Yves Le Magoarou et la caserne. 20 avril 1944
Genèse de l’exploit d’Yves Le Magoarou le 20 avril 1944 dans la caserne la Tour D’Auvergne à Guingamp
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Par M. Jean-Paul ROLLAND
L’exploit du jeune Yves-Marie Le Magoarou, le 20 avril 1944, jour de l’anniversaire d’Adolphe Hitler (55 ans), symbolise bien à quelques mois de la Libération la montée en puissance de la résistance à l’occupant. Yves Marie Le Magoarou n’avait que vingt ans, l’âge qu’ont aujourd’hui, en 2022, les étudiants de l’université catholique de l’ouest qui ont pris possession de cette ancienne caserne La Tour d’Auvergne en 1993, pour remplacer le fameux 48ème Régiment d’Infanterie qui a séjourné pendant plus d’un siècle en ce lieu !
Yves Marie Le Magoarou était le fils de François Le Magoarou, cultivateur au Rest en Ploumagoar (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor), et de Jeanne Marie Laurent, ménagère. La famille s’installa au village de Saint-Jean en Grâces (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor), où son père est décédé le 15 juin 1931. Yves Le Magoarou fut adopté par la Nation en vertu d’un jugement du tribunal civil de Guingamp en date du 24 février 1932.
SOURCES : AVCC, Caen, AC 21 P 76 249. — SHD, Vincennes, GR 16 P 359441. Genweb. — État civil, Ploumagoar (acte de naissance).
Il demeurait à Pen-an-Croas-Hent en Grâces-Guingamp. Il travaillait en tant que civil à la caserne ; néanmoins sous l’influence de Victor Sohier, il entreprit, seul, un des sabotages les plus spectaculaires du département. Il pénétra, grâce à la complicité d’un Polonais enrôlé dans l’armée d’occupation allemande à l’intérieur des sous-sols du bâtiment central de la caserne de La Tour D’auvergne qui abritait un important stock de munitions, il y déposa trois charges explosives de plastic et leurs crayons détonateur.
Mais qui était Victor Sohier ?
Originaire de Loudéac, né en 1914 et mort à Grâces en février 1999, Cet homme discret fut parmi les résistants de la première heure. C’est lui qui devait guider le geste de son jeune voisin de l’époque, Yves Marie Le Magoarou.
Victor Sohier rentra dans la Résistance en 1942. Cheminot à Guingamp, alors qu’il travaillait comme cheminot, en tant que « visiteur » en gare de Guingamp, en prenant bien soin de marquer à la craie d’un V ou d’une croix de Lorraine chaque wagon dont il assurait le contrôle technique.
C’est à la fin de l’année 1943 que les actes contre l’occupant allaient s’intensifier. Employé au dépôt de machines de la Patte d’Oie (Sainte Croix en Grâces), Victor Sohier organisa avec une demi-douzaine de collègues des sabotages de la voie ferrée ou du dépôt de machines. Il était recherché sous le nom de Jacques Chauffeur. Cela lui a sauvé la vie. Les Allemands ne l’ont jamais identifié. Les résistants durent cependant freiner leurs actions quand les forces d’occupation menacèrent de s’en prendre aux épouses de cheminots.
Pour entrer en résistance, c’est un autre cheminot, Désiré le Bec, qui l’a mis en contact avec « Mathurin », le commandant Branchoux[1]. Après quoi Victor Sohier est devenu un spécialiste des sabotages de locomotives, de voies ferrées, des lignes haute-tension, ou encore du câble téléphonique souterrain Brest-Berlin. D’abord FTP, Victor Sohier a rejoint la quinzaine de FFI et faisait partie, en 1944, du maquis « Corps franc vengeance » de Kerlouet à Grâces[2].
L’explosion à la caserne
C’est le dentiste Jo Le Floc’h qui choisit la date de l’opération, le jour de l’anniversaire d’Hitler le 20 avril. Victor Sohier avait pris contact avec Yves Simon qui lui a fourni cinq pains de plastic. Il a préparé les explosifs : cinq bombes liées à des flacons d’essence afin de propager l’incendie. Les détonateurs étaient à l’acide. Il suffisait d’écraser les ampoules. L’explosion se produisait deux heures plus tard. Il avait tout préparé à son domicile. Le jour convenu, Il avait dit à Yves Marie de siffler au retour en passant devant chez lui pour signaler que la mission était accomplie.
Le soir venu, il a accompagné Yves Marie jusqu’au passage à niveau de la route de Gurunhuel. Vers 21 h 30, il a escaladé le mur de la caserne : sa musette aurait attiré l’attention des sentinelles à l’entrée. Plus tard, il est passé sous sa fenêtre en sifflant pour dire que tout était en place… C’est à 0 h 20 que la première explosion retentit. Deux autres suivent. Tout le bâtiment central est la proie des flammes illuminant les alentours. Les balles, les grenades, les obus vont sauter pendant douze heures, empêchant les soldats et les pompiers d’approcher.
Après, Yves Le Magoarou s’est caché pendant deux ou trois jours au maquis de Kerlouet, avant qu’il ne soit dirigé sur le maquis de Plésidy.
Yves Le Magoarou avait bien préparé son coup. Il escalada le mur de la caserne vers 22 h. Il devait plastiquer le bâtiment central de l’édifice qui abritait le dépôt de munitions, le stock d’essence (Guingamp abritait le siège du 74e corps d’armée allemand[3]). Avec des fausses clés, il rentra dans le bâtiment, installa à des points précis ses explosifs et réussit à repartir. Le jeune homme avait deux heures devant lui pour quitter les lieux. Il sera retardé par une porte ne voulant plus s’ouvrir. Il parviendra cependant à quitter les lieux par un petit vasistas et réussira à déjouer la présence allemande et à rentrer chez lui, à Pen-an-Croissant.
Ce qu’il fit cette nuit-là nécessitait un courage et un sang-froid hors du commun.
Ce soir-là, une bonne partie des Allemands affectés au dépôt étaient tout simplement ivres pour fêter les 55 ans de leur Führer. Le feu d’artifice vers minuit fut colossal. À 8 h du matin, on entendait encore des explosions. Tout le bâtiment central était dévasté. Les dégâts étaient considérables.
Il rejoignit le maquis de Saint-Connan/Coatmallouen dans le groupe de Paul Bouédec et de Pierre Ziegler.
Après la libération de Guingamp, il s’engagea et parti comme sergent-chef sur le front de Lorient où, la nuit du 27 décembre 1944, il fut tué par une balle perdue lors d’un ravitaillement en munitions qu’il était venu faire à Nostang.
Pierre Ziegler et Roger Le Magoarou découvrent la plaque souvenir décernée à Yves Marie Le Magoarou. 1994
Le maire Albert Lissillour, le sous-préfet Henri Souchon et Roger Le Magoarou déposent des gerbes.
On peut lire sur la plaque :
Le 20 avril 1944 à minuit
sous l’occupation allemande
ce bâtiment dépôt de munitions fut détruit
grâce à l’exploit accompli par le jeune patriote
Yves Marie Le Magoarou
de Grâces Guingamp
Mort glorieusement au champ d’honneur le 27 décembre 1944
Jean Paul ROLLAND, octobre 2022
Sources
- Maitron.fr
- Ouest France 1994, témoignage de Victor Sohier
- Visages de la résistance bretonne. Alain Lozac’h. Coop Breiz
[1] Le commandant Branchoux organise un groupe de Libération-nord qui donnera naissance au maquis de Plésidy (Coatmallouen) ; il se retrouvera à la tête de l’AS (Armée Secrète).
[2] Corps franc Vengeance : organisation de la Résistance implantée en région parisienne, Centre, Bourgogne, débordant sur la Bretagne et la Normandie, fondée par le docteur Dupont. À l’origine (en 1940), un réseau de renseignement baptisé Turma-Vengeance voit s’ajouter en 1943 des groupes paramilitaires baptisés Corps francs Vengeance (docteur François Wetterwald), qui se fédèrent avec les groupes Action du mouvement Ceux de la Libération. Mais le mouvement se divise et en 1944, ses chefs régionaux, plutôt que d’intégrer Ceux de la Libération, préfèrent l’intégration directe aux FFI au sein de l’Armée secrète. Le réseau Vengeance paya un lourd tribut à la libération du pays avec plus de 620 morts pour la France.
[3]Le 74e corps d’armée allemand est formé le 27 juillet 1943 dans le Wehrkreis XI. En Bretagne : Août 1943 – Juin 1944. Sous le commandement du Général d’Infanterie : Erich Straube. Il est détruit dans la poche de la Ruhr le 16 avril 1945.