La petite lisette, 21 janvier 1901

La petite lisette, 21 janvier 1901

Par M. Jean-Paul ROLLAND

Transcription par Jean Paul Rolland des journaux : « L’Indépendant guingampais »
Remerciements à Hyacinthe Desjars de Keranroué pour sa coopération

 

 

Lors de la visite du cimetière de la Trinité le 19 octobre 2019, j’ai remarqué avec mon auditoire cette petite tombe de marbre blanc. Les inscriptions sont à peine lisibles, mais dans les visiteurs, une personne connaissait l’histoire de la petite Louise Perrette !

Un ménage de braves gens : Monsieur et Madame Perrette habitent depuis quelque temps dans la rue du Grand Trotrieux avec leurs trois jeunes enfants. Thomas Perret, originaire de Guingamp, est ferblantier chez Madame Macé, rue Saint Yves ; la maman élève ses enfants : l’aînée Louise, 8 ans, appelée Lisette ; un garçon et une autre petite fille de 4 ans.

Lisette était une fillette charmante aimant se rendre utile. Le 21 janvier 1901, vers les 18 heures, sa mère l’envoie chercher une bouteille de pétrole pour la maison et du tabac à priser pour dix centimes à sa tante Ernestine Perrette. Elle se rend chez Macé où travaille son père, va le voir, puis continue sa course. Elle s’arrêta pendant quelques instants devant la pâtisserie Minar, place du Centre, où elle fut rencontrée vers 18 h 15 par une de ses voisines, la femme Guillou qui lui donna un sou pour acheter un gâteau en l’engageant à rentrer tout de suite chez elle. À partir de ce moment on ignore ce qu’elle a fait. La mère ne s’était pas tout d’abord inquiétée en ne la voyant pas revenir car elle croyait qu’elle était restée jouer avec les enfants de Mme Macé, comme elle le faisait quelques fois jusqu’à la fin de la journée de père.

Son père de retour à la maison vers les 19 heures, s’étonne de ne pas voir sa fille. Inquiets les parents interrogent le voisinage ; avec leur aide, ils inspectent les corridors, les entrées de maisons… mais rien.

À mesure que l’heure avançait, vers les 21 h 30, la maman se rend au bureau de Police prévenir de la disparition de sa fille.

Les agents de police, MM. Menou et Le Contellec se mirent aussitôt à la recherche place du Vally puis fouillèrent le Petit et le Grand Trotrieux, la passerelle qui mène à Saint Sébastien passant au-dessus du Trieux. Vers les 22 heures, Jean Le Bœuf, ouvrier tanneur aux établissements Jaguin, avertit l’agent Menou qu’il vient de découvrir la bouteille de pétrole dans un terrain vague au bord du Trieux. Les recherches s’orientèrent vers la prairie qui jouxtait l’usine à gaz et ce terrain vague pensant que la fillette ne pouvait pas être loin. Menou était accompagné de Simon, couvreur et Minier, tailleur d’habits. Rien dans cette première prairie ; ils sautèrent dans la seconde et là Menou découvre la pauvre petite victime, au bord du fossé plein d’eau, la tête enfoncée dans le ruisseau jusqu’aux épaules, ne donnant plus signe de vie et ayant encore au pied un de ses sabots rempli de sang. Ils se rendirent compte de suite qu’il y avait eu crime. Après les constations d’usage, ils transportèrent le petit corps à la maison.

Qui pouvait être l’auteur de cet abominable forfait ? Qui pouvait s’être acharné avec une telle rage sur cette innocente créature ?

La police était perplexe. Quelques arrestations furent opérées dans la journée du mardi, des perquisitions opérées, des hominidés interrogés, mais sans grand résultat.

Néanmoins, dans le nombre de personnes interrogées et qui eurent à répondre de leur emploi du temps de leur soirée, il se trouvait un dénommé Omnès, ouvrier tanneur depuis 3 mois dans la maison Jaguin, sur qui s’étaient portés aussitôt les soupçons de ses camarades. On savait qu’il sortait de la colonie pénitentiaire agricole de Saint Ilan à Langueux (c’est en 1843, qu´Achille Latimier du Clézieux jeta les fondements de la colonie pénitentiaire agricole de Saint-Ilan en compagnie d´une vingtaine de jeunes garçons issus de la colonie pénitentiaire de Mettray, près de Tours) où il avait passé trois ans pour avoir tenté de faire dérailler un train sur la ligne de Carhaix ; de plus il s’était vanté devant ses camarades, à différentes reprises, d’avoir volé une certaine somme à un cultivateur de Plouagat chez lequel il était employé. Enfin, il aiguisait fréquemment son couteau avec lequel, disait-il, il saignerait un homme, une femme ou un enfant, sans éprouver la moindre émotion ! Pour tous ceux qui avaient entendu Omnès tenir ces propos, s’il n’avait pas commis le crime, il en était capable. Cependant, dans le premier interrogatoire que la police lui fit subir, il nia énergiquement ; mais il se garda bien de dire qu’il avait quitté son travail, la veille à 16 heures, sans motif.

Mardi il vint à l’atelier, comme d’ordinaire, pourtant il était visiblement troublé. À chaque instant, il jetait son regard sur la prairie du crime, située en face. Plusieurs fois dans la journée Jean Le Bœuf qui était occupé avec Omnès à un travail spécifique, remarqua son trouble. Omnès avait du mal à tenir ses outils et fixer son attention sur son travail. Les soupçons de son compagnon s’accrurent encore et il dit à Omnès, à brule pourpoint : « Tu sais qui a fait le coup », il faut que tu parles ! Il niait toujours, mais faiblement.

Le lendemain, mercredi, comme Omnès se servait, pour racler une peau, d’un de ces couteaux qui peuvent, aux mains d’un criminel de sa sorte devenir une arme terrible ; Jean Le Bœuf, avec sang-froid et détermination, l’apostropha de nouveau, lui disant : « Mais avoue donc, c’est toi qui as tué l’enfant. Du reste, ajouta-t-il, le coupable va être arrêté. Tu sais que Cochefer, le chef de la sûreté de Paris est arrivé depuis hier soir avec ses plus fins limiers et 7 ou 8 chiens dressés à sentir les criminels. Tu feras mieux de dire ce que tu sais ».

Omnès fut dupe de cette histoire, ses jambes flageolaient, et, ses dénégations étaient si pitoyables que la conviction de Jean Le Bœuf, Lalès, un autre ouvrier tanneur et Charrois, le tambour de la ville qui se trouvait là fut faite : Omnès était coupable !

Charrois n’y tenant plus, sortit dans la rue du Grand Trotrieux où il trouva le brigadier Bourdin, les gendarmes Caradec et Maurice qui toujours perquisitionnaient et il les pria de se rendre à la tannerie pour interroger Omnès.

On fit entrer Omnès dans le magasin de M Jaguin, où les gendarmes l’interrogèrent et le sommèrent de révéler ce qu’il savait. Le misérable se défendit d’abord, inventa deux versions successives, prétendant qu’il avait vu un jeune homme attendre la fillette dans la venelle du pont, et sur l’observation du brigadier Bourdin qu’il menait, affirmant cette fois avoir vu deux individus sur le pont même. Devant ces déclarations contradictoires, ils le pressèrent de nouveau d’avouer qu’il était l’auteur du crime et de raconter la scène telle qu’elle avait eue lieu.

Pressé, torturé, poussé par un besoin irrésistible il finit par dire : « Eh bien oui, c’est moi. J’ai quitté mon travail lundi à quatre heures, je suis allé à la gare, et vers sept moins le quart, passant sur la rue du Grand Trotrieux, pour rentrer chez ma mère, qui habite rue des Salles, j’ai rencontré la petite Perrette, en face du café Bizec. Je lui ai dit de me suivre, en lui offrant des bonbons. Elle a traversé le pont sans difficulté ni défiance, puis a déposé sa bouteille de pétrole près du tas d’ordures ; je l’ai entrainée dans la prairie située de l’autre côté de celle qui fait face à l’usine à gaz où je l’ai étouffée en lui mettant ma main droite sur la bouche. Elle est tombée sur l’herbe, et là, après l’avoir violentée, comme elle respirait encore, je l’ai poussée dans la douve et je suis rentré chez moi ». 

Les gendarmes s’emparèrent du criminel et l’emmenèrent au Parquet (Ensemble des magistrats chargés, au sein d’un tribunal de grande instance et sous la direction du procureur de la République, de défendre les intérêts de la société).

La malheureuse petite Louise avait été transportée le matin même (mercredi) à l’hospice où M le docteur Corson, médecin légiste, pratiqua l’autopsie en présence des autorités judiciaires et médicales (dont le pharmacien Le Monnier). Les gendarmes y conduisirent Omnès qui, confronté avec sa victime, ne manifesta ni émotion, ni repentir, et, retraça encore la scène du meurtre, avec un cynisme qui révolta profondément les assistants.

Il fut ramené au tribunal, où le Procureur, M. Bidart de la Noë, délivra immédiatement un mandat d’arrêt et d’écrou, et de là, incarcéré à la prison de Pors-Anquen (prison actuelle).

La nouvelle de l’arrestation du criminel avait promptement circulé dans le public. Tout Guingamp était en rumeur. Quand, vers 13 h 30, le prisonnier sortit pour se rendre à nouveau au tribunal, c’est entre une double haie compacte qu’il accomplit ce trajet, défendu à grand peine par les gendarmes contre la foule indignée qui voulait le mettre en pièce, évaluée à un millier de personnes. Il recevait des coups de pied, des coups de poings, on essayait de l’atteindre de tous les côtés, et, si on l’eut abandonné cinq minutes aux mains de la foule, elle l’eut écharpé ! Les femmes lui jetaient des pierres et on entendit les cris de : « A mort ! À mort ! ».

Les obsèques de la jeune Louise Perrette ont eu lieu le mercredi 23 janvier 1901 à 15 heures au cimetière de la Trinité. Une foule nombreuse et sympathique suivait le convoi, auquel assistaient plusieurs autorités et notabilités de la ville. La douleur des parents est inexprimable ; on a dû garder à vue la pauvre mère, et il a fallu l’arracher de force, au cimetière, à cette tombe si prématurément et si tragiquement ouverte. Un jeune homme a lu des vers, composés pour la circonstance, qui ont vivement ému l’assistance.

Un groupe de jeunes gens a eu la généreuse pensée d’associer la ville de Guingamp tout entière au deuil qui vient de frapper si douloureusement la famille Perrette, et d’en perpétuer le souvenir. À cet effet, un comité s’est formé en vue d’élever un monument par souscription à la mémoire de l’innocente victime du crime de la rue du Grand Trotrieux.

Pierre Omnès était originaire de Lannion ; né en mai 1882, il avait 18 ans au moment des faits. Il habitait chez sa mère, dans la même rue que la petite victime, à quatre cents mètres environ du lieu du crime. De très mauvaise réputation, il passe pour être paresseux, sournois insolent, brutal. Il aimait se vanter d’être capable de tuer un homme, ajoutant qu’il ne craignait pas la Nouvelle Calédonie, où l’on était plus heureux là-bas qu’à travailler. Le 25 octobre 1895, le Tribunal correctionnel de Guingamp avait condamné Pierre Omnès à 4 ans de détention dans une maison de correction, pour tentative de déraillement de train. En effet, en gardant les bestiaux dans une prairie voisine de la ligne de Guingamp-Carhaix, il avait placé cinq énormes pierres sur la voie, à un endroit particulièrement dangereux, dans le but de faire dérailler le train. Le gardien du passage à niveau s’en aperçoit et retire les pierres. Il n’est pas satisfait et il recommence. Pour ce fait, il est poursuivi par le tribunal correctionnel de Guingamp. Il est acquitté comme ayant agi sans discernement, mais jugé dangereux, le tribunal le fait enfermer dans une maison correctionnelle où il séjournera quatre ans. Il sortira en 1899 sur la demande de sa mère en bénéficiant d’une grâce accordée par le Président de la République.

L’instruction a fait connaître que pendant qu’il était domestique chez les époux Le Floc’hmoën, à Plouagat, pendant les mois d’août et septembre 1900, il avait volé une somme de 60 francs dans le tiroir du buffet dont il savait que la clef était déposée sur ce meuble.

Audiences des 19 et 20 avril 1901

Au moment où Omnès pénètre dans la salle des Assises, un murmure de stupéfaction se fait entendre dans le public, qui est très nombreux. Comment se fait-il qu’un si petit homme ait pu accomplir un tel forfait !

Après lecture de l’acte d’accusation, le président procède à l’interrogatoire d’Omnès qui pleure et qui ne répond que par des monosyllabes aux questions qui lui sont posées. Vingt-huit témoins sont cités à comparaître, qui, en raison de son importance, occupera deux audiences.

La cour d’Assises des Côtes-du-Nord est présidée par M. Bourdonnay, conseiller à la cour d’appel de Rennes, assisté de MM Jégou et Cathala, juges au tribunal civil de Saint-Brieuc.

M. Guillot, substitut du procureur de la République, occupe le siège du ministère public.

M. Le Marchand, du barreau de Saint-Brieuc, est assis au banc de la défense.

Trois crimes sont relevés à la charge de Pierre Omnès :

  • Un meurtre et un viol sur la personne de Louise Camille Perrette, de Guingamp ;
  • Un vol au préjudice de ses anciens maîtres, les époux Floch’moën, de Plouagat.

Il n’est pas le moindrement émotionné par les détails de la lecture de l’acte d’accusation, il ne parait pas, cependant, inintelligent. Le président lui rappelle ses mauvais antécédents, malgré les efforts de sa mère, qui est une excellente femme, pout lui inspirer de bons sentiments. En attendant parler de sa mère, l’accusé pleure et ne cesse ensuite de pleurer pendant son interrogatoire. L’examen du passé de l’accusé montre en celui-ci un être fantasque, bizarre, à l’esprit hanté d’obsessions malsaines, vicieuses ou brutales.

Les témoins

Marie Anne Jacques, 32 ans, épouse Perrette, mère de la petite victime, se présente à la barre des témoins, vêtue de noire et, d’une voix attristée, rappelle les circonstances du douloureux événement qui lui a enlevé sa petite Lisette, si gentille, si aimée de tous.

Thomas Perrette, 35 ans, ferblantier à Guingamp, dit lui aussi d’une voix tremblante d’émotion, les affres de cette terrible nuit du 21 janvier. D’après les parents, leur fille, bien que très peureuse, s’attachait très vite à toute personne et aurait suivi facilement Omnès si celui-ci lui avait, par exemple, proposé des bonbons.

Mélanie Baudot, veuve Macé, 58 ans, quincaillère à Guingamp, a vu Louise Perrette chez elle vers 18 h 15. Le témoin donne d’excellents renseignements sur la famille Perrette et leur enfant.

Marie Yvonne Mahé, née Bourdon, 35 ans, débitante de tabac à Guingamp, a vu la petite Perrette chez elle vers 18 h 30.

À 19 h, après avoir entendu tous les témoins, le président lève l’audience et l’on s’empresse de quitter cette salle à l’atmosphère étouffante de chaleur et de relent de crime.

M. Désiré Charles Pellé, directeur de l’Usine à gaz, dont la maison d’habitation se trouve à 80 mètres du lieu où a été accompli le crime, dinait avec sa famille le 21 janvier, vers 19 h 15, quand il entendit un cri. Quelques temps après, son chauffeur vint lui apprendre qu’un crime avait été commis.

Réquisitoire et plaidoirie

M. Guillot, substitut du procureur de la République, dans un exorde (introduction, préambule) magnifique à son réquisitoire déplore que de pareils crimes se produisent dans l’humanité, dans cette humanité pour laquelle tant de civilisation, de religions et de philosophies ont enseigné l’ordre, la pitié, l’amour, la sagesse, la prière, la liberté, pour laquelle tant d’hommes sont tombés, ont donné leur vie.

Prenant ensuite les faits de l’accusation, le ministère public fait ressortir avec une force saisissante toute l’horreur des crimes commis par Omnès. En vain, dit-il en substance, rechercherait-on en faveur de l’accusé la moindre circonstance atténuante. La mère a fait le possible pour qu’il devint un honnête homme ; il a été mis en mesure de connaître le bien et le mal, de choisir entre les deux. C’est de sa libre volonté qu’il a choisi et suivi le chemin du mal, qu’il s’y est complu, qu’il a risqué le châtiment. Sa jeunesse même ne peut être invoquée car il n’avait plus rien à apprendre du mal. Il a joué avec le crime, il a perdu et malgré ses efforts pour éviter le châtiment, pour égarer la justice, il doit payer, il paiera. Il a commis un crime épouvantable. Il mérite la mort.

M. Lemarchand avait la tâche très ardue de défendre Omnès. Le sympathique avocat s’en est acquitté comme toujours avec un beau talent oratoire et une argumentation très sérieuse dans une cause si difficile.

Il invite les jurés à ne pas se laisser impressionner ni influencer par le redoutable réquisitoire du ministère public, d’écouter un peu la voix de la pitié, de la vraie justice, non de la vengeance !

Verdict

Le jury se retire dans la chambre des délibérations. Il répond aux questions posées :

Pierre Omnès est-il coupable d’avoir :

  • En 1900, dans la commune de Plouagat soustrait frauduleusement une certaine somme d’argent aux époux Le Floc’hmoën, dont il était domestique ;
  • Le 21 janvier 1901, à Guingamp, commis le crime de viol sur la personne de Louis Camille Perrette, âgée de moins de quinze ans accomplis ;
  • Le même jour, au même lieu, volontairement donné la mort à ladite Louis Perrette, avec cette circonstance que ce meurtre a précédé, accompagné ou suivi le rime de viol ci-dessus spécifié.
  • Le jury rentre avec un verdict affirmatif sur toutes ces questions.
  • En conséquence, la Cour condamne Omnès à la PEINE DE MORT, et décide en outre que l’exécution aura lieu à Guingamp.

Le samedi matin 6 avril 1901, Omnès fut extrait de la prison de Guingamp puis conduit par le train à la prison de Saint-Brieuc.

Le samedi 15 juin, on peut lire dans « l’Indépendant guingampais » : ARRIVÉE D’OMNÉS. EXÉCUTION PROBABLE (Par P. Le Goaziou).

Omnès l’assassin de la petite Perrette, condamné à mort par la cour d’assises des Côtes du Nord, a été transféré de la prison de Saint-Brieuc à celle de Guingamp, où il attendra le moment d’être fixé sur son sort. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’Omnès, la Chancellerie et la commission des grâces ne lui sont pas très favorables et la commutation de peine, qu’on croyait absolument certaine au début ne le serait pas autant aujourd’hui. C’est pour ces raisons que le parquet général a fait transférer à Guingamp l’assassin du Trotrieux.

Jusqu’à ce jour Omnès a eu la conviction qu’il serait gracié et que son vœu le plus cher « aller à la Nouvelle (Calédonie) » serait réalisé. Dans sa cellule il ne semblait aucunement se soucier de la condamnation prononcée contre lui. Il s’amusait avec ses codétenus, riant avec eux, parlant même, sans en paraître aucunement gêné, de son exécution, on peut dire qu’il ne s’agissait pas de lui. Le voyage qu’il vient de faire a dû probablement altérer sa sérénité d’esprit et lui donner d’autres idées.

Le samedi 22 juin 1901 dans « l’Indépendant guingampais », on lit :

OMNÈS GRACIÉ

Par décret du Président de la République en date du 15 juin dernier, l’immonde gredin d’Omnès a vu la peine de mort prononcée, à raison, contre lui par la Cour d’assises, commuée en celle de travaux forcés à perpétuité.

L’opinion publique est encore consternée par cette mesure de clémence que rien ne justifie.

Désormais, les assassins auraient tort de se gêner ; un coup de couteau à un pante (honnête homme) pour le débarrasser de son portemonnaie et de sa vie, et en route pour la Nouvelle (Calédonie).

Dans la Terre Promise, ils seront heureux, pourront se marier et devenir propriétaire !

Après tous les crimes atroces qui se sont commis depuis quelques temps dans notre département, un exemple sévère s’imposait !

Si la société ne reconnait plus le droit de se venger en exécutant les criminels, qu’elle supprime de notre Code la peine de mort. Dans le cas contraire, qu’elle l’applique avec fermetés et toujours dans un cas pareil à celui d’Omnès.

Qu’elle condamne ces criminels à la réclusion à perpétuité ou qu’on rétablisse les bagnes en France, afin d’avoir sous la main ces triste individus pour leur faire faire réellement des Travaux publics !

Il n’en manque pas à exécuter en France qu’on ne peut réaliser faute d’argent…

Alors ?

Qu’on les envoie dans nos Colonies les plus malsaines pour les améliorer au lieu d’employer à cette besogne nos malheureux soldats qui y meurent comme des mouches !

Malgré le dire des partisans de la suppression de la peine de mort, cette terrible sentence donne à réfléchir et peut arrêter sur la pente du crime bien des hésitants !

Dent pour dent, œil pour œil, quiconque tue, mérite la mort : n’est-ce pas la loi naturelle ?

Et maintenant, pauvres parents, qui pleurez toujours votre innocente enfant, morte dans d’horribles souffrances, victime d’un satyre trouvé trop jeune pour subir le châtiment suprême, veuillez agréer de nouveau mes plus sincères condoléances et l’expression de ma plus vive sympathie.

P. Le Goaziou de L’indépendant guingampais de 1901

 

Pierre Omnès décèdera à Cayenne le 6 août 1917.

Le barde Dir Na Dor de son nom Yves le Moal (Erwan ar Moal) de Coadout (1874-1957) écrira, sur feuille volante, une gwerz* en breton sur ce crime, sous le titre : Torfed Gwengamp (Crime à Guingamp).

Voir le gwerz (patience à l’ouverture et dérouler la page) : clic ici.

Voir également sur le site de Criminocorpus.

* Une gwerz (en breton, au pluriel gwerzioù) est un chant breton (kan a-boz) racontant une histoire, depuis l’anecdote jusqu’à l’épopée historique ou mythologique. Proches des ballades ou des complaintes, les gwerzioù illustrent des histoires majoritairement tragiques ou tristes, avec un aspect fantastique.

Transcription par Jean Paul Rolland des journaux : « L’Indépendant guingampais »
Remerciements à Hyacinthe Desjars de Keranroué pour sa coopération
Photos : Jacques Duchemin

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