L’ŒUVRE DE LA PROVIDENCE (XIXe siècle)
Au secours de la misère : L’ŒUVRE DE LA PROVIDENCE
En 1820, avait été fondée, à Guingamp, une « Congrégation des Demoiselles de la Ville ». Le but, à l’origine uniquement religieux, s’était, toute de suite, élargi. Sous la direction de la Présidente, Mlle Festou-Villeblanche, le « Conseil » décida de prendre soin de douze petites filles pauvres, puis de dix-huit, puis de trente. On leur apprendrait le Catéchisme, et aussi quelques travaux usuels. En 1822, le « Conseil » s’avisa de les confier à une institutrice, Mlle Brûlé, qui leur ferait la classe de huit heures un quart du matin à quatre heures ou cinq heures du soir, suivant les saisons : c’était comme la résurrection de l’enseignement primaire féminin à Guingamp. Car, en dépit de toutes les déclarations des Assemblées révolutionnaires, de l’Empire, et du gouvernement des Bourbons, rien de spécial n’existait depuis le départ des Religieuses Ursulines, en 1791, pour l’instruction des filles. En même temps cette institutrice aurait «à raccommoder les hardes de ses élèves.» C’était en perspective beaucoup de travail, et même trop.
Des Guingampais charitables s’intéressèrent à l’œuvre qui avait pris le nom de « Providence ». En particulier, un homme de bien, M. Daguenet, fonctionnaire de l’Administration des tabacs, qui consacra, une grande partie de son activité à son service. Entre les mains de M. Daguenet, l’œuvre de la « Providence » se développa et, en se développant, changea quelque peu d’orientation. Le 24 mai 1816, étaient arrivées à Guingamp trois religieuses de la Sagesse, à l’effet de secourir à domicile les miséreux et les malades. M. Daguenet eut l’occasion de collaborer avec la Supérieure, Sœur Vitalines. Quand il prit en main la direction de la « Providence », il songea, lui et ses collaborateurs, un surtout, M. de Botmiliau, à faire appel au concours des Religieuses. Elles acceptèrent. A la séance du Conseil Municipal du 19 septembre 1845, le Maire, Ollivier, expose avec admiration leur travail, « dont aucun des membres du Conseil ne voudrait se charger », En effet, elles ont pris à leur compte l’éducation complète de vingt orphelines, et, cela gratuitement. Elles blanchissent et raccommodent le pauvre linge des prisonniers, et soignent ceux qui sont malades. Une, tout spécialement — elles sont treize à ce moment, — « la pharmacienne », visite les malades en leurs galetas pour préparer et administrer les remèdes. Elles ont établi un « ouvroir » dans leur maison de fortune, où elles apprennent à des jeunes filles, de quinze à vingt et un an, les travaux usuels du ménage. De plus, pour remédier au chômage, elles ont entrepris de fournir du travail aux ouvrières à domicile. II leur faut « fournir la matière du travail », sans doute l’étoffe, recevoir les pièces fabriquées, tenir la comptabilité de la petite industrie, et encore faire confectionner des vêtements pour les familles pauvres dans le besoin. Sans parler d’une «loterie » qu’elles ont organisée, en cette année 1841, « pour les indigents», du pain et « des soupes » qu’elles distribuent aux malheureux.
A ce ministère de la charité, le« Sœurs de la Sagesse» furent amenées par la force des choses à joindre celui de l’éducation des filles. Elles relayèrent Mlle Brûlé, avec le plus entier désintéressement. Le 17 septembre 1835, le Maire, Sauveur de la Chapelle, apprenait à ses collègues que l’école dite « du Château » était gratuite pour les malheureux. Quelque six ans plus tard, le Maire, OlIivier, précise que «de quarante à cinquante enfants, externes, demi-pensionnaires et même entièrement pensionnaires, sont en partie vêtues dans l’établissement». Bien entendu, sans préjudice des vingt orphelines adoptées entièrement.»
Les autorités municipales sont unanimes à reconnaître et à célébrer le dévouement héroïque des religieuses : de la Supérieure, le Maire convient «qu’elle succombe à la fatigue », et chacun « s’étonne qu’elle puisse résister à tout ». Fort bien. Mais il est justement étonnant que l’on ne se soit guère occupé de leur logement. Et leur logement est simplement lamentable. Quatre d’entre elles logent dans « une mansarde sans foyer» : glaciale l’hiver et, par compensation, dirait-on, brûlante l’été. Elles ne se plaignent pas. Arrive quand même un moment où la Supérieure, timidement et comme à regret se voit dans l’obligation de réclamer « au nom de l’humanité » elle demande qu’on prenne en considération l’état de leur maison. Leur maison ! Les premières religieuses avaient trouvé asile au Château, en 1816, puis il avait fallu s’installer dans un immeuble vétuste au sud de la place, sorte d’appendice de l’Hôtel de Lanascol. Les murs, dit la Supérieure, en « sont crevassés » et la solidité des planchers et parquets est telle que, dans les caves, il a fallu disposer des étais pour les soutenir : « On peut craindre la mort par écrasement », tant la menace d’effondrement est sérieuse. Cette fois le Conseil Municipal s’émut. Le 19 novembre 1841, il décida de remédier à la situation. Il envisagea d’abord, sur rapport de la Commission nommée le 29 novembre, de louer l’hôtel de Lanascol, dont la magnifique façade bordait et borde toujours, quelque peu modifiée, la rue Notre-Dame, au midi. On courrait l’acheter plus tard peut-être ; du moins, on l’espérait.
Et l’ancienne maison des Sœurs, une fois les réparations d’urgence effectuées, servirait tout naturellement d’ouvroir. Mais le projet n’aboutit pas, l’hôtel de Lanascol ne fut ni loué, ni acheté. Alors, on attendit. On attendit jusqu’au 16 décembre 1844, trois longues années. On décida d’affecter un crédit de 23.500 francs à la construction de la demeure dont l’emplacement, du reste, restait toujours à trouver. Le préfet, le 7 février 1845, approuva le projet et il fut réglé que l’on bâtirait, au Château même, « en dedans, près le préau de l’école des filles, de façon que la maison ne donne pas sur le marché aux grains ».
C’est donc là que, pendant un demi-siècle, les religieuses de la Sagesse purent exercer leur dévouement, sans se laisser rebuter par « les dégoûts dont elles sont abreuvées », comme s’exprimait le Maire, devant le Conseil Municipal, en 1841. Tout cela devait s’oublier. Tant il est vrai, comme l’écrivait, il y a une cinquantaine d’années, un fonctionnaire briochin doublé d’un historien de valeur, que « l’on oublie tout, le bien comme le mal ». Mais surtout peut-être le bien : « pour certains, le souvenir des bienfaits reçus est un souvenir importun et comme une brûlure.» Ils l’apprendront par la suite.
F. DOBET