Historique des Halles

Historique des Halles

Les halles de Guingamp du XIVe au XXe

À Guingamp, aux halles de bois (début XIV– milieu XVIIIe) ont succédé – en des lieux différents, mais peu éloignés du centre ville – des halles en pierre (milieu XVIIIe – fin XIVe), puis des halles à structure métallique (avec des murs de briques) et, dernières nées, des halles partiellement en granit, ardoises et matériaux modernes dans les années 1960… Il ne nous reste, in situ, aucune trace visible d’aucune d’entre elles. Nous allons essayer de retracer leur histoire. Elle suit les mêmes étapes que la ville dans son évolution urbaine, architecturale, mais aussi économique et sociale.

Qu’est-ce qu’une « Halle » ?

C’est un marché couvert…

Le mot « halle » apparaît en 1213, de halla d’origine germanique, « vaste emplacement couvert ». En anglais c’est le hall qui, à l’origine, a le même sens[1], mais est aujourd’hui utilisé y compris chez nous (un « hall » de gare) avec un sens moins précis qu’à l’origine : c’est n’importe quelle grande salle à usage public ou privé. Quand on disait « la » halle, c’est souvent qu’elle était destinée au commerce d’un seul produit : halle au blé, halle aux vins, etc. « Les » halles sont à l’origine essentiellement le lieu d’exposition (d’étalage) des produits alimentaires. Ce sont les premières construites dès le XIIe siècle dans toute la France (enfin, ce qui est aujourd’hui la France.) Les halles spécialisées dans un seul produit apparaîtront plus tard dans les plus grandes villes où l’activité commerciale diversifiée a pris plus d’importance et où il a fallu multiplier les sites (Rennes, Nantes).

En breton, on employa longtemps pour désigner ce marche couvert le nom de « cohue » qui viendrait d’un mot breton koc’hu ou c’hohu qui signifie « marché couvert »[2] … Ce mot a pris en français la signification d’une assemblée bruyante, de foule confuse… N’était-ce pas là exactement l’ambiance des halles où l’on s’interpellait, les marchands attirant les chalands, ceux-ci discutant des prix – car il n’y avait pas de « prix fixe [3] » ? N’est-ce pas encore l’ambiance d’une salle des ventes, de nos « criées » modernes — et de la « corbeille de la Bourse », avant l’informatique ? Sur le marché au beurre de Guingamp, place du Centre, tant qu’il a existé, le prix résultait d’un accord entre la fermière et la cliente, du moins jusqu’au moment où, en fin de matinée, les « marchands » annonçaient la cote officielle du jour[4] .

marche-au-beurreHalle ou cohue, c’est par essence un bâtiment urbain, mais on ne l’a jamais considéré comme un « monument historique » du fait d’une utilisation surtout populaire. Dans les villages, il n’est pas besoin de « halles » : chacun a son potager, quelques prés ou champs labourés, un peu d’élevage ; à la rigueur il y aura un « marché » en plein air à périodicité variable, et une foire annuelle.

À l’origine de la ville intra-muros, il reste des espaces non bâtis et, de plus, des jardins qui sont nécessaires : alimentation de survie en cas de siège… Par la suite, le nombre des maisons s’est multiplié aux dépens des jardins, et le risque de siège s’estompe à partir du XVIe siècle… Aussi l’espace jardins et vergers se limite à la partie comprise entre les remparts et le Champ-au-Lait [5], à l’arrière des maisons de la rue Notre-Dame et de la place centrale. Ailleurs, il n’y a que de minuscules parcelles. L’exploitation de ces jardins ne produit guère d’excédents commercialisables [6].

Ceux-ci peuvent provenir des faubourgs, surtout de ceux situés à l’ouest dans la plaine alluviale du Trieux : Sainte-Croix et surtout Saint-Sauveur [7]. Les faubourgs orientaux peuvent aussi apporter quelques produits : les maisons s’espacent le long des rues convergeant vers la ville et entre elles subsistent des espaces vides où peuvent être cultivés « herbes » ou « racines » comme on disait alors, selon que l’on consommait la tige et les feuilles (choux, salades, épinards…) ou les racines (carottes, navets, panais) [8].

Mais l’essentiel vient d’une zone plus vaste de la couronne rurale qui enveloppe la ville : céréales, miel, lait, beurre, animaux d’élevage, sans parler du cuir, du bois (les fagots), des fruits, du sel, etc. La « fabrique » de l’église Notre-Dame et la municipalité y possédaient des terres, des fermes et des métairies, dont l’excédent de production pouvait s’écouler sur les marchés ou dans les halles. Il en était de même pour les propriétaires de vastes manoirs, les produits de leurs terres dépassant leurs besoins propres.

Aux XIIe et XIIIe siècles, la petite ville de Gwengamp se développe sous la protection du château et d’une enceinte progressivement renforcée autour d’une église romane de grandes dimensions, ce qui suppose une population croissante, de plus en plus agglomérée le long de la rue qui traverse la ville en direction des ponts sur le Trieux. Là, se succèdent de façon continue les maisons des artisans, des commerçants – voire déjà des négociants – des administrateurs ducaux, des juges, des « bourgeois »…

Il y eut bien vite des marchés et des foires (celles-ci hors les murs, faute de place à l’intérieur, certaines dans les faubourgs) [9]. Là, on vendait légumes, volailles, lait, bétail, mais dès la fin du XIIIe siècle, il fallut songer à « construire un marché couvert ».

Les Halles du XIV e siècle

Déjà les grandes villes étaient pourvues de halles (Quimper [1209] et Rennes). Ce furent ensuite les autres, dont Dinan. Dans les comptes ducaux de 1306, il est fait mention de travaux aux halles de Guingamp, Chatelaudren, Lamballe, La Roche-Derrien [10]. La tradition attribue à Jean II la construction du « moulin au duc » (1302), vraisemblablement d’un ou deux fours intra muros, puisque le four aussi est privilège seigneurial… Et donc aussi des halles [11].

Il n’y a guère de choix : en plein centre, au point où convergent rues et ruelles venant des portes. Guingamp, ne l’oublions pas, est, grâce à ses gués, puis ses ponts Saint-Michel, un carrefour routier. Il y a là un espace grossièrement triangulaire. Est-il totalement vacant ? Il s’y est peut-être déjà construit quelques maisons… on ne dut pas hésiter à les démolir, car il faut de grandes halles, proportionnelles à la vitalité de la cité et à sa prospérité croissante.

Sur le plan de 1746, on voit comment était desservi ce « carrefour» interne de Guingamp sur l’axe « porte de Brest-porte Saint-Michel », avec la convergence de la rue de la Pompe (route de Pontrieux), des routes de Lanvollon (porte de Rennes), de Tréguier (l’évêché), de Corlay et de nombreuses ruelles : du Cosquer, du Pot-d’Argent, du Moulin-au-Duc… Le château, l’église ne sont pas loin, bien que distincts.

À la pointe du triangle, le point le plus élevé : une croix, un puits, puis un espace, dit « le martray » [12]. On y a élevé un poteau qui sert de pilori pour y exposer les condamnés. On peut y procéder à des exécutions en public destinées à impressionner la population. On y tient aussi des marchés ou des ventes aux enchères. Au nord du martray dans l’espace le plus vaste : les halles.

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C’est un vaste bâtiment rectangulaire si l’on se fie à l’échelle du plan dressé. Avant la démolition, on peut estimer que les halles avaient environ soixante à soixante-cinq mètres de long sur vingt-cinq à trente mètres de large. Ce sont les dimensions des quatre rangées de poteaux, mais le toit pouvait déborder largement afin de mettre à l’abri les marchands et leurs produits. Il semble qu’il y ait deux portes principales, une à l’est, l’autre à l’ouest, celle-ci n’étant pas centrale. Cela n’exclut pas la possibilité d’entrées secondaires sur chaque long côté car, par définition, les halles sont « ouvertes » : les portes s’ouvrent dans les pignons, parfois précédées de sortes de « porches en bois ».

Le bois utilise est le chêne, la région n’en manque pas. Nous savons que les constructeurs de maisons de bois, de moulins étaient des techniciens de haute qualité, charpentiers et menuisiers [13]. La structure interne des bâtiments est d’une grande complexité comme le montre le croquis ci-dessous [14].

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Les alignements de piliers déterminent de grandes « nefs » longitudinales mais, à ce bâti structurel, s’ajoute au rez-de-chaussée un aménagement plus morcelé. Les intervalles entre les poteaux verticaux permettent l’installation « d’étals [15] » : plateaux de bois où l’on « étale » la marchandise proposée. Ils peuvent être séparés les uns des autres par des demi-cloisons de bois. La largeur de ces alignements d’étals est calculée de façon à permettre aussi la circulation des acheteurs. Leur longueur peut varier selon la marchandise proposée ; de leurs dimensions dépend le prix de leur fermage (c’est-à-dire de leur location) ou de leur vente.

Les piliers de bois, probablement de section carrée (30 cm x 30 cm) avaient sur les côtés de 2 m à 3 m de haut, selon qu’ils s’appuyaient sur un muret, de hauteur variable, ou chacun sur un socle de pierre. Parfois, on avait des piliers de granit monolithique ou de maçonnerie. Les piliers intérieurs pouvaient atteindre 6 à 8 m, voire plus s’il y avait un étage utilisable sous le toit. Celui-ci était « en bâtière », c’est-à-dire en V renversé très évasé, débordant plus ou moins largement au-delà des piliers ou murets.

Si murets il y a, ils sont surmontés de larges ouvertures permettant l’aération intérieure et l’évacuation des odeurs (poisson, triperie, cuirs bruts…).

L’essentiel de la structure est en bois [16].

À Guingamp à l’époque, seuls l’église, le château, les portes de la ville sont en maçonnerie. Toutes les maisons sont en bois, du moins en parti : dans celles qui nous sont parvenues de la fin du XVe, elles sont en bols pour les façades sur la rue, ce qui permet les encorbellements, mais en pierre pour le reste et elles ont toutes un soubassement en pierre. Parfois d’ailleurs, ce soubassement provient des matériaux fournis in situ par le creusement de la cave, car le granit affleure (cave de la maison dite «. de la duchesse Anne », qui a sûrement été précédée sur le même emplacement par une maison à colombages). Même remarque pour le n° 1 de la rue Notre-Dame : par la cave, on descend au puits creuse dans le rocher ; certaines cloisons sont encore en colombage dans d’autres maisons, les escaliers à vis sont en bois, sauf parfois les premières marches.

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Que vend-on sous ces halles ?

À Guingamp, combien d’étals ? Probablement une centaine. Difficile d’en connaître en réalité le nombre exact. S’il y a neuf poteaux par alignement, cela fait huit intervalles de 7,50 m : c’est beaucoup pour un étal, II est plus vraisemblable que la dimension ait été plus réduite : la moitié ou le tiers selon la marchandise…

Quelles étaient les marchandises les plus représentées ?

D’après M. Leguay, au milieu du XVe siècle, il y aurait eu vers 1432-1440 des sauniers, des boulangers, des poissonniers et trente étals de bouchers, sans oublier les tripiers, « chaircultiers » et épiciers. L’importance des bouchers est un bon signe de l’aisance intra-muros [17]. La viande n’est pas de consommation courante dans la partie populaire de la population (en tout, trois à quatre mille habitants avec les faubourgs). Au centre ville tous les rez-de-chaussée sur les rues principales sont occupés par des artisans « de luxe » (cordonniers, orfèvres, serruriers, chapeliers, chaudronniers, « chandeliers », marchands de draps ou de toiles, etc.) et par des « officiers » (procureurs, avocats et notaires). Quant aux nobles du voisinage, ils avaient, en plus de leur manoir, résidence en ville, parfois hôtel particulier. Dans le compte de 1449, Denis Desprez signale dans la ville close vingt « ostels » qu’il distingue des « maisons ». Parmi les propriétaires « bourgeois » de ces « ostels », on retrouve des noms de famille connus : David (deux maires en 1380, 1470-1472), d’Estable (maires en 1456, 1467, 1492), Le Corre (un maire en 1393), Derien Michel (maire en 1405), Le Rouge (deux maires en 1420 et 1445), Le Dantec (1517 et 1518) [18]. Étant donné la date de ce « compte », on n’y retrouve bien sûr ni « l’ostel » de Merrien Chero construit en 1491, ni celui des Jégou (milieu du XVIe).

Au milieu du XVe siècle, Pierre est comte de Guingamp, puis duc de Bretagne. A qui appartiennent les halles ? Évidemment au duc qui en retire une « rente » (Guingamp est « ville ducale »). Les étals sont affermés (loués) aux marchands par un représentant du duc, qui prélève comme rétribution une part des fermages. Il apparaît dans les ar­chives de la paroisse que certains étals étaient non pas loués niais vendus. Certains ont été cédés en guise de donation à la fabrique par les familles qui en étaient propriétaires, en échange de l’obtention d’une sépulture dans l’église :

  • 1582 : un étal dans l’allée des boulangers,
  • 1634 : un étal dans l’allée des drapiers à l’entrée (famille Fallégan),
  • 1636 : deux dans la rangée des cordonniers, et un dans l’allée des merciers.

Ceci à titre d’exemple, il y en a eu d’autres.

Qui assure l’entretien de l’édifice ?

En principe, les frais des réparations sont répartis entre les bénéficiaires : rente ducale, part du « fermier » qui « loue » les étaux et part des utilisateurs, les commerçants. Personne n’est empressé ni de signaler les avaries (les toits sont exposés aux pluies et aux tempêtes), ni d’engager les réparations, et encore moins d’assumer les dépenses… Il y eut de longues périodes de négligence…

Après le décès de Pierre, son successeur Arthur III [19] octroie en 1457 un crédit de cent livres à prélever sur les droits de billot [20] pour construire une « plombée ». Il s’agit d’amener l’eau vive d’une certaine source qui est à une demi-lieue de la ville « car en icelle il n’y a aucune eau douce [21] dont ils [les Guingampais] puissent être servis »…Il faut donc construire « plombée » et fontaine, C’est à l’époque une vasque de granit qui n’est pas placée « dans les halles », mais à proximité immédiate « au bout soubzain » (au sud). Cela permettra une meilleure hygiène en usant largement de cette « eau douce » pour nettoyer sols et étals.

A la fin du XVIe siècle (1588…), la vasque fut transférée en haut du martray, ce qui nécessita pour son alimentation la construction d’un aqueduc qui enjambait le vallon des Lutins puis, par le Champ-au-Roy et la rue du Four, arrivait dans le bassin [22]. Le système ne sembla pas bien fonctionner. « L’auge de pierre » fut démolie et vendue [23].

On replaça une vasque près des halles. Le « service d’eau » sera rétabli vers 1625-1626 et fonctionnera vaille que vaille… jusqu’aux grands travaux du milieu de XVIIIe siècle.

Nous n’avons pas vu parmi les marchandises vendues dans les halles apparaître « les légumes ». Sans doute étaient-ils vendus à l’extérieur, autour des halles, plus ou moins à l’abri de l’auvent débordant, soit tous les jours, soit lors des trois marchés hebdomadaires.

Pour le lait et les produits laitiers, c’était le Champ-au-Lait. Les foires au bétail se tenaient, faute de place, à l’extérieur de la ville, sur le Vally et dans les faubourgs, à dates précises (dans les faubourgs Sainte-Croix, Saint-Sauveur, la Trinité. Le produit des taxes revenait à l’abbé ou au prieur). La foire du pardon à Guingamp finançait l’Hôtel-Dieu créé intra-muros par Charles de Blois.

Ainsi étaient assurés les besoins alimentaires de la population locale. Dans les rues secondaires et les faubourgs, de petits commerçants, les « regrattiers», vendaient dans leur petit étal les produits laissés pour compte aux halles ou après les marchés.

L’autre fonction des halles : le tribunal

Pourquoi un tribunal à Guingamp ? La ville est le siège de l’une des sénéchaussées du Penthièvre. Ropartz énumère toutes les juridictions qui avaient leur siège à Guingamp vers 1780 : il y en a cent-sept qui relèvent du sénéchal et onze autres. Évidemment tous les procès ne sont pas jugés à Guingamp (seulement ceux de trente juridictions), car il y a des juridictions directement liées à des familles nobles du secteur. Elles ont droit de haute, moyenne et basse justice selon la gravité des cas et la place du seigneur au nom duquel on la rend dans la hiérarchie féodale. Tout cela nous explique le grand nombre d’hommes de loi et d’avocats résidant en ville (en tout soixante-deux en 1789).

Où se rend la justice ?

Dans l’auditoire, à l’étage, au-dessus des halles, comme par exemple à Plouescat, à Guérande (ville ducale), ou Auray (mais pas au Faouët malgré les dimensions de l’édifice)[24]. C’est, aménagée sous les combles, une salle bien fermée à laquelle on accède par un escalier de bois qui est dans la halle. Elle n’occupe pas toute l’étendue du comble mais seulement une partie de la longueur des halles. Elle est munie de portes que l’on verrouille soigneusement en dehors de séances.

Jean-Pierre Leguay nous donne une description de celle de Guingamp.

« Sur un côté de la pièce, une estrade est réservée aux sièges : sénéchal, alloué, lieutenant ; sur les trois autres côtés, des bancs longs de 3,25 m, larges de 48 cm, avec dossiers et accoudoirs. En face du juge, c’est le banc des avocats, un autre pour les témoins et les greffiers, le dernier est celui des accusés. Il y a place pour quelques spectateurs. »

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Ajoutons un « juratoire », sorte de pupitre où l’on prête serment. Une « huge » (huche ou coffre) de bois munie de trois serrures de sécurité servait à conserver les documents nécessaires et les pièces du procès.

Dans cette salle un panneau surmonté d’un crucifix affiche les calendriers de fêtes et jours fériés du diocèse deTréguîer. » L’éclairage est assuré par six grandes fenêtres.

Ainsi donc, à proximité du château et de l’église s’affirmait à nouveau le pouvoir politique.

Toutes les halles n’avaient pas d’auditoire. Certaines avaient aussi un comble aménagé servant de dépôt de marchandises ou « halle », affecté à un lieu de vente spécialisé (drap ou toiles, par exemple).

Au nord-ouest un petit bâtiment est accolé aux halles. C’est la « prison » [25]. De petites dimensions, elle ne sert que durant le temps de procès. Depuis le XVe siècle, les suspects sont incarcérés dans les vieilles tours de la porte de Rennes où se déroule aussi l’interrogatoire des prisonniers (chambre civile et criminelle) et leurs entretiens avec leurs avocats.

Il n’y avait pas à l’époque (sauf par les fameuses « lettres de cachet ») de condamnation à la prison. Les délits, bénins, étaient punis d’amende, les autres de peines plus lourdes, «afflictives et infamantes »: exposition au pilori, châtiments corporels, voire peine de mort [26]. À partir du XVIIe siècle il y eut aussi les « galères » (pour les hommes).

Des « chaînes de forçats » traversaient Guingamp vers Brest. On les logeait pour l’étape de la nuit dans la chapelle Saint-Nicolas (ils n’avaient pas été juges à Guingamp).

Dernier élément : La salle de la « communauté de ville ».

Regardons maintenant sur l’autre long côté des halles vers la droite : un bâtiment y est accolé, tel un navire amarre… C’en est bien le cas, après quelques péripéties que nous allons résumer.

Longtemps les réunions « municipales », comme celles des fabriques paroissiales, se tenaient dans les églises faute de lieux spécifiques. À Guingamp c’était dans la chapelle Saint-Jacques (là où Mgr Morel fut inhumé [1401]). Un examen attentif de la façade sud de l’église Notre-Dame permet quelques réflexions. L’étude de la maçonnerie à l’extérieur décèle une construction moins régulière et probablement plus ancienne que les parties qui l’encadrent : à droite, datant du XIVe siècle, le porche sud ou porte-au-Duc et, à gauche, la partie Renaissance. De plus, à l’intérieur cette fois, on peut constater une légère dénivellation du sol entre la partie sous l’extrémité droite des orgues et le pilier aboutissant à partir de là en droite ligne au transept. Ce qui peut laisser supposer que c’était une « chapelle » communiquant bien avec l’intérieur de l’église mais simplement par une porte… Ce qui en faisait – peut-être – une salle d’accueil. D’ailleurs on y avait créé une « chapellenie » pour les pèlerins de Saint-Jacques venant de Beauport, par exemple, avant de gagner les grandes routes du pèlerinage de Compostelle.

C’eût été un bon endroit pour délibérer… la porte restant ouverte… selon l’obligation faite aux élus de délibérer en public, ce dernier ne pouvant cependant intervenir. Lorsque l’on reconstruisit la partie effondrée [27], on eut l’idée d’aménager à l’étage une salle — bien éclairée par deux fenêtres — et d’y tenir les réunions. Les dimensions de cette salle haute et l’accès par un escalier en colimaçon ne se prêtaient pas à l’obligation de l’écoute par la population. Il fallut donc trouver une autre solution. Après quelques séances dans la chapelle Notre-Dame (l’emplacement du porche nord actuel), la communauté de commune décida de construire, accolé aux halles, un bâtiment qui fut le premier « hôtel de ville de Guingamp »…

Le plan de 1746 nous montre tout autour de cet ensemble halles-auditoire-prison-salle de la municipalité un espace bien vide. Soyons assurés qu’en l’absence de tout règlement quelques habitations s’étaient élevées de ci de là. Nous en aurons la preuve dans notre seconde partie : les halles du XVIIIe siècle

La situation au milieu du XVIII è siècle

La prospérité de la ville, bien qu’en perte de vitesse dans le secteur du textile, est liée au commerce et à l’artisanat. L’essentiel en est situé tout au long de l’axe principal de la ville entre la porte de Rennes et la porte Saint-Michel : rue de la portc-de-Rennes, rue Notre-Dame, rue Étroite… tout autour de l’ensemble central : cohue et martray, puis rue Saint-Yves.

Au long de cet axe, on compte dans les rez-de-chaussée plus de trois-cents commerces : cinquante « marchands » dont la spécialité n’est pas indiquée, six boulangers, un boucher [28] quelques artisans du bâtiment (vitriers, maçons, couvreurs d’ardoises), une dizaine en tout. Tous les autres sont évidemment des aubergistes et cafetiers, cabaretiers, mais surtout des marchands et fabricants de produits [29] : cordonniers, tailleurs d’habit, quelques tailleuses aussi, des ferblantiers, serruriers, marchands de souliers, chapeliers, ciriers, chapeletiers, menuisiers, libraires, orfèvres et argentaires, chaudronniers…

N’oublions pas les occupants des « étages », bourgeois et nobles, gens de loi, agents ducaux, etc.

C’est autour du martray et des halles que sont présents les habitants les plus imposés de la ville (quinze à vingt livres de capitation), rue Notre-Dame (dix à quinze), rue Saint-Yves (cinq à dix).

Depuis la construction des halles en bois et leur réparation au XVe siècle, l’environnement a bien évolué. Certes, il reste des maisons à colombage (les plus grandes, les mieux construites…), mais, dès la fin du XVIIe et surtout dès le début du XVIIIe siècle, les maisons de pierre se sont multipliées et on s’est préoccupé d’en aligner le façades… L’architecture, peut-on dire, est « moderne », c’est une tendance générale dans toutes les provinces. Ici, il n’y a pas besoin, comme à Rennes, d’un incendie [30] pour rénover… De plus, il a fallu encore restaurer la Plomée et le sculpteur Corlay a créé à la pointe du Martray un peut chef-d’œuvre à la fois utilitaire (un nouvel aqueduc assure une meilleure alimentation en eau) et décoratif.

Tout le reste est occupé par cet immense édifice « gothique » ; vétusté, ce « hideux colosse », où se juxtaposent les halles, l’auditoire et la salle de la municipalité. Il va falloir, c’est sûr, « reconstruire »… Où ? Comment ? C’est le problème qui se pose vers les années 1750. Il est complexe, à la fois financier, économique [31] et esthétique. Il faudra bien le résoudre. Démolir d’abord, reconstruire le plus rapidement possible…

Le chantier commencera vers 1750… interrompu par la Révolution, il ne sera achevé que vers 1840 : halles, tribunal, hôtel de ville, suppression des goulots d’étran­glement de la rue principale, travaux de voirie, arasement des « portes » et d’une partie des remparts, aménagement d’une vaste esplanade hors les murs (le Vally)… Un travail de près d’un siècle, un véritable programme « d’urbanisme ».

C’est un vaste bâtiment rectangulaire si l’on se fie à l’échelle du plan dressé. Avant la démolition, on peut estimer que les halles avaient environ soixante à soixante-cinq mètres de long sur vingt-cinq à trente mètres de large. Ce sont les dimensions des quatre rangées de poteaux, mais le toit pouvait déborder largement afin de mettre à l’abri les marchands et leurs produits. Il semble qu’il y ait deux portes principales, une à l’est, l’autre à l’ouest, celle-ci n’étant pas centrale. Cela n’exclut pas la possibilité d’entrées secondaires sur chaque long côté car, par définition, les halles sont « ouvertes » : les portes s’ouvrent dans les pignons, parfois précédées de sortes de « porches en bois ».

Le bois utilise est le chêne, la région n’en manque pas. Nous savons que les constructeurs de maisons de bois, de moulins étaient des techniciens de haute qualité, charpentiers et menuisiers [32]. La structure interne des bâtiments est d’une grande complexité comme le montre le croquis ci-contre [33].

Les alignements de piliers déterminent de grandes « nefs » longitudinales mais, à ce bâti structurel, s’ajoute au rez-de-chaussée un aménagement plus morcelé. Les intervalles entre les poteaux verticaux permettent l’installation « d’étals [34] » : plateaux de bois où l’on « étale » la marchandise proposée. Ils peuvent être séparés les uns des autres par des demi-cloisons de bois. La largeur de ces alignements d’étals est calculée de façon à permettre aussi la circulation des acheteurs. Leur longueur peut varier selon la marchandise proposée ; de leurs dimensions dépend le prix de leur fermage (c’est-à-dire de leur location) ou de leur vente.

Les piliers de bois, probablement de section carrée (30 cm x 30 cm) avaient sur les côtés de 2 m à 3 m de haut, selon qu’ils s’appuyaient sur un muret, de hauteur variable, ou chacun sur un socle de pierre. Parfois, on avait des piliers de granit monolithique ou de maçonnerie. Les piliers intérieurs pouvaient atteindre 6 à 8 m, voire plus s’il y avait un étage utilisable sous le toit. Celui-ci était « en bâtière », c’est-à-dire en V renversé très évasé, débordant plus ou moins largement au-delà des piliers ou murets.

Si murets il y a, ils sont surmontés de larges ouvertures permettant l’aération intérieure et l’évacuation des odeurs (poisson, triperie, cuirs bruts…).

L’essentiel de la structure est en bois [35].

À Guingamp à l’époque, seuls l’église, le château, les portes de la ville sont en maçonnerie. Toutes les maisons sont en bois, du moins en parti : dans celles qui nous sont parvenues de la fin du XVe, elles sont en bols pour les façades sur la rue, ce qui permet les encorbellements, mais en pierre pour le reste et elles ont toutes un soubassement en pierre. Parfois d’ailleurs, ce soubassement provient des matériaux fournis in situ par le creusement de la cave, car le granit affleure (cave de la maison dite «. de la duchesse Anne », qui a sûrement été précédée sur le même emplacement par une maison à colombages). Même remarque pour le n° 1 de la rue Notre-Dame : par la cave, on descend au puits creuse dans le rocher ; certaines cloisons sont encore en colombage dans d’autres maisons, les escaliers à vis sont en bois, sauf parfois les premières marches.

 

[1] .leloup Daniel, les Halles de Bretagne, Apogée, Rennes, 1999

[2] leloup Daniel, op. cit., p. 16 (d’après F. Favereau, Dictionnaire du breton contemporain, 1992).

Dans les années trente, deux des plus connus étaient deux frères, Job Auffret et « Pipi Beurre ».

[3] 11 a fallu attendre le début du XXe siècle à Guingamp pour voir apparaître sur les vitrines des magasins la mention : « entrée libre. prix fixe ».

[4] Dans les années trente, deux des plus connus étaient deux frères, Job Auffret et « Pipi Beurre ».

 

[5] Il ne prendra le nom de Champ-au-Roy qu’à partir du XVe siècle, avec la formation et l’entraînement des milices locales d’archers

[6] Cf. dans le bulletin n° 31, les cultures du jardin de l’hôtel du Cheval blanc.

[7] Sous la Terreur, quand on « révolutionne » les noms des rues, la rue Saint-Sauveur sera la « rue des Jardins ».

[8] Il faudra bientôt déduire de ces espaces les vastes terrains enclos des monastères, dès la fin du XIIIe siècle, puis au XVIIe. En principe, ces communautés se nourrissent des produits de leurs jardins.

[9] Le principal champ de foire était déjà là où fut aménagé (fin XVIIc, milieu du XIXe le Vally actuel.

[10] legay Jean-Pierre, Un réseau urbain au Moyen Age, éd. Maloine, Paris, 1981, page 68, note 45.

[11] Chaque faubourg est doté aussi d’un moulin e: d’un four, mais pas de halles.

[12] La Plomée est nettement plus tardive à cet emplacement (fin XVIe). Le premier réservoir au xve était juste auprès des halles ; il sera transféré en haut du martray en 1588.

[13] Nous savons l’excellence de leur travail dans toute la région, allant de Guingamp à Tréguier par Pontrieux ce La Roche-Derrien (maisons et moulins).

[14] leloup Daniel, op. cit.

[15] Ou « étaux » : c’était l’ancien pluriel ; « étals » a prévalu et évite la confusion avec l’outil «l’étau ».

[16] Dans les pays au nord de la Loire, sauf là où la pierre calcaire apparaît comme en Normandie. Dans le sud-est et le sud-ouest, la pierre domine

[17] L’abattage du bétail ne se faisait pas aux halles, les bouchers le pratiquaient chez eux (quartiers deMontbareil et de Pors-an-Quen où l’eau abondait.

[18] ropartz Sigismond, Guingamp, Études pour servir à l’histoire du Tiers-État en Bretagne, tome 1, Laffite Reprints, Marseille, 1982.

[19] Jusqu’alors descendant de Montbareil directement, l’eau pouvait, par simple gravitation, atteindre la vasque par la rue de la Pompe Notrte bulletin n° 35.

[20] Impôts sur les vins.

[21] Potable.

[22] Jusqu’alors descendant de Montbareil directement, l’eau pouvait, pat simple gravitation, atteindre la vasque par la rue de la Pompe

[23] Notrte bulletin n° 35

[24] Dans certaines villes, l’auditoire est accolé aux halles. Les halles, avec auditoire inclus, sont alors plus hautes que les autres..

[25] Voir notre builevin n° 25.

[26] le Goff Hervé, op. cit., p. 133-144.

[27] A ce moment peut-être, l’espace de cette « chapelle » pût être englobé dans une deuxième nef latérale sud allant du transept à la porte d’accès de la tour des cloches. La paroi extérieure de l’enfeu de M. Morel est une dalle monolithique, tandis que, par la suite, on construit des « arcs de décharge » (dès le xve siècle, voir abside côté nord).

[28] A Montbareil, 20 bouchers, 2 tripiers, 3 poissonniers (c’est la route de Pontrieux.).

[29] A partir des matières premières produites dans les faubourgs par la fonderie, les tanneurs, taillandiers, toiles et berlinge de Sainte-Croix ou revendeurs de marchandises importées.

[30] En 1720, Rennes fut ravagée par un immense incendie qui dura une semaine.

[31] Les halles sont le garde-manger de ville.

[32] Nous savons l’excellence de leur travail dans toute la région, allant de Guingamp à Tréguier par Pontrieux ce La Roche-Derrien (maisons et moulins).

[33] leloup Daniel, op. cit.

[34] Ou « étaux » : c’était l’ancien pluriel ; « étals » a prévalu et évite la confusion avec l’outil «l’étau ».

[35] Dans les pays au nord de la Loire, sauf là où la pierre calcaire apparaît comme en Normandie. Dans le sud-est et le sud-ouest, la pierre domine

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