Notre Dame de Bon Secours : vœux solennels du 11 juin 1944 à 20h00
Par M. Jean-Paul ROLLAND
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Ce jour-là, qui était un dimanche, en présence d’une foule considérable, eut lieu à la Basilique la cérémonie au Vœux Solennel de la Paroisse à sa glorieuse Bretonne.
Agenouillés sur les dalles, les Guingampais, humblement prosternés aux pieds de ND de Bon Secours, de tout cœur nous demandons pardon pour nos péchés, pour ceux de la France et pour ceux du monde. À l’avance nous acceptons, nous bénissons, et nous offrons au Seigneur, par les mains de sa divine Mère, pour le bien de nos âmes et de notre Patrie, les souffrances qu’il plaira à Dieu de nous envoyer.
Cependant, confiants dans la miséricorde divine, nous supplions ND de Bon Secours d’user de sa puissance souveraine pour obtenir un terme rapide à la guerre, la protection de la France, la protection spéciale de la Bretagne, et très spécialement celle de notre paroisse.
Si la Bretagne et notre paroisse échappent aux horreurs de la guerre, nous promettons, comme gage de notre reconnaissance et pour en perpétuer le témoignage, d’offrir à ND de Bon Secours, à la faveur d’une quête publique, une bannière de très grand prix, qui sera portée solennellement à toute manifestation mariale de Guingamp. De plus, une plaque commémorant le présent vœu et ses heureux résultats, sera apposé au Porche Notre Dame dès que les circonstances le permettront.
ND de Bon Secours, priez pour nous
ND de Bon Secours, ayez pitié de nous
ND de Bon Secours, sauvez nous
Cette grandiose cérémonie s’est déroulée à la basilique sur l’initiative des membres de la section guingampaise de la Ligue féminine d’action catholique.
À la suite de l’appel vibrant lancé du haut de la chaire à toutes les messes par l’abbé Kermaidic, vicaire, directeur des œuvres paroissiales, c’est en masse compacte, débordante par toutes les portes du vaste navire de la basilique, qu’hommes, femmes et enfants de Guingamp, sont venus dire à Notre Dame de Bon Secours avec toute leur foi, leur espérance et leur amour qu’ils ne comptaient plus que sur elle et sur son divin Fils pour sauver la France, la Bretagne et, tout spécialement Guingamp.
Après la récitation du chapelet et le chant du cantique « Les saints et les anges », M. le chanoine Thomas, curé archiprêtre, salua les autorités civiles et religieuses qui, toutes, assistaient à l’imposante manifestation et donna à l’innombrable assemblée recueillie le sens du vœu qui, solennellement allait être déposé aux pieds de la patronne vénérée de Guingamp.
La pieuse cérémonie se continua par la procession de la statue de la Vierge à l’intérieur de la basilique tandis que des milliers de voix traduisaient l’émotion qui étreignait tous les cœurs en chantant le cantique « Reine de l’Arvor, nous te saluons ».
Puis l’abbé Kermaidic lut lentement le vœu du haut de la chaire et, avec lui, à genoux sur les dalles mêmes de la basilique, devant la statue de Notre Dame, ornée de fleurs blanches et exposée au centre du maître autel, le répétèrent avec un profond recueillement les milliers de paroissiens accourus d’un même élan filial implorer leur « maman du ciel » de faire dans la bonté ce que les hommes ne peuvent faire dans le sang.
Cette bannière sera bénie le dimanche 27 octobre 1946, à 20h30, par Monseigneur Coupel.
Sur l’avers : les pieds posés sur une nuée, la Vierge Marie porte l’Enfant Jésus sur son bras gauche ; l’Enfant Jésus se présente les bras grands ouverts pour nous recevoir. La Vierge et Jésus portent les couronnes[1] semblables à celles offertes par Rome en 1857 (photo) ; au cou, un collier auquel pend le Sacré Cœur de Jésus. Au-dessus de leur tête, le monogramme marial : AM qui veut dire Ave Maria (Je vous salue Marie : premiers mots par lesquels l’ange Gabriel salue la Vierge Marie (Lc 1:28) lors de l’Annonciation).
À la base de la nuée, sur un bandeau bleu, cette inscription : GUINGAMP 7 AOUT 1944
Les couleurs utilisées : le fond doré symbolise la couleur céleste ; le blanc, couleur comme le signe d’une vie nouvelle ; le bleu est une teinte sacrée qui symbolise la pureté et la féminité.
À droite et à gauche, une bande blanche, parsemée d’hermines noires, symboles de la Bretagne, et le blason de Guingamp : Fascé d’argent et d’azur de quatre pièces. Les armes sont celles de la Frérie (ou Frairie) Blanche depuis 1457 (pieuse association qui réunissant les trois ordres sous l’Ancien Régime : clergé, noblesse, tiers-état, exprime la recherche de l’unité et de la solidarité dans la société).
La bannière est coiffée d’une bande de tissu festonné sur laquelle on peut lire :
RECONNAISSANCE A NOTRE DAME DE BON SECOURS
Photo des vraies couronnes réalisées en 1855 par le briochin Hippolyte-Paul Desury (orfèvre1835 – 1894)
Sur le revers : L’archange saint Michel portant une flamme (pièce d’étoffe taillée en pointe fixée au sommet d’une lance comme emblème) sur laquelle on peut lire : « Quis ut Deus » signifiant « Qui [est] comme Dieu » et qui est une traduction littérale du nom Michel. Il est représenté comme un guerrier angélique armé ; il vient de terrasser Satan qui est identifié sous la forme d’un dragon. Son épée est enfoncée dans le corps de cette drôle de bête ! Cette scène est représentée sous un dais doré constitué de deux piliers supportant sur des chapiteaux deux feuilles de lauriers disposées en tiers point. La base est constituée d’un cartouche où l’on peut lire : PRIEZ POUR NOUS. Saint Michel est posé sur un fond cramoisi et le dais est entouré de rinceaux cousus au fil d’or.
Sur la coiffe on peut lire : SAINT MICHEL PROTECTEUR DE LA FRANCE[2]
Sur la droite, une bande d’or tirant sur vert parsemée de croix de Lorraine, en haut un écusson héraldique : De gueules à trois coquilles d’argent. (J’ignore absolument la signification de ce blason ; peut être fait allusion au pèlerinage au Mont Saint Michel ?)
La croix de Lorraine[3] est devenue en 1940 l’emblème de la France Libre du général de Gaulle, à l’initiative du vice-amiral Emile Muselier Lorrain par son père. Ainsi cette bannière rend hommage aux résistants de Coatmallouen, Kerloc’h et Plouisy pour avoir contribué, aux côtés des Américains, à la Libération de la ville de Guingamp.
En dessous, un blason semé d’hermines symbole de la Bretagne. En 1316, avec le duc de Bretagne, Jean III, les armes : d’hermine deviennent les pleines armes du duc de Bretagne, avec cette noble devise : Kentoc’h mervel eget bezan saotret (Plutôt la mort que la souillure).
Transcription par Jean Paul ROLLAND, septembre 2024
Source : Cahier de la Paroisse de Guingamp tenu par M le chanoine Thomas, curé-archiprêtre de la paroisse de Guingamp. Merci à Hyacinthe Desjars de Keranroué et Jef Philippe pour leur relecture.
Photos : Jean Paul Rolland, Jacques Duchemin et Rémi Chermat.
[1] L’église Notre-Dame de Guingamp consacrée à la Vierge de Bon-Secours fut la première de Bretagne et la quatrième en France à recevoir de Rome « les insignes de la couronne d’or, fondation romaine du comte Sforza Pallavicini (prêtre jésuite italien, théologien et historien du concile de Trente ; il fut fait cardinal en 1657 par le pape Alexandre VII), pour le couronnement des Madones les plus célèbres du monde ». Le 8 septembre 1857, la cérémonie du couronnement se fit en présence de quatre évêques dont un Américain, de plus de six cents ecclésiastiques, et d’une foule énorme.
[2] Saint Michel a été adopté par la monarchie française comme un des Patrons principaux de la France. Ce grand patronage remonte à l’origine du royaume franc comme fille ainée de l’Église. À la bataille de Tolbiac, Clovis se sentant perdu, appela à son secours le Dieu de Clotilde qui donna la victoire sur les Alamans ; selon certains auteurs ce secours serait parvenu aux Francs par l’intermédiaire de saint Michel. Cela expliquerait la raison pour laquelle, dans le sacre des rois de France, on invoquait particulièrement saint Michel pour la bénédiction de la bannière royale. Si Charles Martel put arrêter l’avance des Sarrasins, c’est aussi grâce au secours de saint Michel Archange car il avait fait bénir son épée dans un oratoire lui étant dédié.
[3] Bien avant cela, au Moyen Âge, cette croix à deux traverses, appelée croix archiépiscopale en héraldique, a connu une grande fortune en Europe Centrale. Dès le XIIe siècle, elle figure sur les armoiries et les monnaies hongroises. C’est la « croix de Hongrie ». Au siècle suivant, l’emblème entre dans la maison d’Anjou-Sicile à la suite du mariage de Charles II de Naples et Marie de Hongrie. Au XlVe siècle, Louis 1er d’Anjou, fils du roi de France Jean le Bon et prétendant malheureux aux trônes de Naples et de Hongrie, fait broder le symbole sur sa bannière, lequel prend le nom de « croix d’Anjou ». Il deviendra enfin l’emblème de la Lorraine lorsque le « bon roi René », petit-fils de Louis 1er régnera sur le duché de Lorraine à partir de 1431. Après la rétrocession de la Lorraine par René 1er à son petit-fils René II en 1477, La croix d’Anjou ne sera plus appelée que « croix de Lorraine ». Aujourd’hui, cette croix figure toujours sur les armes de Hongrie ainsi que sur le drapeau slovaque.