À la découverte du Trieux

À la découverte du Trieux

 

Découverte du Trieux, colonne vertébrale de l’implantation humaine sur notre territoire depuis la préhistoire

 

 

Par Mme Mona Braz, présidente de l’association des Amis du Patrimoine de Guingamp

 

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Le mille-feuille de l’histoire géologique des lieux

L’histoire géologique du Massif armoricain correspond à la fermeture d’anciens océans dans un premier temps durant le Cadomien (entre 700 et 520 millions d’années) puis durant l’Hercynien (entre 360 et 300 millions d’années).

Puis, il y a 237 millions d’années, le supercontinent Pangée naît de la collision entre la Laurasie et le Gondwana et est à l’origine de la chaîne varisque, le Massif armoricain et le Massif central appartenant à la marge nord du Gondwana. À l’échelle de la France, la chaine varisque est lisible dans les « massifs anciens » : Ardennes, Massif Armoricain, Massif Central, Vosges.

Ainsi, le Méné-Bré visible depuis Guingamp est un vestige de la chaîne montagneuse des Monts-d’Arrée, qui était semblable au massif de l’Himalaya il y a 340 millions d’années…

Le décor géologique est planté pour Guingamp et ses environs qui se situent dans l’Unité géologique du Trégor, très peu déformée au cours de l’évolution cadomienne, et est représentée principalement par un complexe volcano-plutonique (roche volcaniques et pluton granitique) dont plusieurs éléments sont datés autour de 2000 Ma (millions d’années).

Guingamp est géologiquement marquée par la migmatite rubannée (de migma en grec qui veut dire mélangé), voir l’image ci-dessous ; et par d’autres roches sédimentaires granitoïdes, d’où le fameux granit jaune extrait jusqu’à épuisement d’une carrière à Coadout pour les constructions historiques de la ville. Voir la photo des différentes couleurs de granite gris, rose et jaune.  C’est dire la solidité et l’ancienneté du substrat terrestre sur lequel nous vivons ici, à Guingamp et en Bretagne.

 

Le Trieux (an Trev en breton) est le petit fleuve côtier breton de 73 kilomètres de long, dans l’actuel département des Côtes-d’Armor. Il prend sa source sur la commune de Kerpert et se jette dans la Manche.

Le nom de Guingamp apparaît pour la première fois dans des textes du XIIe siècle sous les formes de Wingamp et Guencamp qui évolueront vers Wengamp et Guingamp, en breton et en français. Deux interprétations sont évoquées pour la traduction en Champ blanc : soit un domaine en friche, soit un domaine sacré. Pour autant, une chose est certaine : cet espace aujourd’hui appelé Guingamp existait et était habité bien longtemps avant les mentions historiques écrites.

En effet, la ville s’est établie sur la rive droite du Trieux à l’endroit bien précis où la vallée encaissée sud-nord, s’ouvre en rampes douces exposées est-ouest.

 

 

 

Pourquoi Guingamp a-t-elle été fondée à cet endroit précis du Trieux ?

Parce que sur les 73 kilomètres de son cours, c’est le seul endroit où l’on a pu dès la préhistoire traverser ce fleuve côtier à pied, sans nager ou encore sans utiliser de barque. La toponymie, l’étude des noms de lieux, nous indique que l’endroit le plus approprié depuis longtemps s’appelle le Roudourou, ce qui veut dire « les gués » en breton.

Mais aussi parce que jusqu’à l’invention des bateaux et des ponts, les cours d’eau étaient des frontières infranchissables. Or, ce passage à gué permettait les déplacements de population, donc les échanges culturels et économiques. Le territoire qui s’appelle aujourd’hui Guingamp/Gwengamp est donc depuis longtemps un carrefour entre voies terrestres et voie navigable menant à la mer. C’est donc l’accessibilité des lieux qui en a fait un lieu stratégique de passage, une croisée des chemins d’une importance exceptionnelle à toutes les époques.

En effet, ce lieu incontournable de franchissement du Trieux devient depuis l’époque gauloise au moins, le nœud où se croisent et se rencontrent les chemins et voies gauloises venant de Lanvollon, d’Yffiniac, de Morlaix, de la Roche-Derrien, de Callac, de Nantes, du Coz-Yaudet (Lannion), de Quintin, de Bourbriac, de Boquého…

 

L’eau nourricière et l’eau défensive

 

L’historien Hervé Le Goff dans « Les riches heures de Guingamp, des origines à nos jours », nous dit que : « un simple examen des cartes d’implantation des stèles de l’âge du fer en Côtes d’Armor atteste dès cette époque d’une forte densité humaine dans la région où s’édifie Guingamp. » à commencer par les hauteurs qui dominent Guingamp et qui permettaient des dégagements plus rapides en cas d’attaque.

Il y a aussi le fait que le Trieux est sujet à des crues régulières qui ont fait la richesse maraîchère des petites plaines alluviales enrichies des alluvions, notamment à Sainte-Croix et à Saint-Sauveur, rendant ces terres très fertiles. Ce qui permettait des cultures productives à même de nourrir une population locale relativement importante. Dans une modeste mesure pour le Trieux, le même phénomène se produisait pour le Nil dont les anciens Egyptiens attendaient les crues avec impatience car leur survie en dépendait.

Reconstitution du château de Pierre II par l’INRAP (Institut National de Recherche Archéologique Préventive) : construit sur une butte surplombant le Trieux de 85 mètres -voir an bas à gauche- la motte castrale puis le château étaient entourés de douves profondes. Le château de Suscinio, en Morbihan, est un exemple de château médiéval ayant encore ses douves remplies d’eau.

 

Le Trieux et la géographie des lieux

 

Si le Trieux est encaissé et bordé de petites plaines alluviales à Guingamp ; ce secteur offre aussi des promontoires qui culminent à 85 mètres : Castel-Pic, la butte du château et celle des hauteurs de Roudourou et de Montbareil. Plusieurs de ces hauteurs portent des noms associés au domaine militaire ou guerrier. Ainsi, Castel-Pic est un toponyme souvent jumelé à un ancien site fortifié. Si d’autres toponymes ont aujourd’hui disparu de nos cartes, ils sont attestés dans les anciens parchemins ou chartes du XVe siècle. Par exemple, il est question du « vieil chasteau » en direction de Montbareil, nom qui lui-même fait appel à la racine bretonne « barr » pour désigner le sommet ou la cime d’une montagne ou d’un mont… Par ailleurs le lieu-dit Cadolan signifierait d’après des linguistes, la lande (lann) du combat (cath). Ceci renforce l’idée d’une vocation guerrière ancienne de ces berges du Trieux. En effet, qui dit échange et commerce de biens dit banditisme et vols organisés. Il faut protéger les commerçants et leurs clients d’où la nécessité antique de militariser les lieux pour ce faire.

 

Le Trieux et les Celtes

 

L’archéologie nous révèle la présence humaine depuis les temps les plus reculés en raison de la présence de l’eau nécessaire à la vie, de la forêt qui fournit le gibier qui y vit et aussi le bois nécessaire au feu, à la construction d’habitations et de palissades défensives, de sabots et d’objets de la vie quotidienne. De plus ce territoire offrait de l’argile et du plomb (une mine exploitée sur Plouisy) permettant la fabrication de poterie (quartier de la Poterie à Pabu). Étape de l’histoire antique attestée par les fouilles archéologies qui nous rappellent qu’ici vivait le peuple celte des Osismes.

Mentionnés par le voyageur grec Pythéas sous la forme Ostimioi (Ὠστιμίων) puis dans la Géographie de Strabon (1er siècle avant notre ère), les Osismes jouent entre -58 et -52 un rôle notable dans la Guerre des Gaules relatée par Jules César. Après de premières incursions romaines dans la péninsule armoricaine dès -57, les Osismes prennent vraisemblablement part à la révolte des Vénètes qui sera écrasée en -56 au cours d’une bataille navale au large de Quiberon, à l’entrée du Golfe du Morbihan. Ils feront également partie, avec les Coriosolites et les Riedones, de la coalition de renforts gaulois attendus en vain par Vercingétorix à Alésia en -52.

L’archéologie permet aujourd’hui d’affiner le portrait de cette population de pêcheurs, d’artisans, d’agriculteurs, de guerriers et de druides du bout du monde. Grâce aux découvertes monétaires et par déduction, on peut déterminer que leur territoire occupait une large moitié ouest de la future Bretagne, englobant le Finistère actuel et une partie des Côtes d’Armor.

Le territoire des Osismes est un territoire très riche : il faut signaler les nombreuses mines de plomb argentifère et d’étain ainsi que les importantes carrières de granit, dont près de Guingamp celle de granit jaune sur la commune actuelle de Coadout. Cette tradition de la poterie durera du deuxième siècle avant JC jusque dans les années 1930.

 

Les activités humaines et la prospérité économique

 

Nous trouvons le long de ces berges :  moulins, tanneries de cuir, rouissage et séchoirs à lin, lavoirs, ateliers de menuiserie et de tissage de toile de lin depuis les plus grossières jusqu’à la plus fine, appelée « Le Guingamp », si réputée qu’elle est vendue jusqu’en Inde.

Il y a trois types de moulins et certains ont disparu. Moulins à blés destinés à l’alimentation, à tan pour produire des cuirs de qualité (chaussures, sacs à mains, selles pour chevaux, tabliers de forgerons, etc…), moulin à fouler ou à teiller le lin pour l’industrie du tissage.

Subsistent aujourd’hui : le moulin de la Ville qui est devenu le centre du canoë-kayak club, le moulin Saint-Sauveur fermé dans les années d’après-guerre 39-45 et transformé en appartements, le Moulin à Fouler transformé en restaurant, le moulin des Salles devenu une propriété privée…

Au niveau du Moulin de la Ville, avant la construction du pont, il y avait au niveau de la retenue d’eau nécessaire au fonctionnement du moulin, un passage fait de pierres à gué pour franchir la rivière.

Le moulin du Duc, rebaptisé moulin de la Ville, était un ancien moulin à grains datant du XVIe siècle, avec une roue à chaque pignon et deux vannes placées sur le déversoir, il a été vendu en 1903 à M. Penanhoat. Jugé trop vétuste, il a été démoli et remplacé dès 1905 par une minoterie industrielle moderne qui a cessé son activité dans les années 1960.  Il abrite aujourd’hui le club de canoë-kayak de Guingamp.

Vue sur le Trieux en 1860 : on y voit le moulin de la Ville, un lavoir couvert, les pierres du passage à gué, et une barque sur le Trieux.

Moulin de la Liberté, moulin à lin aujourd’hui disparu après aussi été transformé en guinguette.

 

Le Moulin des Salles, moulin à blé, visible depuis la prairie de Rustang et le cheminement des berges. Sur la carte postale, des femmes dont l’une porte la coiffe bretonne du Trégor (la toukenn). Les brouettes indiquent qu’elles se sont retrouvées à cet endroit pour y laver leur linge tout en s’occupant des jeunes enfants.

Il y avait deux moulins à Saint-Sauveur. L’un a disparu et l’autre sera démoli pour faire place aux minoteries Baudin-Bertho en 1806. Son déversoir comme celui du Moulin de la Ville, est garni de pierres de gué, de grandes pierres de taille disposées pour le passage des personnes circulant à pied.

 

Il y avait plus de cinquante moulins entre Kerpert et Pontrieux.

À Guingamp deux moulins ont disparu mais sont attestés dans les archives :

  • Le moulin Tanaf (qui comme son nom l’indique était un moulin à tan en lien avec l’importante activité de tannerie de Guingamp).
  • Le moulin du Touldu ou moulin de l’île, entre les deux bras de la rivière, était encore attesté au XVIe siècle.

 

Le fabuleux destin du moulin de la Tourelle à Pont Ezer !

 

Moulin de l’époque médiévale, il a des origines très anciennes (la période médiévale de l’histoire de l’Europe, s’étend du début du Ve à la fin du XVe siècle, elle débute avec le déclin de l’Empire romain d’Occident et se termine par la Renaissance).

Ce moulin de la Tourelle emploie encore 15 hommes et 15 femmes entre 1860 et 1865. Mais, c’est en 1856 que Simon Joret, fils de marchand et fabricant de fils de lin et fondateur en 1844 de la petite filature de la Tourelle, crée son atelier de mécanique générale dans le bâtiment jouxtant l’usine textile paternelle.

Commence alors une saga industrielle, les établissements Joret fabriquent divers outils et objets en lien avec la vie quotidienne de l’époque : charrues, machines à battre le blé, tarares (machines à vanner le grain), pressoirs à cidre, barattes à lait, charronnage (fabrication et réparation de charrettes), quincaillerie et deux petites filatures en ville de Guingamp.

Puis, en 1871, Simon Joret décède et son moulin/entreprise est vendu à Pierre-Mathurin Tanvez qui opérera un virage, quittant la production artisanale pour une dimension plus industrielle vers la fabrication de machines agricoles, la production et le teillage du lin, la carrosserie et le sciage du bois. Sont en train d’éclore les fameuses usines Tanvez qui seront le poumon économique et principal employeur de Guingamp et des communes environnantes pendant plus d’un siècle. Les outils fabriqués à Guingamp sur les berges du Trieux sont vite renommés et médaillés lors de salon internationaux comme l’Exposition Universelle de Paris en 1878, ou plus régionaux comme les salons de Saint-Brieuc ou de Vannes en 1881 et 1883.

De 30 ouvriers en 1880, l’entreprise passe à 50 salariés en 1913, à 100 personnes en 1914 pour produire des obus pour la guerre 14-18… En 1919, le modeste moulin de la Tourelle de Pont-Ezer est devenu une fonderie pour laquelle le cours du Trieux est détourné. En 1939, l’usine compte 1140 salariés ! Cette entreprise située sur les berges du Trieux est l’acteur majeur de l’évolution du monde rural vers un monde ouvrier urbain.

Mais, si l’usine tourne à plein régime jusqu’en 1950, s’ensuit une période de montagnes russes entres commandes pour l’armée française puis perte en 1954 de ces contrats importants en raison de la fin de la guerre d’Indochine, séquence suivie d’une embellie par les commandes et investissements de Fergusson (grande marque de tracteurs et machines agricoles) et de MGM Gevelot (fabricant de munitions). Enfin dès 1959 le déclin s’amorce jusqu’à la fermeture définitive de l’usine en 1985 et sa liquidation judiciaire.

Aujourd’hui après la déconstruction des ruines industrielles en 2011, l’espace de plusieurs hectares occupés par les bâtiments a été rendu à la nature et à la biodiversité très riche sur les berges du Trieux, après un travail de trois années sur la mémoire ouvrière et le patrimoine industriel.

« On fait place nette mais on ne fait pas table rase du passé ! La municipalité a fait en sorte que le devoir de mémoire soit accompli : expo photos, témoignages… »

Notons aussi, une activité voisine des usines Tanvez, sur les berges du Trieux : l’abattoir municipal de Guingamp ! Un abattoir nécessite de grandes quantités d’eau et le Trieux est le déversoir naturel dans lequel est jeté le sang des animaux abattus…

Cet abattoir public qui appartenait à la Ville de Guingamp, employait des ouvriers et ouvrières au savoir-faire incontestable et réputés bons travailleurs. Faut-il s’étonner dès lors que dans les années 1960, le plus grand abattoir « moderne » de poulets de France se trouvait à Guingamp, proche des zones de production…

Selon Pierre Boussard Pierre dans son article de 1973 « Guingamp, cité industrielle ? » :

« Guingamp est née de l’industrie. Une douzaine de voies antiques (dont la voie blanche : Hent Gwen) convergent vers le fossé de Guingamp, passage obligé de la vallée encaissée du Trieux en direction des riches gisements de feldspath qui firent de Pabu la capitale de la terre cuite pendant plus de 2 000 ans. A certaines époques, l’activité industrielle fut intense : les toiles de Guingamp furent célèbres au XVIIIe siècle. Ces industries d’origine rurale, à capitaux familiaux, furent coupées de leurs débouchés extérieurs par les guerres du Premier Empire et se révélèrent incapables d’opérer leur reconversion à l’orée de la première Révolution Industrielle. Les industries inadaptées disparaissent… »

Mais, en août 1960, un an après les débuts des travaux, la première Z.I. de Guingamp est, avec la Z.I. de Rennes, la plus importante de Bretagne. Elle a coûté 1.500.000 F de l’époque !

La perspective du marché commun agricole entraîne l’application d’une réglementation d’ensemble à l’abattage du bétail, au contrôle sanitaire et à la classification des carcasses. En Octobre 1958, la municipalité de Guingamp envisage de remplacer l’abattoir public, route de Tréguier, sur les berges du Trieux, près des usines Tanvez, par un « bloc viande », comprenant un abattoir et un entrepôt frigorifique. Ce « complexe viande-œufs-volailles » coutera 12 millions de Francs et sera construit sur la Zone Industrielle de Guingamp, aménagée sur le territoire de Grâces, faute de place à Guingamp petite ville fortifiée… La distribution de l’eau courante et le traitement des eaux usées permettent le déplacement de certaines activités, le vote de nouvelles lois définit et contraint le rapport à l’eau et aux cours d’eau.

 

Tanneries et foire à la sauvagine

 

L’activité importante autour du cuir était alimentée par la foire à la sauvagine de Guingamp, la deuxième de France. Cette foire interdite par arrêté municipal, cessera en 1980. Elle attirait jusque-là des marchands de toute la France qui se retrouvaient au matin de la foire des Rameaux (le samedi de la semaine précédant celle de Pâques), sur la place de la République (derrière le Tribunal, là où se trouve aujourd’hui la statue de Sitis (soif en latin), le Bambi géant), était envahie tôt le matin par les chasseurs, meuniers et fourreurs.

Sauvagine est le nom collectif donné aux carnassiers à fourrure et à leurs peaux commercialisées : des peaux de sauvagine. Lors de cette foire annuelle et traditionnelle de Guingamp, étaient négociées les fourrures de renards, blaireaux, lapin, taupes, fouines, visons qui avaient été chassés pendant l’année. Il faut dire que la vente de trois peaux de loutre représentait un mois de salaire agricole…   Pour la seule année 1974, la Fédération de chasse des Côtes du Nord déclarait les animaux chassés : 2979 renards, 4528 renardeaux, 413 fouines, 284 putois, 51 hermines, 708 belettes et 25 rats musqués. Ces chiffres donnent une idée de la richesse giboyeuse de nos campagnes et forêts à ce moment-là.

Selon Jean-Paul Rolland, « De 1930 à 1962, un équipage de chasse à la loutre, qui sévissait dans les vallées du centre des Côtes d’Armor (le Guer, le Trieux, l’Hyères, le Guic et tous leurs affluents…) affirmait avoir détruit plus d’un millier de loutre dont les peaux étaient commercialisées lors des foires à la sauvagine de Guingamp ! La loutre fut déclarée, en 1972, animal protégé. »

Tout comme est protégé aujourd’hui le renard, pourtant longtemps considéré comme un nuisible, à tel point que les chasseurs percevaient une « prime à la queue de renard » versée par l’Etat. Notamment pendant la période d’épidémie de la rage.  À partir de 1968, face à l’ampleur de cette épidémie, les autorités sanitaires françaises décident de prendre des mesures radicales et à grande échelle contre les renards. Les méthodes classiques de destruction, c’est-à-dire la chasse au fusil, le déterrage et le piégeage, sont fortement encouragées grâce à l’augmentation des primes la prime à la queue de renard passant de 10 à 30 francs en mai 1973, payable dans les préfectures en échanges des queues de renards rués… Mais, à la foire à la sauvagine de Guingamp, une belle peau de renard, avec sa queue, pouvait se vendre jusqu’à 120 francs !

L’ensemble de ces mesures destructrices causera des pertes considérables au sein de la population vulpine (des renards) entre 1968 et 1998. En effet, ce sont sans doute plusieurs millions de renards qui sont tués par l’homme, pour des raisons sanitaires ou cynégétiques, au cours de l’épizootie rabique, 370 000 animaux étant, par exemple, tués au fusil lors de la seule saison de chasse 1983-1984. En 1990, les primes à la queue de renard sont supprimées. Le véritable tournant pour la santé des renards est toutefois la vaccination.

Cette parenthèse autour du renard me permettait aussi de souligner que pendant des siècles, les activités essentielles de Guingamp étaient la production textile et de cuir, nécessitant de grandes quantités d’eau à des époques où les questions écologiques ne se posaient pas…

Petite liste non exhaustive des métiers nombreux et divers liés au Trieux qui ont fait la prospérité économique de Guingamp et donné du travail à des milliers de personnes au fil des siècles : Meuniers, menuisiers, tonneliers, forgerons, couteliers, ferblantiers, dinandiers, peauciers, tanneurs, gantiers, bouchers, tisserands, cardeurs, ouvriers et patrons du textile, pêcheurs, lavandières, paticiers (fabricants de pâtés), etc.

Dès le XIIIe siècle, Guingamp disposait de balances publiques, signe d’abondantes transactions commerciales.

Aujourd’hui encore, l’implantation humaine et la plupart des activité économiques nécessitent la présence d’une eau abondante et de qualité.

 

Les ponts, lieux de passages et d’échanges

 

Les premiers ponts attestés sont deux pont-levis qui ont fonctionnés jusqu’au XVIIème siècle. Le premier pont, juste après la porte de Brest ou de Loc-Mikaël, fut longtemps, et probablement jusqu’au XVIIe siècle, un pont-levis dont l’entretien était à la charge de la ville de Guingamp, mais l’autre dépendait des seigneurs de Saint-Michel.

Il existait des « passages pour piétons ». Au niveau des moulins installés au fil de l’eau de Sainte-Croix à Pont-Ezer, les déversoirs étaient surmontés de pierres plates qui permettaient le passage, sauf en période de crue : au moulin de la Ville, ce passage était d’une centaine de pas. Parfois, existaient aussi des passerelles de bois, ainsi au moulin des Salles vers Rustang et au moulin de la Tourelle vers le Roudourou.

Il faudra attendre 1874 pour que la passerelle métallique de Saint-Sébastien soit construite et transformée plus tard en pont.  Avec la modernité et la mécanisation des moyens de construction d’ouvrages d’art, les ponts se sont multipliés, à Guingamp comme ailleurs, permettant de franchir le Trieux par toutes saisons et de traverser la ville dans toutes les directions : pont Saint-Sébastien, pont Kennedy et pont Mendès-France.

Quant aux passerelles, le récent circuit des passerelles fait écho à ces anciennes passerelles de bois ou mixant bois et métal, et a permis une réappropriation du Trieux par les habitants de la ville et des visiteurs qui se reconnectent ainsi à la nature, en ville.

 

Lavoirs et lavandières au fil du Trieux

 

Pendant des siècles, avant l’invention de la machine à laver, presque chaque maison avait son lavoir, attenant directement à la maison ou au fond de la cour ou du jardin, donnant directement sur le Trieux. Il y avait aussi pour desservir les différents quartiers de la ville, des files de lavoirs publics et collectifs, parfois couverts, parfois réduits à quelques marches de pierres.  A proximité se trouvaient souvent des séchoirs dont les parois en lames de persienne laissent passer l’air et le vent.

Tableau de Gustave Cariot (1872-1950) : vue de Guingamp et de lavoirs du Trieux

Les métiers de blanchisseuses ou lavandières emploient entre 20 à plus de 100 femmes selon les époques. Sans compter les femmes qui vont laver elles-mêmes leur linge à la rivière. Une certitude :  tout le linge des habitants de Guingamp est lavé dans les eaux du Trieux.

En cas d’épidémie les quartiers riverains du Trieux sont les plus impactés. Ainsi, lors de l’épidémie de choléra de 1832-1833, 60 % des victimes sont des blanchisseuses et des lingères des quartiers de Sainte-Croix, Ruello, Trotrieux, Saint-Michel, Saint-Sauveur qui paieront un lourd tribut à cette pandémie de choléra arrivée des Indes et d’Asie.

L’Europe sera touchée fin 1831, notamment Paris où le Président du conseil et soutien majeur du roi Louis-Philippe, Casimir Perier meurt du choléra le 13 mars 1832. Une victime célèbre parmi des milliers d’anonymes…

Les mauvaises conditions d’hygiène, l’absence d’assainissement (les pots de chambres sont vidés chaque matin dans le Trieux !), des dépôts d’ordures non ramassées, des tas de fumier proches de la rivière, peuvent donc contribuer fortement à la diffusion du choléra. A Douarnenez, Guingamp, Morlaix, la population féminine représentera plus de 60 % des malades, à Quimper ce seront 4 à 5 décès enregistrés chaque jour…

Le choléra revint, en répliques sismiques, faire encore des centaines de morts en Bretagne, en 1834, 1850 et 1880. Heureusement, les mesures d’hygiène et d’assainissement ont permis de faire reculer cette maladie. Parmi ces mesures, celle de badigeonner les murs des habitations à la chaux. Ceci permettait de détruire les miasmes tout en donnant la couleur blanche typique des maisons traditionnelles bretonnes.

L’eau courante à domicile pour les particuliers n’est installée qu’après 1930 et il a fallu encore une trentaine d’années de travaux pour que tous les étages des maisons du centre-ville en soient pourvus et que les branchements au service de traitement des eaux usées soit réalisé. Ceci explique que les lavoirs aient fonctionné jusque dans les années 1950/1960. Le dernier témoin de cette époque des lavoirs est celui de la rue de l’Aqueduc qui est encore utilisé par des femmes qui viennent y laver leur linge dans l’eau d’un petit affluent du Trieux.

Ceci permet de conclure sur ces rus ou ruisseaux, petits affluents du Trieux dont beaucoup ont été busés et le sont encore alors que certains autres sont actuellement remis à leur état naturel.  Ruisseaux de Kergré, de Prat al Lann, du Frout ; rus des Lutins, de Kersalic, du Plouez, du Stang : tous apportent leurs eaux au Trieux. Un ru est un ruisselet, un petit ruisseau.

Vue sur le Trieux en 1918 : les prairies à gauche ont laissé place au parking Saint-Sébastien et à l’aire de jeux pour enfants…

 

Conclusion

 

Aujourd’hui plus que jamais l’accès à l’eau est un enjeu pour la transition écologique et climatique en cours. Le Trieux a toujours été un élément vivant et structurant de la présence humaine et de nombreuses activités productives ou ludiques sur ses berges.

Il nous appartient d’être respectueux de cette richesse commune et de ce bien public que sont l’eau source de vie et les cours d’eau véritable réseau sanguin de la planète Terre.

 

Mona Bras (janvier 2024)
Présidente de l’association des Amis du patrimoine de Guingamp

(c) Amis du Patrimoine de Guingamp

 

 

Sources et bibliographie

  • Hervé LE GOFF : Les riches heures de Guingamp ; des origines à nos jours
  • Site des Amis du patrimoine de Guingamp – nombreux articles en libre accès, notamment de Jean-Paul ROLLAND et de Jean-Pierre COLIVET : https://patrimoine-guingamp.net/
  • Archives et bulletins des Amis du patrimoine de Guingamp : https://patrimoine-guingamp.net/publications-2/revues/  (collection complète consultable à la médiathèque de Guingamp)
  • SMEGA : Syndicat mixte environnemental du Goëlo et de l’Argoat
  • Eaux et Rivières de Bretagne
  • SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) Argoat-Trégor-Goëlo
  • CLE : Commission Locale de l’Eau du bassin versant du Grand Trieux
  • Ouest-France, 17 février 2019 : Querrien, Eon Derrien, le dernier trappeur de sauvagines
  • Fabienne MENGUY, Ouest-France : À Guingamp, naguère, moulins et lavoirs bordaient le Trieux
  • Collectif : Les Usines Tanvez, culture industrielle et mémoire ouvrière
  • Jacques LEONARD : La santé publique en Bretagne au XIXe siècle
  • Manon MONNIER : Bretagne : quatre épidémies auxquelles la région a déjà dû faire face
  • Erwan CHARTIER-LE FLOC’H : 1832. Le choléra en Bretagne
  • Pierre BOUSSARD : 1973, Guingamp cité industrielle ?
  • Centre généalogique des Côtes d’Armor

 

Illustrations

  • Cartes postales : collection privée Jacques DUCHEMIN, sauf : Les usines Tanvez vue aérienne – éditions Artaud de Nantes, via Bretania et Archives départementales d’Île et Vilaine
  • Les deux tableaux de Gustave CARIOT, vendus lors de ventes aux enchères publiques et désormais dans des collections particulières

 

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