Félix Louis Ollivier (1863-1947)
La famille Ollivier, à Guingamp, au XIXe siècle, est une famille de notables, avocats ou magistrats, qui occupèrent aussi des fonctions politiques.
Louis Ollivier, né en 1797, juge, fut maire de Guingamp de 1838 à 1842. Son fils aîné, Louis Séverin, né en 1826, avocat, sera maire de Guingamp de 1871 à 1882. Auguste, frère du précédent, sera député de Guingamp, puis sénateur des Côtes-du-Nord.
Du mariage de Louis Séverin et de Félicie Loyer, fille d’Yves Loyer, avocat et notaire, naissent cinq enfants, dont trois fils. L’aîné, Louis Félix, magistrat, puis avocat à Saint-Brieuc, sera député de Guingamp de 1902 à 1910. Auguste devient inspecteur général des Haras ; le plus jeune, Félix Louis Marie, embrasse la profession d’architecte.
Il fait ses études à l’institution Notre-Dame, à Guingamp, où il se montre un élève brillant. Admis en 1883 à l’école d’architecture de Paris, il entre dans l’atelier de Julien Guadet et il fut aussi élève d’Albert Thomas, avant d’obtenir, en 1891, son diplôme d’architecte. Pendant ces années d’études, il rencontre, à Paris, d’autres jeunes Bretons et même des Guingampais : Théophile Salaùn, peintre [1]; Deyrolle, peintre [2] ; Pierre Ogé, de Saint-Brieuc, sculpteur [3]. Il fréquentera aussi les membres de la première association des Bretons à Paris, fondée en 1894 par Léon Durocher, de Pontivy, et Charles Le Goffic.
Très vite, il participe à de nombreux concours publics d’architecture : musée d’Orléans, église de Cesson (Seine-et-Marne), maire d’Amiens. En 1894, il obtient le premier prix pour la construction du théâtre de Saïgon [4].
En 1897, il est nommé architecte de la ville de Paris. Il conserve cette fonction jusqu’en 1927 et il sera aussi inspecteur des promenades de la ville de Paris.
Les nouveaux bâtiments de l’institution Notre-Dame
Installée depuis près de 30 ans dans l’ancien couvent des Capucins, au «Penker», l’institution Notre-Dame de Guingamp connaît, depuis quelques années, un important développement et il devient urgent de s’agrandir. Félix Ollivier et Eugène Delestre, tous deux anciens élèves, furent chargés d’élaborer un programme de constructions [5]. Présenté en 1892, leur projet comprenait trois bâtiments disposés en forme de H.
La réalisation de l’ensemble du projet ne fut pas immédiate pour d’évidentes raisons financières. La moitié de la branche sud est élevée en 1892-93, ce qui permet de parer au plus pressé (classes et dortoirs). En 1896, une souscription est lancée pour la construction de la chapelle dont la première pierre est posée en 1898 et l’inauguration se fait en 1900.
La chapelle comprend une seule nef de quatre travées, entre un avant-corps avec tribune et un chœur terminé par un chevet polygonal. La façade présente deux étages d’arcades couronnés d’un fronton : celui-ci évoque, de façon évidente, les frontons du XVIIe siècle de la ville, ceux des chapelles des Augustines et des Ursulines. Le même fronton devait se répéter au pignon des deux grands bâtiments formant les branches de l’H.
On plaça au-dessus une statue de la Vierge, dessinée par Félix Ollivier. Elle avait été prévue en granit et réalisée par Hernot, de Lannion. Finalement elle fut en fonte, haute de 3 mètres et pesant 1.700 kilos.
Le reste du projet resta en attente et la chapelle, qui devait occuper le centre de la barre transversale de l’H, était isolée. La reprise des constructions fut envisagée en 1913… il fallut, bien sûr, l’ajourner. En 1923-24, l’aile sud fut achevée et on la relia à la chapelle par un bâtiment sans étage où on loge une salle des fêtes.
Par la suite, d’autres bâtiments verront le jour. On ne suivra pas toutes les indications du plan Ollivier-Delestre, mais on constate qu’en 1938 l’aspect d’ensemble respectait le H initialement prévu [6]
Autres réalisations de Félix Ollivier
II en est, évidemment, de parisiennes : une partie des casernements de la Garde républicaine, un hôtel boulevard Lannes, les jardins de l’université de Paris. Le nom de Félix Ollivier reste particulièrement attaché à la réalisation du village breton de l’Exposition Universelle de 1900. Il obtint, en effet, la médaille d’or du concours organisé sur ce sujet.
François Jaffrenou a donné de ce village, «authentique et original», une description enthousiaste. Dans un paysage de landes où sont dispersés menhirs et dolmens, ont été reproduits une fontaine et un calvaire ; une hôtellerie, un cabaret, des crêperies, une librairie, un magasin de broderies accueillent et retiennent les visiteurs. Le cabaret, en particulier, obtient un grand succès : on y chanta le Seizig Gwengamp, le Brogoz mazadou et Charles Le Goffic y récita ses poèmes…
Félix Ollivier reste un architecte parisien, mais, après 1914, il se consacra surtout au côté administratif de ses fonctions, rédigeant aussi des articles d’érudition dans des revues spécialisées : études d’architecture Renaissance au musée de Cluny, description du manoir de Kestellic, en Plouguiel.
Sur la rive gauche du Guindy, à 400 mètres en amont du confluent avec le Jaudy, s’élève, avant 1900, une construction de «style Indochinois», appelée «La Pagode». Les propriétaires, M. et Mme Talbart, bijoutiers àTréguier, prennent contact avec F. Ollivier, après l’expo de 1900. Les plans sont faits en 1901, exposés au salon de l’architecture de 1900 où ils obtiennent une médaille d’or.
On rase «La Pagode», on aplanit le terrain qui surplombe la rivière et on construit, de 1902 à 1904, une grande villa de style néo-breton, avec ses annexes et au milieu d’un vaste jardin.
Cette propriété, qualifiée localement de manoir ou même de château, est rachetée, en 1947, à son propriétaire de l’époque (propriétaire du Moulin-Rouge) par M. Yann de Kerouartz, ingénieur des Eaux et Forêts. Celui-ci se passionna pour le jardin de plus de cinq hectares où sont regroupées plus de 600 espèces botaniques très variées d’origine. Malgré les dégâts de l’ouragan de 1987, ce jardin a été «classé» en 1993.
Félix Ollivier, peintre aquarelliste
Les architectes de cette époque devaient être aussi de bons dessinateurs, car c’est à la main et non à l’ordinateur qu’ils dressaient leurs plans, toujours rehaussés de couleurs. Nous avons ainsi, à Guingamp, des croquis remarquables de M. Georges Lefort et nous en avons vu aussi d’un architecte contemporain de M. Ollivier, M. Dieulesaint.
Félix Ollivier cultivait cet aspect de sa profession et il exposa, presque tous les ans, de 1888 à 1921, au salon des artistes français, à Paris. Sans doute, certaines de ses aquarelles ont des sujets parisiens : dôme du Val-de-Grâces, l’oranger du jardin du Luxembourg ou évoquent des souvenirs de voyage en France : le Mont-St-Michel, Cahors, les bords du Lot et à l’étranger : Rome, Venise. Mais resté très Breton, notre Guingampais affiche un goût très net pour les vieilles pierres et surtout celles de sa Bretagne : vieille rue de Dinan, porte du cimetière de St-Thégonnec, Camaret. Il passe ses vacances en famille, à Sainte-Marie, près des ruines de Coatmalouen, et il prend plaisir à reproduire ses sites familiers : bois de Coatmalouen, église Saint-Corentin, moulin de Kerauffret, étang de Saint-Connan [7]…
II n’est pas le seul de sa famille à avoir un tempérament d’artiste : ils appréciaient tous la musique, la peinture. Louis Félix, frère aîné de Félix Louis, eut le projet d’implanter à Guingamp un musée consacré à Valentin, projet qui, malheureusement, ne put se réaliser.
Vers la fin du siècle dernier, Narcisse Quellien imagina d’élever, au sommet du Menez-Bré, un monument à Perrinaïc, jeune fille du pays qu’il prétendait compagne de Jeanne d’Arc. Félix Ollivier dessina ce monument : «Tout en granit de Kersanton, il atteindra 20 mètres, avec la statue de Perrinaïc au sommet, en costume breton du XVe siècle. Sur le fût, les armes de Bretagne et de France. Une frise évoquera la guerre de Cent ans. Le soubassement sera peu différent de celui des calvaires finistériens.»
Ce projet suscita des critiques, souvent ironiques ; d’autres suggérèrent plutôt une statue de Nominoë, natif dit-on de Plusquellec, ou du barde Gwenc’hlan.
«Il serait beau de voir sur l’aride montagne Dominant l’horizon, le vieux roi de Bretagne Vêtu de son armure et d’un casque doré. A ses pieds en passant se poseraient les aigles, Les enfants cueilleraient des bluets dans les seigles Pour faire une guirlande à son glaive acéré.» (Joseph ROUSSE, Nantes (1838-1909)
[1] Professeur de dessin à l’institution Notre-Dame, de 1884 à 1891.
[2] La mairie de Guingamp possède une toile de Deyrolle.
[3] Auteur du médaillon de P. Thielemans, sur la tombe de ce dernier, au cimetière de La Trinité, à Guingamp. Son père avait participé à la restauration de Notre-Dame de Guingamp : statues des apôtres, de Sainte-Anne, de Saint-Joseph, de Saint-Joachim.
[4] A présent, Hô Chi Minh-Ville. Ce bâtiment a été utilisé pour loger l’Assemblée nationale du Viet-Minh. Des transformations inadaptées et un manque d’entretien font qu’il est, aujourd’hui, en mauvais état et aurait un besoin urgent d’être restauré. Cette construction coïncida avec la période (1895-96) pendant laquelle Pierre Paul Guieysse, député de Lorient, fut ministre des colonies dans le cabinet Bourgeois. Félix Ollivier dessina le piédestal de la statue de Dupuy de Lomé, érigée à Lorient en juin 1899. Rappelons que la poste de Saigon avait été réalisée sur les plans de Gustave Eiffel.
[5] M. Louis Ollivier, père de Félix, était directeur du Conseil d’administration de la société civile anonyme de l’I.N.D.
[6] Le bâtiment de gauche a été dessiné par G. R. Lefort. Voir «Le collège de Guingamp et l’institution Notre-Dame 1516-1948″, abbé F. Dobet
[7] Le musée de Saint-Brieuc possède deux aquarelles de Félix Ollivier : «La crypte de l’Aquilon» et «Le Mont-Saint-Michel».
Henri MAHO