Du cimetière paroissial au cimetière communal
Par M. Jean-Pierre COLIVET
Vers une présentation du cimetière de la Trinité (par J.-P. Rolland)
(clic sur les images pour les ouvrir en grand)
En introduction à la visite du cimetière de la Trinité de Guingamp en novembre 2021, j’ai présenté les rapports de l’Homme à la mort et donc de l’emplacement des sépultures en fonction des grandes époques. Voici cette introduction à la visite guidée de ce cimetière.
*
De l’Antiquité au Moyen Âge, les inhumations se faisaient ad sanctos (près du tombeau des Saints, de leurs reliques), dans un espace sacré qui comprenait à la fois l’église et ses dépendances.
On enterrait partout dans cet enclos, dans l’église et autour de l’église, dans les cours, dans les cloîtres ».
L’église et son enclos (qui devint par la suite le cimetière proprement dit) ne constituaient alors qu’un même ensemble. Cet espace sacré était placé au milieu des habitations, au cœur de la vie publique.
Pour les populations le cimetière était souvent un lieu de marché, de réunions. On vivait ainsi pendant toute cette période dans une certaine familiarité avec la mort.
Au XVIIIe siècle les mentalités évoluent. On s’inquiète à propos de la décomposition des corps, de « leur redoutable chimie ». Le cimetière et son voisinage vis-à-vis des habitations devient sujet de réflexion.
Ce mouvement d’opinion aboutit à la déclaration royale du 20 Mars 1776, qui oblige notamment les villes et les bourgs à déplacer leur cimetière hors de l’enceinte des habitations.
Cette tendance qui se dessine à la fin de l’Ancien Régime, s’affirme aux XIXe et au XXe siècles. Cette On assiste, notamment pour les communautés rurales, à un bouleversement des habitudes et des relations entretenues avec le sacré.
Une « mesure d’hygiène publique »
Au Moyen Âge les enterrements des clercs se faisaient couramment à l’intérieur même des églises. L’ordonnance royale du 10 mars 1776 restreint ce droit à certains cas précis, aux hauts dignitaires de l’Église notamment.
Le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) proclame également dans son premier article qu' »aucune inhumation n’aura lieu à l’intérieur des églises ». Face à cette interdiction, les notables locaux se feront alors inhumer à l’intérieur de chapelles funéraires familiales édifiées sur un terrain leur appartenant et situées à proximité du village. Celles-ci nécessitent une autorisation préfectorale. On assistera à une raréfaction des inhumations à l’intérieur des l’églises paroissiales.
« Art. 1er : Aucune inhumation n’aura lieu dans les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement dans aucun édifice clos et fermé où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, ni dans l’enceinte des villes et bourgs. »
À la suite de l’Ancien Régime, le début du XIXe siècle voit d’ailleurs se mettre en place une législation d’ensemble ayant trait aux inhumations. Celle-ci s’intéresse à l’emplacement du cimetière au sein de la commune et donc par rapport aux habitations.
L’article 2 du décret du 23 Prairial an XII précise qu' »il y aura, hors de chacune des villes ou des bourgs, à la distance de trente-cinq à quarante mètres au moins de leur enceinte, des terrains spécialement consacrés à l’inhumation des morts ». Ces prescriptions renouvellent celles de l’ordonnance royale du 10 Mars 1776.
Le préfet signale ainsi aux maires du département que « si dans quelques villages, le cimetière était tellement environné et abrité par les maisons, que l’air ne peut y circuler librement, les maires doivent faire connaître aux sous-préfets les dangers résultant des inhumations faites dans l’intérieur de la commune, alors le sous-préfet s’empressera d’ordonner l’application des règles prescrites pour les villes et les bourgs ». Cette extension du champ d’application du décret de Prairial à toutes les communes, sans distinction de tailles, est officialisée par la suite grâce à l’ordonnance royale du 6 décembre 1843.
Un souci de salubrité des cimetières prévaut pour cette nouvelle législation, directement hérité du XVIIIe siècle et de ses craintes à propos de la proximité et de la toxicité des corps en décomposition.
Aussi le décret du 23 Prairial an XII indique-t-il de manière précise les qualités que se doivent de posséder les futurs emplacements des lieux d’inhumation à l’extérieur des communes : « les terrains les plus élevés au Nord seront choisis de préférence afin qu’en aucun temps les vapeurs infectes ne puissent s’en élever et se répandre dans les lieux environnants. On y fera des plantations, en prenant les précautions convenables pour ne point gêner la circulation de l’air ».
On craint également que les infiltrations en provenance du cimetière ne contaminent la nappe phréatique donc les puits et les fontaines.
Un nouveau mode d’inhumation : sépultures individuelles
La législation a imposé au début du XIXe siècle un nouveau mode d’inhumation (sépultures individuelles, concessions temporaires ou perpétuelles) qui accroît considérablement la surface consacrée aux morts. Le cimetière doit s’étendre de plus en plus.
Cette première moitié du XIXe siècle connait pour les populations rurales une forte croissance démographique. Le cimetière du village, souvent petit, se situe parmi les habitations et les fermes, proche de l’église. Il devient alors rapidement trop petit par rapport à la fréquence des inhumations. Par ailleurs la loi interdit l’achat par les communes de terrains situés à proximité des habitations.
Le respect dû aux morts
Le respect dû aux morts, entré dans les mœurs à cette époque, est très certainement un élément décisif sur l’organisation des cimetières. On assiste à une individualisation des sépultures et les tombes doivent être correctement disposées à l’intérieur du cimetière. La réouverture prématurée des fosses pour se mettre en conformité est considéré comme une véritable violation de sépulture.
Incitations et résistances
Pendant le XIXe siècle, toute une législation se met donc en place, incitant ou obligeant les communes à déplacer extra-muros leur cimetière lorsque celui-ci est situé au centre du village et au milieu des habitations.
Le préfet
Le préfet signale ainsi couramment aux maires et aux Conseils municipaux la non-conformité du cimetière communal avec les prescriptions dictées par le décret du 23 Prairial an XII (12 juin 1804). Certains d’entre eux sont insalubres et indécents, encombrés et trop exigus par rapport à la population du village ou encore situés à une trop grande proximité des habitations.
Parfois, ce sont les voisins immédiats des lieux d’inhumations qui protestent contre l’état des choses et en informent le préfet.
Ainsi, dans certains villages, la question du transfert du cimetière extra muros est d’actualité pendant des années, voire des décennies. Elle est régulièrement discutée au sein du Conseil municipal, sur la scène publique, sans pour autant qu’un projet aboutisse.
Le clergé
Depuis le décret du 23 Prairial an XII le clergé ne peut légalement s’interposer contre le projet de déplacement du cimetière communal. Cependant, le prêtre peut exercer une influence considérable sur ses paroissiens.
L’espace consacré aux morts émigrera du centre vers l’extérieur du village. On assistera à un bouleversement des relations entre les populations et le sacré dans leur vie quotidienne.
Un mouvement continu à partir de la seconde moitié du XIXème siècle
Le mouvement de translation des cimetières
Le mouvement de translation des cimetières ne s’amorce en fait que vers 1830. L’Ordonnance royale du 6 Décembre 1843, étend officiellement aux cimetières de village (communes) les prescriptions du décret de Prairial concernant leurs emplacements par rapport aux habitations.
La place du cimetière est désormais à l’extérieur de la commune, au milieu des champs.
Le cimetière militaire
Un nouveau type de lieux d’inhumations apparaît au début du XXème siècle : le cimetière militaire. Il s’agit le plus souvent du regroupement des dépouilles des soldats tombés au champ d’honneur lors d’opérations militaires importantes. Ainsi, en Champagne, certains cimetières militaires regroupent des milliers de soldats morts au combat. Dans beaucoup de communes on verra également se créer des carrés militaires regroupant les restes des soldats de la commune rapatriés après les conflits.
Et maintenant ?
Dans les grandes agglomérations les cimetières sont saturés. On assiste à une quasi-généralisation de la crémation autorisée par l’Église catholique depuis 1963 (Vatican II).
À Guingamp
Les cimetières de Guingamp avant leur regroupement à la Trinité :
- Le cimetière des Cordeliers (en face de l’actuelle sous-préfecture) d’où ont été exhumés, au début du XVII, Charles de Blois et deux ducs de Penthièvre, Jean de Brosse et Sébastien de Luxembourg.
- Le cimetière au côté sud de la basilique (attenant à la chapelle saint Louis démolie en 1732). Ce cimetière était annexé à Notre-Dame. Ce dernier a été converti en jardins et maisons particulières (Voir plan ci-dessous).
- Le cimetière jouxtant l’ancien oratoire saint Nicolas dépendant de Notre-Dame. C’était le cimetière où l’on inhumait les pauvres morts à l’hôpital (Voir plan ci-dessous).
- L’ancien cimetière saint Martin et les cimetières paroissiaux.
De ces anciens cimetières, il ne reste rien.
Jean-Pierre COLIVET, février 2022
Version pdf de l’article : clic ici
Sources :
Le décret-loi du 23 prairial an XII
L’ordonnance royale relative aux cimetières du 6 décembre 1843