À Saint-Léonard, 1941 – 1945
Par M. J.-Y. LE SOLLEU
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Ma chienne Woalen est toujours aussi encombrante au moment des repas ; il est vrai que le signal de la soupe n’a lieu qu’à 19 h 30 environ chaque soir ; le signal de la soupe pour elle est le petit effet de cloches que je produis sous le fond de la gamelle par le pianotement des ongles ; c’est très sonore et a un effet radical. J’aime beaucoup cet instant à cause de la gamelle justement : il me revient le souvenir que je déjeunais dedans à midi à la cantine de Saint Léone comme nous disions. Oui cette assiette en alu je la connais depuis quelques quatre-vingt-trois ans ! On a dû se perdre de vue pendant longtemps sans doute mais son bourrelet arrondi a traversé le temps et m’évoque ces moments vitaux de l’enfance.
L’école Saint-Léonard tenue par les frères de Ploërmel commençait une autre vie alors que les troupes allemandes arrivaient en Bretagne.
Le bâtiment scolaire ne possédait alors pas de cour de récréation et nous allions passer les récrés dans le champ immédiatement en dessous, du trèfle allant jusqu’au Chemin du carré. Les frères se sont décidés un jour à nous créer une vraie cour de récré mais encore fallait-il en délimiter la surface ; ils entreprirent eux-mêmes d’en construire l’enceinte par un mur élevé à chaux et à sable. Il me souvient d’avoir remarqué cette grande fosse creusée en pleine terre dans « le champ », toute blanche et qui contenait la chaux que le petit père Monotte – l’économe – remontait dans une brouette à gros efforts ; les frères avaient retroussé leur soutane et leurs manches et nous les regardions avec autant d’étonnement que d’admiration. Le résultat étonnant par ses dimensions et un sol régulier, bien plat, ce fut une fort belle réalisation à l’actif de nos maîtres : intellectuels et manuels à la fois.
Nous étions à la cantine, légèrement en sous-sol quand de grands grincements nous ayant alertés nous apercevons à hauteur des petites fenêtres des charrettes d’un genre tout à fait inconnu ; les charrettes à cheval nous en côtoyions tous les jours dans les rues mais jamais de ce genre-là : longues et étroites et taillées en V au lieu de parois verticales .nous avons immédiatement repéré les uniformes verts déjà aperçus par ailleurs quelques temps plus tôt : les Allemands allèrent jusque dans la grande cour toute neuve ; non seulement ils prenaient beaucoup de place mais le grand préau en tôle , notre abri de jeu par temps pluvieux fut occupé par de gros chevaux de trait libérés de leurs carrioles ; Il fallut bien admettre et supporter ce voisinage nouveau qui encombrait maintenant une grande partie de notre belle cour.
Mais ces nouveaux arrivants furent à l’origine de bien des bouleversements de nos habitudes enfantines. Il n’y eut de positif à nos yeux que le fait d’aller grimper dans les bottes de pailles stockées à côté des chevaux des fridolins ; par contre ils devinrent véritablement encombrants lorsque nous ayant chassés de notre réfectoire ils le transformèrent en un magasin où il y avait – me sembla-t-il – des sacs de sel, le farine, et de que sais-je encore…
C’est ainsi que notre réfectoire a été « exilé » dans une grange attenante à l’école et où nous sommes restés jusqu’à la fin de la guerre : c’est là aussi que le p’tit père Monotte nous apprit un jour de juin 1944 que le débarquement avait eu lieu en Normandie. Mais cela est une autre histoire.
JYS le 4 décembre 2024
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