Duguesclin, la duchesse Jeanne de Penthièvre et les habitants de Bulat-Pestivien

Duguesclin, la duchesse Jeanne de Penthièvre et les habitants de Bulat-Pestivien

 

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Par M. Jean-Paul Rolland

 

Rappel chronologique concernant la Guerre de Succession de Bretagne

 

  • Mort de Jean III en 1341 ;
  • Entre 1341 et 1343, la situation était favorable à Charles de Blois et Jeanne de Penthièvre. Jean de Montfort avait été arrêté et emprisonné par le roi de France ;
  • En septembre 1342, l’aide anglaise au parti des Montfort augmenta. Plusieurs villes fut reprises ; La France de Philippe VI et l’Angleterre d’Edouard III étaient prêtes à en découdre mais le pape Clément VI ordonna la paix : trêve de Malestroit le 19 janvier 1343. Jean de Montfort recouvre la liberté. Mais le roi de France ne voulait pas la paix ;
  • En 1346, bataille de la Roche Derrien, Charles de Blois est fait prisonnier et envoyé en Angleterre ;
  • En 1351, bataille de la Mie Voie : Combat des Trente ;
  • En août 1356, en échange d’une grosse rançon, Charles de Blois est libéré, ce qui galvanisa les partisans des Penthièvre ;
  • Le 13 juillet 1363, bataille d’Evran, tentative de règlement négocié passant par un partage du duché. L’accord prévoyait le partage de la Bretagne en deux.

Pour Charles de Blois le Léon, le Trégor, la petite partie de la Cornouaille dépendant des Penthièvre et les pays de Saint Brieuc, Dol, Saint Malo et Rennes.

Pour Jean de Montfort la plus grande partie de la Cornouaille, le Vannetais et le Pays Nantais de plus les deux prétendants pouvaient utiliser le titre de duc de Bretagne et ses pouvoirs. La réponse de Jeanne de Penthièvre fut négative.

  • Le 29 septembre 1364, près d’Auray, bataille décisive, Charles de Blois est tué. Duguesclin capturé, Jeanne de Penthièvre renonce de continuer la lutte.

Lors de la bataille de Succession de Bretagne, Duguesclin, donné en otage par Charles de Blois, au comte de Montfort, après le traité des landes d’Evran, ne fut pas rendu à son prétendant au trône ducal, quand les hostilités reprirent. Mais, gardé par un Anglais dénommé Felleton, il s’évada et vint se réfugier à Guingamp où il séjourna quelques jours, d’où il songeait à aller en Normandie guerroyer pour Charles V, roi de France. Mais les bourgeois de la ville implorèrent son secours pour les délivrer des ravages de deux fameux capitaines anglais : Roger Davy, à Pestivien (à quatre lieues de Guingamp), et Thuomelin à Trogoff en Plouégat-Moysan.

Incident assez pittoresque de la vie du grand Connétable Duguesclin (1320-1380)

Il s’agit d’un épisode qui s’est déroulé en marge de la triste et interminable guerre de Succession de Bretagne (1341-1364). Une paix élaborée solennellement sur le champ de bataille d’Evran le 13 juillet 1363[1] entre les deux prétendants venait d’être, à la déception générale, sabotée d’abord au chêne de la Mi-Voie[2], puis à Poitiers par la faiblesse du malheureux Charles de Blois, l’époux trop soumis de la virago[3] Jeanne de Penthièvre (dite la boiteuse, née vers 1324, et morte le 10 septembre 1384 ; duchesse de Bretagne de 1341 à 1364).

Les otages garants de promesses d’Evran avaient été, après l’échec des pourparlers, rendus à leurs partis respectifs, sauf Duguesclin que de Montfort avait refusé de libérer et que Charles de Blois n’avait osé réclamer. Le hardi Bertrand Duguesclin, furieux de la mauvaise foi du Montfort et de l’indifférence de son maître, trompa la surveillance des gardiens, sauta à cheval, et d’une seule traite arriva à Guingamp. Il se présenta devant le bon duc Charles, au débotté, moins pour lui offrir ses respects que pour lui faire connaître, son mécontentement et ses rancœurs.

Si Charles de Blois subit sans grand enthousiasme la visite et les réprimandes de Duguesclin, tout autre fut la réaction du bon peuple de Guingamp qui reçut cet hôte illustre avec force marques de respect joyeux. C’est que nos concitoyens voyaient dans le héros national, le guerrier providentiel qui pourrait leur rendre sans doute un service signalé.

En effet, deux chefs de bande gallois, l’un, Roger David, seigneur du château de Pestivien[4], en Bulat (22), et l’autre, Olivier Thuomelin[5], installé au château de Trogoff, en Plouégat Moysan[6] (29), consacraient leurs efforts et leurs loisirs à battre la campagne, rançonnant voyageurs et villageois, maltraitant les filles, même les plus laides, pillant et massacrant au gré de leurs fantaisies, bref se livrant à mille et une folies qui déplaisaient aux autochtones. Les Guingampais avaient particulièrement sujet de se plaindre des indésirables étrangers qui les faisaient toujours bénéficier d’un traitement de faveur, à savoir qu’ils leur réservaient l’honneur de leur crever les yeux quand l’occasion se présentait.

Grande fut la surprise de Duguesclin lorsque, après avoir chanté son antienne à Charles de Blois et voulant prendre la route de Pontorson, il trouva les portes de Guingamp closes et les ponts levis dressés. Il crut d’abord à une traitrise et se mit à donner de la voix, comme il convient. Mais le menu peuple s’attroupant autour de son cheval, le supplia à grands cris de les débarrasser des Goddons[7] qui ravageaient le pays. Duguesclin ne voulut rien entendre. Il avait d’autres chats à fouetter, et demanda qu’on le laissât partir. Les Guingampais crièrent plus fort, offrirent argent, bijoux. Duguesclin s’entêta dans son refus. « Homme de Dieu, ne nous abandonne pas » criait-on. L’homme de Dieu jura vigoureusement qu’il les abandonnerait.

C’est alors que Jeanne de Penthièvre en personne, attiré par le bruit, parut sur les lieux du débat et intervint avec une efficacité digne de la reconnaissance éternelle des Guingampais. Elle obligea en effet le futur vainqueur de Cocherel[8] à descendre de son cheval, puis, pour le gagner à la cause locale, elle lui bailla un baiser qu’il n’aurait jamais en l’idée de demander. Aux acclamations délirantes et aux encouragements admiratifs de tout ce concours de peuple que ravissait un spectacle d’une rare qualité. Duguesclin craignant, ce dit-on, que la bonne dame, dont les pieux attraits étaient plutôt incertains, n’eût envie de récidiver, capitula immédiatement et promit tout ce qu’on voulut.

Dès le lendemain, six mille Guingampais tout fiers d’être menés par un tel capitaine, marchèrent en cohortes belliqueuses vers Bulat, traînant après eux armes, bagages et rafraîchissements.

Maquette réalisée par Michel Morel pour son musée des manoirs bretons, au Bodeillo en Bulat-Pestivien

 

Le château de Pestivien avait été construit, vraisemblablement, à la fin du XIIème siècle. Construction anormale, au milieu d’un petit étang, aujourd’hui asséché, dans un bas fond entouré de collines. Le choix d’un tel site pour une place forte devait sembler hardi sinon insolite à une époque où l’on élevait presque réglementairement les châteaux sur les hauteurs. Ainsi ce pays de Bulat qui vit la naissance d’une nouvelle expression d’architecture religieuse[9] aurait été le témoin d’une conception d’avant-garde d’architecture militaire.

Dès qu’ils arrivèrent en vue de la place, les Guingampais tombèrent la veste, s’égaillèrent dans les bois environnants, y coupèrent fagots sur fagots (fascines) avec lesquels ils entreprirent de combler les douves du château après avoir détruit la digue qui retenait l’eau. En 8 jours les Bretons furent aux pieds de la première enceinte que les soldats de Roger David défendaient vigoureusement faisant pleuvoir sur les assaillants des blocs de pierre, des poutres, des tonneaux remplis de pierres, de terre, de chaux vive…La sape ne tarda pas à ouvrir de larges brèches dans les murailles. Puis le feu fut mis à la porte d’entrée du château livrant le passage aux assaillants. Un redoutable cri poussé par ces derniers annonça la prise de la place.

Du haut des remparts les assiégés les narguaient et les insultaient. En Anglais ou en Gallois sans doute, ce qui devait émousser passablement la pointe des traits d’esprits et réduire la portée des propos diffamatoires.

À un certain moment, on mît le feu aux fascines (fagots) qui brûlèrent gaillardement au soleil de juillet et enflammèrent pont levis et porte. Les Guingampais, dans une forme superbe, se ruèrent au milieu de la fumée, piétinant les braises encore rouges, et firent irruption dans la place. Ce fut une belle bagarre où nos concitoyens se distinguèrent. Les assiégés surpris un moment par cette invasion brusquée se défendirent avec acharnement. Roger David qui croyait n’avoir aucun merci à attendre des Guingampais ne frappa d’estoc et de taille, tenant en respect, derrière la barricade improvisée par une charrette, ses assaillants les plus furieux. Il consentit à se rendre à Duguesclin seulement. En égard à son courage et à sa résistance Duguesclin lui accorda la vie sauve et l’emmena avec lui malgré la protestation des Guingampais. Il offrait ainsi une recrue de qualité au parti de Charles de Blois.

Le château de Pestivien sur lequel flotta l’étendard à aigle noir du héros breton fut démantelé puis rasé.

 

Les armes de Duguesclin :

D’argent à l’aigle bicéphale de sable, becquée et membrée de gueules ; au bâton de gueules brochant.

 

Lorsque le sieur Thuomelin eut bruit de ce fait d’armes, il se mit à réfléchir et jugea plus sage de jeter l’éponge. Il se rendit donc aux phalanges guingampaises dès la première sommation.

« Ainsi », conclut le chroniqueur, « furent les habitants de Guingamp délivrez d’une grande espine ».

Duguesclin revint dans notre ville en triomphateur ! Mais existe-t-il, au fait, une rue ou une place Duguesclin dans notre ville ? Eh bien non ! Duguesclin a malheureusement subi l’ingratitude des Guingampais. Puisse ce petit article engendrer quelques remords dans les esprits ces descendants de ces vénérables habitants de Guingamp ?

Charles de Blois avait été canonisé (proclamé saint) en 1371, à Angers, ainsi que l’atteste une bulle du pape Grégoire XI, retrouvée récemment dans les archives du Vatican ! Il a été béatifié en 1904.

Charles de Blois avait des relations particulières avec Pestivien étant donné que son juge et sénéchal (officier de la justice) Roland de Coatgoureden (son enfeu se trouve dans la basilique de Guingamp) y était originaire (Château de Coatgoureden, aujourd’hui détruit). Ainsi les paroissiens, au début du siècle, ont voulu rendre hommage au « bienheureux ». Charles de Blois avait également rendu un grand service aux paroissiens des alentours en faisant déloger en 1364, le tyran anglais Roger David qui avait pris possession du château de Pestivien. Roger David menait une vie épouvantable aux habitants qui sollicitèrent Charles de Blois de faire intervenir Du Guesclin afin de faire cesser ses exactions. Ce qui fut fait.

Cette statue de Charles de Blois, en plâtre (statue saint-sulpicienne), le représente vêtu de sa cotte de mailles avec surcote (surcot), appuyé sur son bouclier, à l’expression suave du visage et à la fadeur des traits. On retrouve la même statue dans la chapelle de Christ en Pont-Melvez où Roger David avait également sévi !

Les cruautés et les rapts, et le souvenir de Roger David n’avait pas encore disparu de la mémoire populaire, en ce début du XXème siècle : « c’est une reconnaissance de la population bulatoise à son bienfaiteur, grâce à la mémoire de leur civilisation orale » !

Jean-Paul ROLLAND, août 2024

 

Bibliographie

 

  • Barzaz Breizh du Vicomte Hersart de la Villemarqué récit recueilli auprès d’un vieillard nommé Corvel de Maël-Pestivien en 1840 : Gwaz Aotrou Gwesclen (Le Vassal de du Desguesclin.
  • Chronique de Bertrand Duguesclin par Cuvelier : Typographie de Firmin Didot Frères Imprimeur de l’Institut de France.
  • Histoire de Bretagne: Jean Pierre Le Mat. Oran Embanner

[1] Dans les landes d’Évran (lande du Tournay) à côté de Dinan : Un tournoi entre Charles de Blois qui assiège Bécherel et Jean de Monfort à la tête des Anglais accompagnés d’environ 200 Bretons a lieu.

Il se dit que l’armée de Charles de Blois aurait passé la nuit dans l’auberge de Penhouet autrefois en Evran. Suite à l’arrivée impromptue d’évêques originaires des deux camps, juste avant la bataille, les deux protagonistes se réunissent. Il leur est proposé un partage équitable du Duché : à Montfort le sud de la Bretagne et Charles de Blois Rennes et le reste de la Bretagne. Jean de Beaumanoir fut l’un de ces nobles qui participèrent à ce traité. La paix est donc conclue le 1er juillet 1363. Ce traité fut de courte durée, l’épouse de Charles de Blois convainquit son mari de se parjurer ce qui anéantit la réconciliation bretonne.

[2] Combat des trente, entre Ploërmel et Josselin, le 26 mars 1351. Trente chevaliers bretons pro-français partis de Josselin sous la conduite de Jean de Beaumanoir, partisans de Charles de Blois, se sont battus contre trente chevaliers pro-anglais commandés par Richard Bemborough, capitaine de Ploërmel. Il n’y a pas vraiment de vainqueurs. Neuf morts côté anglais, dont Richard Bemborough, six du côté français. Le tournoi est arrêté au terme de ce dramatique bilan qui s’alourdira avec les blessés qui succomberont à leurs blessures. Quant aux hommes de Jean de Beaumanoir, ils seront tués quelques jours plus tard dans une embuscade.

[3] Femme grossière et autoritaire aux manières rudes.

[4] Il avait épousé par contrainte Jeanne de Rostrenen, veuve d’Alain VII, vicomte de Rohan, et du chef de celle-ci, avait déjà plusieurs châteaux bas-bretons qu’il utilisait comme autant de repaires de brigands, Pestivien et Trogoff, dont la garnison mettait la contrée en coupe réglée.

[5] Olivier de Thuomelin, né en 1340, décédé après 1380, chevalier, époux de Jeanne de Tournemine

[6] Il appartenait à Pierre de Trogoff, lequel se prononça pour Charles de Blois, fut occupé par Jean de Montfort entre 1356 et 1364 qui en confia la défense à Olivier de Thuomelin qui sema aussi la terreur dans tout le pays avoisinant.

[7] Surnom méprisant que les Français donnèrent aux Anglais lorsque ceux-ci occupèrent leur pays après le traité de Troyes (en 1420, par les Anglais, les Bourguignons et les Français, pendant la guerre de Cent Ans.

[8] Elle opposa, le jeudi 16 mai 1364, l’armée du roi de France Charles V commandée par Bertrand du Guesclin à l’armée de Charles II de Navarre dont les troupes sont sous les ordres du captal de Buch Jean de Grailly et les archers anglais de Blancbourg et Jean Jouel. Victoire décisive du royaume de France.

[9] En effet, l’église actuelle, Notre Dame, est le premier édifice religieux de la première Renaissance bretonne, construite par Fouquet Jéhannou en 1530.

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