La chasse au furet et les fusils dans le pays de Guingamp pendant l’Occupation

La chasse au furet et les fusils dans le pays de Guingamp pendant l’Occupation

Par Mona BRAZ, présidente des Amis du Patrimoine de Guingamp

 

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Illustrations en fin d’article

 

LE CONTEXTE

Le XIXe siècle se termine sur un paradoxe : la France possède une industrie armurière qui exporte des armes vers le monde entier, alors que la législation nationale restreint la possession d’armes par les citoyens. Cette situation reflète les tensions persistantes entre les impératifs économiques, les considérations de sécurité nationale et les débats sur les libertés individuelles.

Puis à l’orée du XXe siècle, vient la Grande Guerre 14-18. L’état de siège décrété le 2 août 1914 et levé le 12 octobre 1919, donne le droit à l’autorité militaire, donc aux gendarmes, « d’ordonner la remise des armes et munitions, et de procéder à leur recherche et à leur enlèvement » en application de la loi du 9 août 1849 sur l’état de siège.

A peine pansées les plaies de la Grande Guerre qui devait être la « der des der », vient la Seconde Guerre Mondiale. Et, le décret-loi du 18 avril 1939 fixe le régime des matériels de guerre, armes et munitions.

Ce décret, pris dans l’urgence d’une situation exceptionnelle par les évènements politiques de cette époque, fixe encore aujourd’hui dans les grandes lignes le cadre législatif des armes. Le gouvernement français, en préparation du conflit contre l’Allemagne, prit ces mesures afin de désarmer les Français et ainsi maîtriser une éventuelle révolte civile née des conditions de vie difficiles pendant le conflit.

Dès l’entrée des troupes allemandes sur le territoire national français, une ordonnance du 10 mai 1940 interdit la détention des armes. Cette ordonnance est précisée par celle du 5 mars 1942. Sont notamment et explicitement interdites à la détention les armes de chasse, les pièces détachées des armes, les munitions et autres matériels précédemment prohibés. Toutefois, des exceptions sont prévues pour les armes, munitions et à tout autre matériel de guerre dont le port est autorisé en vertu d’une autorisation écrite, délivrée par une autorité allemande.

Dans la foulée de cette prohibition, les armes à feu sont réquisitionnées et les maires sont tenus pleinement responsables de la mise en exécution exacte de la loi.

Les remises volontaires ayant été jugées insuffisantes, un délai supplémentaire prolonge cette ordonnance jusqu’au 1er avril 1942, le tout assorti de menace de peine de mort. Les Français apportèrent en masse leurs armes dans les mairies, les commissariats et les Kommandantur. Par manque de temps, les armes étaient très rarement enregistrées. Si c’était le cas, les numéros ou les particularités des armes n’étaient jamais mentionnés, et des récépissés étaient rarement délivrés. De ce fait, la quasi-totalité de ces armes ne sera jamais récupérée par leurs propriétaires.

A la fin de l’année 1941 une estimation partielle fait état de 700 000 armes remises dont 100 000, les plus beaux et performants, prennent le chemin de l’Allemagne en tant qu’armes de guerre.

Les réquisitions sont toujours opérationnelles en 1943, avec dans les zones concernées, le dépôt obligatoire des fusées paragrêles.  Les explosifs et armes réquisitionnées ou celles trouvées par la gendarmerie (souvent après dénonciation) sont livrées à la milice, à l’intendance des forces d’occupation, aux autorités allemandes.

 Sous le régime de Vichy, la loi N° 2181 du 1er juin 1941interdisait la détention, l’achat et la vente d’armes et de munitions par les juifs, et la loi N° 773 du 7 août 1942 ou encore la loi N° 1061 du 3 décembre 1942 punissaient de la peine de mort la détention d’armes et explosifs par les citoyens français.

Ces lois avaient pour but de désarmer les citoyens français pour empêcher la résistance face à l’occupation allemande et au régime collaborationniste. Ces faits historiques sont souvent repris aux États-Unis par les défenseurs du deuxième amendement et la liberté de détenir et porter des armes à feu.

Mais la chasse est à cette époque une activité bien plus répandue et a un caractère alimentaire et de protection des récoltes, beaucoup moins ludique qu’aujourd’hui. Les plus riches ont des râteliers bien garnis et ne cèdent que leurs fusils les plus vieux et usés, dissimulant les autres. D’une manière générale, les fusils soustraient à la réquisition sont soigneusement cachés, certains seront même enfouis en terre et malgré les précautions n’échapperont pas aux détériorations causées par l’humidité. Ces armes et munitions vont vite trouver de nouveaux usages dans la Résistance jusqu’en 1945.

 

UNE AGRICULTURE SINISTRÉE PENDANT L’OCCUPATION

Le manque de main-d’œuvre dû au service militaire, à la captivité, au STO, à la pénurie de produits nécessaires à l’agriculture, au manque de machines, de chevaux, de bœufs de traction, de carburant et de fertilisants ; à quoi s’ajoutent les ponctions faites sur les productions animales et végétales dessinent le portrait d’une agriculture en grandes difficultés. On voit même des femmes et des enfants tirer les charrues dans les champs. Ce délabrement transparaît par endroits dans les correspondances. Tout manque et les conséquences au niveau des récoltes sont catastrophiques. Sur ces maigres récoltes, il faudra pourtant prélever les impositions, les réquisitions sans compter les prélèvements « sauvages » des troupes d’occupation…Et les prélèvements de la faune sauvage qui prolifère depuis la réquisition des fusils de chasse.

Cette situation de pénurie mettra l’ensemble des industries de transformation en difficulté, voire en rupture d’approvisionnement d’autant plus que les transports sont désorganisés faute de carburant et en raison des bombardements alliés qui s’intensifient à partir de 1942 sur les gares et les nœuds ferroviaires.

Les agriculteurs se voient autorisés à garder à la ferme « la quantité de blé nécessaire à leur propre approvisionnement, destinée à attirer la confiance des producteurs en leur assurant un gage contre toute suppression ultérieure de la ration de pain dite ration agricole… accordée par la décision réglementaire du 1er juillet 1942 ». Une ration de pain de 500g par jour est accordée aux enfants d’agriculteurs. Le syndicat des agriculteurs de France demande son extension aux enfants d’ouvriers. Ces mesures tendaient sans doute à régulariser des prélèvements illégaux qui de toutes façons étaient opérés pour ne pas souffrir de famine. Pénurie et rationnement rendent difficile la situation des populations urbaines en termes d’accès à l’alimentation, et le marché noir bat son plein, profitant de la misère pour s’enrichir.

Une bureaucratie française aux ordres de l’occupant multiplie les injonctions et interdictions. L’ONIC n’est qu’une des structures, mais non la moindre, de cette pyramide hiérarchique au sommet de laquelle trône l’officier allemand chargé de l’agriculture ; et tous les membres de ces instances, à tous les niveaux, participaient à ce dispositif de prédation particulièrement avantageux pour les collaborationnistes.

L’ONIC est l’Office National Interprofessionnel des Céréales, transformation par la Loi du 17 novembre 1940 de l’Office du Blé créé en 1936 par le Front populaire. Ses attributions sont l’encadrement de la mise en marché et la régulation de toutes les céréales, y compris le riz.

 

ET LA CHASSE PENDANT L’OCCUPATION ?

Nous l’avons vu plus haut, les fusils de chasse sont réquisitionnés et la faune sauvage prélève sa dime sur les récoltes. Comment réagir devant la prolifération de lapins sauvage ? Sachant que les Allemands encourageait leur destruction au titre de la protection des récoltes.

Pour l’anecdote, n’oublions pas que Napoléon Ier perdit une bataille contre une horde de lapins en 1807…

Le régime de Vichy n’avait pas oublié d’inscrire la Chasse dans sa doctrine politique de Révolution nationale. La grande loi du 28 juin 1941 subordonna l’individu au groupement et « ce sport exercé dans le cadre d’un individualisme périmé » à une société départementale correspondant à l’idéal corporatiste cher à Pétain. On ne touchait pas aux associations communales type loi de 1901, mais ces dernières furent rattachées le 15 novembre 1945, à des Fédérations départementales telles qu’elles sont encore connues aujourd’hui.

Mais, sans fusil, comment chasser les lapins sauvages et autres gibiers, terribles concurrents des paysans et de la chaîne alimentaire ?

La guerre contre les lapins sauvages est décidée par l’occupant allemand et la mobilisation de « fureteurs » armés de leurs furets est organisée, les « permis de fureter » sont accordés à ces professionnels chargés de tuer le plus de lapins sauvages possibles pour sauver les récoltes.

La chasse, dans toute cette période de 1942 à la Libération ne s’exerça plus qu’avec les moyens anciennement prohibés, tels que les collets et les furets ; la collaboration des chiens étant des plus précieuses, notamment ceux de petite taille permettant de se déplacer plus facilement à vélo, mode de locomotion généralisé de l’époque. Une chasse de subsistance très orientée lapin, pullulant partout et assez facile à prendre qui améliorait l’ordinaire, permettant aussi le troc de denrées utiles et faciles à se procurer en campagne.

A la Libération, les personnes dont les fusils de chasse avaient été réquisitionnés, se mirent à la recherche de ce qu’étaient devenues leurs armes. La loi du 26 mars 1946 proclamait le droit intégral à réparation, mais le Ministère de la reconstruction avait d’autres « lièvres à fouetter », et jugea que « les biens dont le caractère principal est moins l’utilité que l’agrément » n’étaient pas concernés et retira les fusils des biens à dédommager. D’autant plus que les dépôts dans les sous-préfectures, les gendarmeries ou les mairies s’étant fait sans récépissé, les « donateurs obligés » par la loi devinrent des personnes spoliées n’ayant pas de reçus à produire pour récupérer leurs biens.

Cette petite histoire de la chasse au furet pendant l’occupation fait partie de la grande histoire et le silence autour de cet aspect de cette période fait que nous oublions des pans de la vie quotidienne des générations de nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents qui vécurent les difficultés de la vie quotidienne, à commencer par l’accès à la nourriture : tickets de rationnement, privations, problèmes de malnutrition, trafic et marché noir qui enrichissait certains et en appauvrissait d’autres, etc…

 

DOCUMENTS JOINTS

1) L’arrêté du préfet des Côtes du Nord daté du 27 janvier 1942, en illustration, témoigne des méthodes traditionnelles remises à l’honneur. Il est question des « fureteurs », ces chasseurs dont l’arme est le furet qui travaillent dans un cadre contraint avec un « permis de fureter » octroyé par les forces occupantes.

La transcription de ce courrier préfectoral nous dit ceci :

« Monsieur le Préfet des Côtes du Nord à Messieurs les Maires du département

Saint-Brieuc le 27 janvier 1942

Objet : Destruction de lapins sauvages

Réf. : Circulaire des 30 août, 15 septembre et 19 novembre 1941

J’ai l’honneur de vous faire connaître que M. le Feldkommandant des départements des Côtes-du-Nord et d’Ille-et-Vilaine a décidé de prolonger jusqu’au 31 mars 1942 la période autorisée pour la destruction des lapins sauvages par furetage.  

Les services procéderont à la rectification des permis avant le 31 janvier, date à laquelle leur validité expire.

Je vous serais obligé de vouloir bien rassembler les permis actuellement accordés aux fureteurs de votre commune et de les adresser sous un seul courrier.  Ils vous seront retournés dans les meilleurs délais.

Je vous rappelle qu’il est absolument inutile de me transmettre de nouvelles demandes de permis de fureter, la totalité du contingent accordé par les Autorités Allemandes étant épuisée depuis octobre 1941.

Le Préfet, J. PESCHOTTE »

D’un point de vue historique, de 1860 au début de la Seconde Guerre mondiale, les furets, excellents chasseurs, étaient largement utilisés dans l’Ouest américain pour protéger les réserves de céréales des rongeurs…

2) La chasse au furet retrouve une place importante après l’interdiction de la chasse au fusil et la réquisition de ceux-ci par l’occupant. – Application de la loi sur les armes du 3 décembre 1942 : les armes de chasse sont dorénavant interdites, et, la chasse défendue aux « indigènes » tels que sont renommés les Bretons par l’occupant.

3) La presse locale de Guingamp fait état de l’embauche de deux fureteurs supplémentaires et de la prolongation des dates de chasse à faire valider sur le « permis de fureter » en kommandantur. – La chasse au furet est réglementée et surveillée de près : les chasseurs spécialisés sont des fureteurs et détiennent un permis de fureter.  La presse hebdomadaire de Guingamp se fait l’écho des avis aux fureteurs et des dates légales de destruction des lapins par furetage ou d’interdiction de chasser par l’ordonnance du 20 juin 1940.

4) Application de la loi sur les armes du 3 décembre 1942 : les armes de chasse sont dorénavant interdites le texte de la nouvelle loi est diffusé par voie de presse sur l’ensemble du territoire occupé dont Guingamp fait partie.

 

SOURCES

– Audrey VARGAS – La chasse en temps de guerre, article du 8 mai 2020

– Echanges avec François de Beaulieu (enseignant et auteur d’un cinquantaine d’ouvrages et de plusieurs centaines d’articles pour la presse quotidienne et les magazines ; après des études de lettres, d’histoire et d’ethnologie)

– L’ONIC en temps de guerre in Les archives Julliard

– Mémoires de résistance. Interdiction des armes de chasse : loi sur les armes du 3 décembre 1942

– La gendarmerie sous l’Occupation :

https://www.force-publique.net/1942/03/28/la-gendarmerie-sous-loccupation-2/

 

 

 

 

    

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