la Tour de l’Horloge de solidité douteuse. On fut effrayé à juste titre. Le projet n’eut pas de suite[6]. On s’adressa alors à Jehan Le Mouel (1539) auquel succédèrent
Gille Le Nouézex (1548-1554) Jean Le Cozic (1566-1570), Yves Auffret (1574-1580)[7] et, pour la charpente, Rolland Montfort de St Guéganton. Ces maîtres d’œuvre exécutèrent le bel ensemble «Renaissance» si riche par sa décoration ornementale qui compose le porche occidental, la Tour plate et le premier bas-côté sud. Les ouvriers qui taillèrent les belles pierres des «perrières» de Kérampilly, de Scouassel, de Kerlosquer en Bourbriac étaient assurément au fait de la technique de leur métier. Et non moins les «Maîtres d’œuvre» qui de 1537 à 1580 eurent à réparer le désastre du 29 novembre 1535 et surent concevoir cette partie originale et charmante de l’Église en s’engageant dans une voie différente de leurs prédécesseurs dont l’influence de Carhaix à Tréguier et à Étables se fera sentir.
Pour mener à bien une œuvre aussi importante, il fallut engager des dépenses considérables et, du même coup, prévoir un organisme capable de recueillir les dons et «aulmônes» et de régler les frais en conséquence. D’ailleurs en dehors des périodes de travaux, des offrandes étaient faites à l’Église N.D. en argent, en immeubles, en terres, tantôt à titre gratuit, tantôt grevées de charges à acquitter, ce qui suppose une administration spéciale. Ce fut évidemment le travail des Bourgeois qui avaient entrepris de bâtir ou de rebâtir leur église, au moins des plus capables ou des plus riches d’entre eux, d’une élite qui peu à peu va se dégager pour former un véritable corps paroissial dont les attributions financières du début s’élargiront, on le verra, et déborderont le cadre religieux. Tout normalement aussi, les Bourgeois penseront à déléguer leurs pouvoirs de gestion temporelle à quelques-uns d’entre eux et pendant un certain temps, d’où l’institution de «Gouverneurs», de «Procureurs» ou encore de «Fabriques» que l’on trouve parfaitement établis dès 1423[8] et recevant au nom de la «Fabrique» – ainsi s’appela l’organisme chargé du «temporel» ou des biens de l’Église -des «places de maisons et leurs courtils et appartenances». Ils étaient avant le XVIIe s. au nombre de deux, l’un portant le titre de co-adjuteur, choisis pour une durée variable. Ce n’est qu’en 1611, sur l’avis de l’Abbé de Bégard, Jean Fleuriot, qu’ils resteront en charge six années durant, décision d’ailleurs nullement respectée par la suite[9]. Il semble que l’Évêque de Tréguier par la voie de son official de Guingamp ait essayé de mettre la main sur la nomination des Gouverneurs de l’église N.D. En 1458 et 1497 l’official préside aux élections, mais le 26 septembre 1499, les Bourgeois élisent d’eux-mêmes leur fabrique, et les lettres patentes du roi François 1er[10] en date du 18 juin 1532, les confirmeront dans la possession d’un droit «de tout temps immémorial» et dans la libre disposition des réserves de l’Église, «sans y appeler l’Évêque de Tréguier, ses officiers ni autres». A son entrée en charge le Gouverneur prêtait serment de «bien fidellement se comporter en laditte charge…» et, à ce qu’il semble, fournissait un «bref état» de temps en temps -en 1611, tous les trois ans – devant le Sénéchal, le Maire, l’un des vicaires et six des «auditeurs» des comptes, pratique qui devint officielle par arrêt de la cour ecclésiastique et royale de Tréguier, du 17 mai 1622, malgré les résistances des Bourgeois, jaloux de leurs prérogatives[11].
L’Église N.D. était véritablement le centre de la vie religieuse de Guingamp. Rien d’étonnant qu’ont ait voulu la décorer avec peut-être plus de profusion que de goût : tout cela a disparu et force est de nous contenter des descriptions sommaires contenues dans les Inventaires ou les Rentiers des Archives Paroissiales[12] d’ailleurs plus concordants entre eux ; disparu le «ciborium» abritant le maître-autel ; disparues les courtines de satin rouge et tous les autres parements, dons de Charles de Blois ; disparus du Trésor les ornements précieux : l’ornement rouge de Monseigneur de Blois, la «tapisserie de haute lisse pour garnir le chœur, intitulée la Frérie Blanche» de sept pièces – les pièces d’orfèvrerie, le calice d’argent doré de Messire Guillaume Roumoulin et «la Croix avec son crucifix monté sur une pommelle de cristal avec deux branches qui y soubstiennent la Vierge et Saint-Jean… le tout d’argent doré». Pertes irréparables et qui ne figurent déjà plus à l’inventaire de 1671 ; disparu aussi l’autel St-Denis, alias de la Trinité, avec les «images de la Trinité, le crucifix avec un bon et un mauvais larron, Saint-Denis, Saint-Briac, Saint-Yves entre le riche et le pauvre dans leurs niches relevées de belles sculptures», disparus encore des tableaux représentant la Vierge, l’Église de Guingamp, un évêque et, comme il sied, les donateurs Bertrand Gouyquet, du côté de l’Évangile, sa femme Marguerite Chéro, vers l’Épître, entourés de leur famille, leurs neuf enfants (six garçons et trois filles) ; disparus également le retable de l’autel Saint-Etienne ; toutes œuvres d’art commandées en 1523 à des ouvriers hollandais, par Messire Gouycquet et perdues malheureusement[13].
Et on tenait tant à s’y faire inhumer, selon une coutume que les arrêts du Parlement de Bretagne de 1719, 1758 et les ordres mêmes du Conseil Royal de 1776, auront tant de mal à déraciner. C’est l’évêque de Tréguier, P. Morel, Guingampais d’origine qui «élit» sa sépulture en la «Chapelle Saint-Jacques ou mêmement ses frères, sœurs et autres de ses parents, sont ensevelis» (acte du 28 juillet 1395) dans un «enfeu» avec son «gisant».
C’est pareillement dans son enfeu, Rolland de Coatgourden, Sire de Locmaria, Sénéchal de Bretagne (1346-1363) à gauche du maître-autel. C’est Maître Lespinier vis à vis à main droite en sortant de la sacristie. C’est la famille de Pinart de Cadolan, qui de plus s’était réservée une chapelle prohibitive, tout comme la famille de Locmaria. Ce sont les Ducs de Penthièvre, Jehan de Brosse et Sébastien de Luxembourg qui vinrent reposer dans la voûte sous le grand autel, en 1600[14] en attendant que Marie de Beauquere, dame de Martigues vienne les rejoindre, le 4 octobre 1613, tombe enfouie dans l’oubli jusqu’au 22 septembre 1888[15]. Et d’autres moins illustres à qui cet honneur – car c’en était un et très prisé – fut concédé, tel Jehan Aillet de Guingamp à qui les Procureurs de la Fabrique, Pierre Le Dantec et Yvon Le Goff, accordèrent un emplacement de tombe et lieu de sépulture «jouxte le pillier Soubzain de la Chapelle de Monsieur St-Jacques», en considération des bienfaits, aulmones, fruits donnés à l’église N.D. (25 octobre 1523).
Tout autre est la coutume parfaitement établie dès le XVe s. au moins[16] pour les Bourgeois de Guingamp, de tenir les Assemblées de leur «Communauté» dans l’Église N.D. en la Chapelle de Monsieur St-Jacques au «Postcommun de la Grand-Messe» ou encore après Vespres. Et, cela jusqu’en 1621. Le 21 février de cette année «par avis du Sénéchal et des Bourgeois» dorénavant on fera la Communauté en la Chambre de la Ville près la Tour Neuve. Ce qui ne les empêcha d’ailleurs pas, en cas de réunion nombreuse, de siéger encore dans la chapelle St-Jacques par exemple les 7 mai et 21 juillet 1626[17]. C’est là également que pendant longtemps ils eurent leurs archives dans une grande huge de chêne à deux clefs[18] .
Au spirituel, l’Église N.D. était desservie par quatre vicaires qualifiés parfois «Chanoines et Chapelains»[19] égaux en dignité ; situation assez curieuse et d’origine inconnue. On serait tenté de l’expliquer en admettant qu’au début l’Église N.D. était l’Église du Château devenue par la suite (avant 1371) Église paroissiale (comme s’exprime le témoin XXXI du Procès de Charles de Blois) et que le Châtelain en nommait les desservants. Ces vicaires d’ailleurs pouvaient fort bien être munis de bénéfices étrangers à la ville de Guingamp ; ainsi en 1378 Messire Jean Fleuriot «Vicaire de l’Église N.D.» est, en même temps. Vicaire Recteur de Gurunhuel. Cette dualité de fonctions paraît avoir été fort à la mode à Guingamp aussi bien pour les «Vicaires» de N.D. que pour les prêtres attachés aux minuscules paroisses de la Trinité et de St-Sauveur.
En tout cas, les Penthièvre, en leur qualité de «Seigneurs Fondateurs» de l’Église, avaient le droit de présentation. C’est ainsi que le 17 mars 1539, Jehan, Duc d’Étampes, écrit aux officiers de Guingamp pour leur signifier que le porteur de la lettre est pourvu d’un «vicariat»[20]. Et c’est à lui que le 17 octobre 1547, Payen de Coatrieux remet sa démission de Vicaire. Pareille prérogative déplaisait bien un peu aux Bourgeois qui réclament de temps en temps le droit de nomination, lequel leur revient avec leur Seigneur Duc… de toute ancienneté. Prétention qui resta lettre morte bien entendu[21] .
Les revenus des Vicaires furent fixés par sentence de l’Évêque Jean de Ploeuc (1452. Lundi après la fête de la Purification) que leur communiqua l’official, Prigent de Munehoure, «licencié es-décrets et recteur de l’Église de Ploumagoar». Ils s’élevaient à 55 sols monnaye à chacun pour leur tiers des oblations. Firent-ils quelques difficultés pour admettre la sentence ? C’est probable, car le 19 juin 1532, le roi François 1er maintenait expressément les Gouverneurs de l’Église dans leurs droits d’y percevoir seuls les «offrandes et aulmones». N’étaient pas compris dans ces émoluments les revenus provenant de l’acquit de fondations, telle que la fondation ducale, faite par Mme de Martigues en 1601. En tout cas, la situation «canonique» de ces quatre vicaires ne laisse pas que d’être assez curieuse ; on pourrait presque la qualifier de collégiale, sans titre officiel. Le terme apparaît d’ailleurs dans la donation de Madame de Martigues (27 sept. 1601) : «Collégiale N.D. de Guingamp»[22].
A côté des vicaires ou recteurs de N.D., le prêtre sacriste, le «secrestain», comme l’appelle le testament de Pierre Morell (1395) a la garde de l’Église, des ornements, du Trésor. Dès 1400 on voit la Communauté de Ville choisir le sacriste, suivant une procédure qui parait avoir été variable. Tantôt comme en 1465, les habitants désignent 12 notables, à charge à eux de choisir le sacriste, tantôt comme en 1597, les gouverneurs, les vicaires, avec l’avis de la Communauté, nomment directement le titulaire[23].
Le sacristain jouissait de divers revenus[24] en plus de sa maison près de l’Église N.D. entre la maison de la petite Abbaye et celle du valet de l’Église. A son entrée en charge, il était dressé inventaire[25] et, de temps en temps, il était procédé à une visite détaillée des ornements, et des pièces du Trésor. Peut-être le Sacriste était-il tenu de fournir un «cautionnement» ; la chose en tout cas est certaine pour Missire René Legellot (12 déc. 1636).
Il y avait encore un organiste, on l’a vu, et d’assez nombreux prêtres, chargés du «desservissement» des diverses chapellenies ou altaristies (6 ou 7 à jour fixe généralement et choisis par les donateurs) ou bien aidant les vicaires à s’acquitter des offices des «fondations» (une bonne dizaine) messes, services funèbres, qu’annonçait parfois le son des cloches. Mme de Martigues prévoyait le 27 septembre 1601 une Messe chantée de «Beata Maria» le samedi, à laquelle assisterait un des «Officiers de la Cour», et la cloche «Bastien» qu’elle avait payée devrait sonner douze coups[26].
Chaque année, les fêtes du «Pardon» amenaient à Guingamp des foules considérables et affirmaient l’importance de l’Église N.D. L’origine du célèbre Pardon de N.D. est obscure. Il est lié, évidemment, au culte de la Vierge, mais reste à expliquer pourquoi il fut fixé au début de juillet, ce qui semble indiquer une relation avec la fête liturgique de la Visitation, dont la date d’incidence est le 2 juillet. La fête de la «Visitation» si populaire au Moyen-âge, est d’origine franciscaine incontestablement, sans doute de 1263. Elle dut être apportée à Guingamp par les Cordeliers installés on l’a vu au Faubourg de Montbareil en 1283 et dont l’influence spirituelle fut considérable. C’est déjà la fin du XIIIe siècle et, à cette époque, l’Église N.D., église de style «gothique», est presque achevée ou du moins très avancée et un pareil sanctuaire de dimensions aussi considérables, paraît en rapport avec un pèlerinage important. En tout cas, jusqu’à la seconde moitié du XIVe siècle, les textes ne parlent que des «indulgences de Ste Marie de Guingamp»… C’est ainsi que s’exprime l’enquête canonique sur la vie de Charles de Blois en 1371.
Un siècle plus tard (juillet 1457) apparaît l’expression «Pardon de N.D. de Guingamp». Et, en 1466, dans l’acte de fondation de la Confrérie des «Disciples de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ»[27] célèbre dans la suite sous le vocable de «Frérie Blanche», les fondateurs François Bertrand, Abbé de Ste-Croix, Prigent de Munhore, official de l’Évêque de Tréguier en son auditoire de Guingamp et ancien recteur de Ploumagoar, les Vicaires de N.D., les Recteurs et Chapelains «de la Ville et des meptes d’entour», le montrent déjà fixé au dimanche après la fête de St-Pierre et de St-Paul (29 juin). Et peu après, il anticipera sur le samedi précédent. Il est vraisemblable que de bonne heure, sinon au début, la manifestation extérieure en était marquée par une procession de nuit avec feux de joie à l’imitation des feux de St-Jean et de St-Pierre que n’encourageait pourtant pas l’évêque de Tréguier, Guy Champion, dans son ordonnance du 14 juin 1620[28]
L’Église N.D. affirme encore sa «primauté» dans la fête du «Sacre» c’est-à-dire du St-Sacrement. Une ordonnance de l’Archidiacre de Tréguier Jacques Fleuriot (9 juin 1574)[29], «vu le bon advis de certains bons personnages de la ville de Guingamp», prétendait obliger les «Religieux Cordeliers et Jacobins», les Recteurs des paroisses de St-Martin, de la Trinité, de St-Sauveur, de St-Agathon, de St-Michel, de Ploumagoar, de Ste-Croix «à prendre part à la procession du Sacre», et refait l’ordonnance du cortège avec une rigueur et une précision toute militaire. Fut-il obéi ? C’est autre chose, car l’ordonnance du «Grand Archidiacre» fut renouvelée le 10 juin 1618, le 14 novembre 1620, et encore avec quelques modifications par Balthazar Grangier en «visite généralle en l’Esglise de Guingamp» le 31 mai 1661, avec un succès relatif… puisque en 1761 «MM. les Recteurs firent défaut», attitude qui leur valut une condamnation par le Présidial, le 17 mars 1767[30]. Ce qui n’empêche pas les «sieurs Recteurs de N.D. de Guingamp, de prétendre des droits de prématie… aux jours du pardon chez leurs voisins», savoir : St-Michel, St Sauveur et la Trinité.
L’Église N.D. dont on vient de voir le rôle et l’importance, était bordée au midi[31] par une place, la «place où l’on vend l’avoine», puis plus loin, par le cimetière qui prendra plus tard le nom de cimetière «St-Louis», mitoyen des possessions de l’Abbaye de Coatmalouen ou «Petite Abbaye»[32]. Il sera désaffecté le 9 novembre 1792, transformé en parc à bestiaux, le 29 Pluviôse An II (17 janvier 1794) puis en jardins. Il occupait l’emplacement de maisons, de courtils, légués à cette fin par deux frères Eon et Charles Le Rolland de Plouagat, le 15 novembre 1423. Dans cet enclos on édifia une chapelle dédiée à St-Louis qui donne son nom au cimetière. Elle disparaîtra au cours du XVIIIe s. (1732). Plus durables seront deux autres chapelles inclues dans la «ville close» : l’une dans la rue N.D. sous le vocable «N.D. de Délivrance», dépendait de l’antique «Maison-Dieu» due à Ch. de Blois. L’autre près de la «Croez» de la rue des «Febvres» portait le nom de Chapelle St Yves, dont une rue rappelle encore le souvenir. Raoul Sarrazin paraît l’ignorer dans ses legs aux différentes églises de Guingamp en 1409. Mais le compte de Denis du Prez de 1447, l’indique expressément : elle a donc dû être construite entre ces deux dates[33] et elle servira d’église aux Carmélites.
Certaines notes qui suivent font référence aux Archives Paroissiales, qui ont été transférées à Saint-Brieuc, ces cotes ne sont plus d’actualité.
- [1] Procès de canonisation : T XXIII. Petrus de Capella qui ajoute : Officium Sacristerie fundavit in honoren Beati Yvonis. On peut lire dans S. Ropartz. T.I – pp. 60-62, le détail des dons faits par Ch. de Blois à l’Église N:D.
- [2] Archives Paroissiales de N.D.
- [3] Archives Municipales CC8 – Compte de Guil. Gouézou 1484 – Pierre du Moulin reçut 16 l. 10 sols.
- [4] Est-ce dans ce portail que la veuve de P. Simon, Thomine Morvan et son fils Pierre feront (acte du 25 novembre 1394) ériger un autel «contre la colonne» proche du trône ? Il est difficile de le dire.
- (Archives Paroissiales)
- [5] On connaît deux «organistes et conducteurs» d’orgues à ce moment : Charles Gay, 100 sols par an d’après (CC7-457) et Rolland Le Proteler (prêtre et organiste) en 1470, selon Archives Paroissiales. Les orgues furent écrasées par la chute de la Tour Sud, le 29 novembre 1535 – Archives Municipales : BB1 Délibération du 16.2.1536. Un nouvel instrument (1646) œuvre de H. Vignon et, pour le buffet, de
J. Fosset de St-Malo, coûte 2 700 livres. Le buffet devait servir de modèle au buffet d’orgues de l’Abbaye de Beauport. - [6] Archives Paroissiales. S. Ropartz. Histoire de Guingamp. T.I – pp.39-42.
- [7] Archives Municipales. CC1-S Ropartz, Histoire de Guingamp T.I – p.43-44. Le traitement annuel fixe parait avoir été de 12 livres monnaie – Jean de Brosse donnait 100 livres pour aider à l’achèvement de l’Église, le 10 mai 1543 et 50 livres encore le 22 octobre (Archives départementales des Côtes-du-Nord E. 943) et Madame de Martigues «vingt écus sol pour ayder à la réfection commencée» (1579).
- [8] Archives paroissiales Donation d’Eon Le Rolland, 15 nov. 1423.
- [9] Archives paroissiales et archives muncipales. BB2-f°23, 20 février 1611.
- [10] Archives paroissiales.
- [11] Archives paroissiales- Cahier de délibérations concernant l’église N.D., 3 mai 1604-14 décembre. 1784.
- [12] Entre autres, inventaires de 1465, 1673, 1680, 1683, 1724 et rentiers de 1784-1790.
- [13] Ropartz, Pierre Morell, bourgeois de Guingamp et évêque de Tréguier, Guingamp, 1862, p. 53. Le dernier des Évêques de Tréguier, Mgr Le Mintier, mort à Londres le 21 janv. 1805, y viendra reposer, dans l’enfeu de P. Morell, du 15 mai 1867 au 7 juillet 1868.
- [14] Archives départementales des Côtes-du-Nord, L.909, boîte 5, et Archives paroissiales, rentier de 1784, f°199-201, selon lequel Mme de Martigues fit une fondation de 120 l. de rente à l’effet de prier Dieu pour Jean et Bastien, ducs de Penthièvre, inhumés au cœur de l’église N.D. (26 sept. 1601) ou encore Demoiselle Jeanne du Cosquer, épouse de Rolland Jégou, sieur de Rustang, qui par don d’une rente perpétuelle, le 28 août 1595, acquiert le droit d’être inhumée en l’église N.D., «vis à vis» de l’image de Notre-Dame. Si bien que l’église, comme ailleurs, ne tarde pas à devenir une vraie nécropole.
- Cela n’empêcha pas pour autant qu’à certaines époques le peuple chrétien ait pris avec le lieu saint de singulières licences : l’église était vraiment la maison du peuple ; on y circulait librement, on y causait à haute voix, ce qui apparaît assez choquant aujourd’hui, et, en cas de maladie, sous prétexte de faire des neuvaines pour le patient, les parents et les amis s’y installaient à demeure, tant de jour que de nuit, y faisant des rondes, des danses, des jeux déshonnêtes, pire encore. L’évêque Pierre Morell stigmatise et interdit pareille extravagance en 1388, à peine d’excommunication et d’amende. Ce n’était pas là, note-t-il, un cas isolé dans le diocèse de Tréguier. Il faut y voir simplement un exemple de déviation du sens religieux.
- [15] Archives paroissiales Cahier de Paroisse. Fos 240-241.
- [16] Ropartz, Histoire de Guingamp. T.II -. Enquête de 1492 – pp.27-33 et s.
- [17] Archives Municipales, BB2 – fos 44-69-72.
- [18] Archives paroissiales, Archives de 1465.
- [19]Ainsi dans la fondation de Geoffroy de Dinan en 1371.
- [20] Archives départementales des Côtes-du-Nord, E.943. Liasse 17.
- [21] Archives départementales des Côtes-du-Nord, E.943. Délibération de la Communauté 1er sept. 1606 et 15 janvier 1517.
- [22] Archives départementales des Côtes-du-Nord, E.943. Liasse 17 E 1177.
- [23] Archives Municipales, CC7 et Archives paroissiales, dans S. Ropartz. Histoire de Guingamp T.I – p. 79-81.
- [24] Archives paroissiales, actes du 8 oct. 1455. 26 Avril et 13 nov. 1597.
- [25] Voir dans S. Ropartz, Histoire de Guingamp T.II – pp. 172-277, un modèle d’inventaire 12 août 1465 à l’installation de Ollivier Henry.
- [26]Rentiers divers, spécialement celui de 1784. La cloche est nommée Bastien en souvenir de Sébastien de Luxembourg époux de Madame de Martigues.
- [27] Archives paroissiales Lire pour la Frairie Blanche (Manuscrit) f° 31 – Rédaction de 1662 -Notons que dès 1377, les Indulgences de «Ste-Marie» paraissent fixées au samedi ou au dimanche qui suit la fête des Apôtres Pierre et Paul.
- [28] Archives paroissiales.
- [29] Archives paroissiales.
- [30] Archives paroissiales, et Archives Municipales BB2 – fos 10-11.
- [31]. II y avait aussi appuyées à l’édifice nombre de petites maisons, cabanes ou échoppes dont il sera bien difficile de se débarrasser. Voir exemple dans S. Ropartz : Histoire de Guingamp T.1 – p. 26 note 1.
- [32] Archives paroissiales. (donation de Eon Rolland) citées par S. Ropartz T.I – p. 36.
- [33] Histoire de Guingamp T.1 – p. 99 et p. 100 note2.
Histoire de Guingamp par le chanoine DOBET