Guingampais et briochins à Ypres (1915). L’attaque des gaz

Guingampais et briochins à Ypres (1915). L’attaque des gaz

Texte complet et carte (fichier pdf) : 73_74_Ypres_JPC_Patrimoine

Par M. Jean-Pierre Colivet

1. Le contexte. 2. L’attaque. 3. Le commandant Billot

Le contexte

L’année 1915 a vu la première attaque massive aux gaz sur le champ de bataille. Dans les media de 2015, au mois d’avril, cet événement n’a été que très peu relayé. Pourtant, guingampais et briochins, entre autres, ont été directement concernés par cette nouvelle forme de la guerre voici un siècle. Voyons comment on en est arrivé là et ce qui s’est passé à Ypres en ce 22 avril 1915.

L’hégémonie industrielle

L’Allemagne, jeune empire, entreprenait des efforts importants tant dans le domaine sidérurgique que chimique. Depuis sa naissance, en 1871, elle entretenait une forte volonté d’hégémonie qui permit l’émergence d’une industrie et d’une sidérurgie puissantes, épaulées par d’immenses réserves de charbon. Par ailleurs, elle développait une chimie industrielle de pointe, grâce à la distillation de la houille et à une politique efficace qui visait à donner la priorité aux industries permettant le démarrage économique de l’Allemagne.

Une grande partie de cette nouvelle industrie était tournée vers la fabrication de colorants et de médicaments et détenait le monopole de la production de colorants synthétiques. L’Allemagne possédait 30 000 chimistes actifs au sein de son industrie et la France n’en comptait que 2 500 à la même époque. Les principales firmes ont traversé les époques et existent encore : BASF, Bayer, Hoechst, Agfa…

La situation

En 1915, face à un front figé, les états-majors français et allemands vont recourir à l’utilisation de l’arme chimique afin de débloquer la situation de face-à-face meurtrier dans les tranchées. Dès la fin de 1914 et au début 1915 l’état-major français avait employé des munitions suffocantes non létales (c’est-à dire non asphyxiantes) afin de respecter les conventions de La Haye et Genève. L’escalade de l’emploi des armes chimiques commençait.

La deuxième bataille d’Ypres (22 au 30 avril 1915) opposera la IVe armée allemande aux troupes alliées britanniques, belges et françaises du 22 avril au 25 mai 1915. C’est la seconde tentative allemande pour prendre le contrôle de la ville flamande d’Ypres en Belgique, après celle de l’automne 1914.

En ce 22 avril 1915, dans le secteur d’Ypres, tout est calme. Il fait beau, même lourd au bord du canal de l’Yser. La 87e division d’infanterie territoriale française est scindée en deux brigades. La 173e regroupe le 73e régiment d’infanterie territoriale (RIT) de Guingamp commandé par le lieutenant-colonel de Plas et le 74e RIT de Saint-Brieuc aux ordres du lieutenant-colonel Chauvel. L’autre brigade, la 174e regroupe des régiments normands ou assimilés Les territoriaux, surnommés les pépères, sont bordés à leur Est par des troupes d’Afrique du nord (45e division algérienne) surnommées les joyeux et à leur ouest par la 6e division belge. En principe, les régiments d’infanterie territoriale ne devraient pas participer aux opérations en rase campagne car ils ne possédaient pas les moyens adéquats pour prêter leur concours aux régiments classiques d’active et de réserve. Leur emploi dès août 1914 était de participer à la police des lignes frontières, à l’occupation et la défense des forts, des places fortes ou des ponts.

Face aux bretons, les 46e et 52e divisions de réserve allemandes de la IVe armée du duc Albert de Wurtemberg, est formée elle aussi de réservistes, conscrits et volontaires.

La 87e DIT est répartie sur un front orienté ouest-est, partant du village de Steenstrat (rive gauche de l’Yser) et jusqu’après le village de Langemark (Cf. carte). Elle s’est installée de façon paisible, le village de Boesinge présentant tous les aspects d’une sécurité de bon aloi et les territoriaux flânent dans les rues.

Du côté allemand une étrange activité s’y exerce. Des spécialistes du 35e Gasregiment (colonel Peterson) installent des bonbonnes de chlore par batteries de 20 unités chacune sur un front d’une douzaine de kilomètres soit 5 730 bouteilles. Le père du système, Fritz Haber, avait équipé tous les pionniers d’un tampon noué devant le nez et la bouche. Dès la mi-mars, malgré des tirs d’artillerie meurtriers sur les tranchées destinées aux installations en cours (de nombreux pionniers périront les premiers des gaz libérés) l’installation est terminée mais la situation météorologique ne permettra pas de déclencher le dispositif. Il faudra attendre le 22 avril à 17h05 (heure française) pour que les conditions soient optima.

Les 22 et 23 avril 1915, l’attaque

Laissons parler les rédacteurs des 73e RIT et 74e RIT (extraits des journaux de marche et opérations, JMO).

Au 73e RIT « la journée avait été calme, trop calme même. Depuis le front anglais (canadiens) près de Langemarck, la ligne française se composait de deux compagnies de tirailleurs du bataillon d’Afrique, le 74e territorial et le 73e territorial à Steenstraal. Lorsque vers 17h50, de la ferme Shalpe, poste de commandement du colonel de Plas, une épaisse fumée jaune-vert clair s’élevant subitement au dessus de nos tranchées est perçue sur toute la ligne Steenstraat, Het-Sas et le bois triangulaire. Cette fumée s’élève à la hauteur des plus grands arbres et poussée par le vent du nord favorable ces vapeurs lourdes et toxiques ont un instant envahi nos tranchées. Les chefs de bataillon Hattu et Lamour, qui se trouvent en première ligne informent que leur ligne est fortement attaquée et que les allemands se servent de gaz asphyxiants ; ils se disent asphyxiés dans leurs postes mais recommandent de résister jusqu’à la dernière limite. Cependant, les allemands brusquent leur mouvement et moins de 45 minutes après le début de l’attaque, le 2e bataillon en ligne à Steenskaate est tourné, cerné et en partie fait prisonnier ou asphyxié. Un adjudant et 35 hommes de la 7e compagnie (Cie Bonnoud) peuvent cependant s’échapper en passant dans les lignes belges… »

74e RIT, 16h49. « A la suite d’une matinée calme, l’ennemi fait une attaque brusquée sur tout le front du secteur. Cette attaque est préparée par la projection sur nos tranchées de vapeurs lourdes asphyxiantes, qui envahissent nos ouvrages ; elles s’échappent des tranchées ennemies en tourbillons et semblent provenir d’une série de foyers répartis sur toute la ligne allemande. Bientôt un nuage, épais et opaque, continu, jaune à la base, puis vert au-dessus et enfin blanc, s’étend depuis Steenstraat jusqu’à Langemarck et au-delà vers les lignes anglaises. Le vent du nord pousse régulièrement ce nuage qui roule lourdement sur nos positions, envahissant nos tranchées de première ligne où les hommes tombent sans pouvoir faire usage de leurs armes. Le commandant Billot (voir en fin d’article) est blessé mortellement auprès de son PC alors qu’il essaye de rallier ses troupes ; la résistance devient impossible ; les zouaves et le bataillon d’Afrique commencent le mouvement de repli. Les soutiens atteints à leur tour par les vapeurs suffocantes sont contraints d’évacuer vers les tranchées du canal, à droite et gauche du pont de chemin de fer de Boesinghe. L’ennemi pourvu de masques respiratoires, avance rapidement en deux colonnes, à l’est et à l’ouest par le bois triangulaire et Langenmarck, enveloppant notre centre. La tête de pont de Boesinghe étant envahie par les gaz, la 4e section de la 11e compagnie du 74e régiment territorial d’infanterie sous le commandement de l’adjudant Morin, résiste jusqu’à la dernière extrémité et disparait en entier, la position ne peut plus être défendue… »

Le lieutenant-colonel de Tonquédec qui a remplacé le colonel de Plas, écrira : « Le 73e régiment territorial d’infanterie a perdu en tués, blessés ou disparus 14 officiers, 70 sous-officiers, 842 caporaux et soldats. Le 2e bataillon, le plus atteint, avait presque disparu en entier. Le colonel de Plas, blessé à la jambe, est évacué malgré le danger par quatre brancardiers conduits par le docteur Nogué. Le capitaine Stricker prend provisoirement le commandement du régiment…
Les contre-attaques aussitôt commencent. Il faut rejeter l’ennemi au moins jusqu’au-delà du canal. Des renforts arrivent, notamment les tirailleurs algériens. De leur côté, les Anglais attaquent pour nous dégager. Combats acharnés, terribles jusqu’au 26. Le canon tonne sans discontinuer et les régiments fondent dans les assauts répétés. Bientôt Lizerne n’est plus qu’un amas de ruines et Zuydschoote est fortement atteint. Entre la route et le canal, c’est un charnier épouvantable. En tout cas, les Allemands n’ont pas passé. Ils n’ont pas été au-delà du canal, ou du moins pas longtemps. »

Au 74e RIT l’on notera au JMO que 9 officiers et 61 sous-officiers ou soldats ont été tués. Mais le nombre de disparus est impressionnant : 12 officiers, 96 sous-officiers, 82 caporaux et 642 hommes de troupe.

A la fin de la bataille les hommes restants seront regroupés avec ceux du 79e RIT et envoyés en deuxième ligne à l’est d’Elverdinge. L’attaque allemande a échoué face aux français mais réussira à ouvrir une brèche de plus de 8 km dans le secteur canadien.

Un mémorial inauguré en 1929

Des familles et anciens Poilus ont décidé d’élever leur propre monument juste derrière la ligne de front. Un calvaire qui, depuis le XVIe siècle était installé sur la commune de Louargat, a ainsi été transféré sur le site belge. Le dolmen et les menhirs, quant à eux, ont été remis par un agriculteur d’Hénansal qui avait survécu à l’attaque au gaz. Regroupés au sein de ce mémorial, le 15 septembre 1929, les monuments ont été bénis par Mgr Serrand, ancien aumônier de la 87e division d’infanterie territoriale, qui a combattu sur ces terres flamandes et qui, après guerre, a été nommé évêque de Saint-Brieuc.

Le Commandant Billot

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A l’entrée en guerre, le maire de Guingamp, élu le 19 mai 1912, est Henri Billot, né à Bordeaux le 13 août 1860, officier en retraite, père de douze enfants et demeurant au château de Cadolan. Il soutient la création d’un jardin public municipal inauguré en 1913, dont les parterres sont dus à l’horticulteur Liberge. Mobilisé le 2 août 1914, le Commandant Billot meurt au champ d’honneur, sur le front en Belgique le 22 avril 1915. À sa mort, la ville de Guingamp a décidé de donner son nom au jardin public.

Commandant Billot : sources Ouest-France et Le Télégramme

Voir l’article complet sur le Commandant Billot (12/07/2019)

Jean Pierre Colivet

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