La famille de Sonis
Elle est originaire du sud-ouest de la France, de la région d’Auch depuis le XIIIe siècle.
C’est une famille de notables dont certains occupent d’importantes fonctions dans le clergé ou la magistrature… L’achat de certains offices permettait l’accès à la « noblesse de robe ». Ce fut le cas des de Sonis en 1728. Leurs armoiries sont « d’azur à la fasce haussée d’argent surmontée de trois étoiles de même rangées en chef et accompagnées en pointe d’un lion rampant d’or ».
À partir du XVIIIe siècle, leur noblesse reconnue leur permet d’entrer dans l’armée…
Louis-Gaston (1760-1830) sera capitaine dans la Grande armée en l’an XIII (donc sous l’empire).
Un de ses fils, Jean-Baptiste (1795-1844) sert aussi l’empereur puis les armées de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.
L’aîné des fils de Jean-Baptiste, Louis-Gaston (1825-1887) sorti de Saint-Cyr participe aux campagnes d’Afrique, d’Italie (unité italienne) puis occupe un commandement en Algérie où il réside souvent accompagné de sa famille.
Éclate la guerre de 1870 qui tourne au désastre militaire : capitulation de Napoléon III à Sedan le 2 septembre, abdication, proclamation de la République le 4, capitulation de Bazaine avec toute son armée (180 000 hommes…) le 27 octobre, encerclement complet de Paris qui capitulera en janvier 1871.
Le gouvernement est parti à Tours, la « Commune » prend le pouvoir à Paris. Gambetta,
qui a quitté Paris en ballon en octobre a essayé d’organiser la résistance en province : armée du Nord, armée de l’Est, qui n’arrivent pas à obtenir de résultats. Reste l’armée de la Loire : elle est coupée en deux ; le gouvernement se replie à Bordeaux…
Quel coup pour le moral !
C’est alors que Louis-Gaston de Sonis est rappelé d’Algérie, nommé général de brigade et commandant de l’armée de la Loire.
De Tours où il est resté, lui, Gambetta avait pratiquement ressuscité l’esprit de 1792 et rassemblé une armée hétéroclite : rescapés des batailles précédentes, appel à des volontaires (dont, dès le début de la guerre, les trois jeunes fils du nouveau général), « levée en masse » des célibataires et veufs sans enfants… Beaucoup de ces « mobiles [1] seront de la région de l’ouest encore épargnée mais menacée par l’avance prussienne vers Le Mans (d’où le fameux « voeu de la guerre » à l’église Notre-Dame de Guingamp…).
On y intègre aussi les « zouaves pontificaux »… désormais inutiles puisque Rome est tombée le 20 septembre 1870. Une armée mal équipée, mal armée, des fusils d’un modèle périmé (dit fusil à tabatière), sans vêtements chauds, sans ravitaillement suffisant par un froid glacial, humide, neigeux… On espère des renforts « échappés de Paris »…
C’est une catastrophe de plus : la « sortie » échoue. Cette armée d’environ 20 000 hommes est, fin novembre, près de Loigny, à 20 km au nord d’Orléans.
La bataille contre les troupes prussiennes venant du nord et les bataillons bavarois venant de l’est s’achève le 2 décembre par un désastre. Il y eut des milliers de morts et de blessés malgré le courage et l’héroïsme de tous. Le général de Sonis, blessé, devra être amputé de la jambe gauche [2]17. Loigny, aujourd’hui « Loigny-la-Bataille » a élevé un mémorial en souvenir de ce tragique épisode. Le général de Sonis sera plus tard inhumé à Loigny (1887) où une cérémonie du souvenir a encore lieu tous les 2 décembre.
Les rescapés faits prisonniers sont regroupés au camp de Conlie, près du Mans, dans des conditions sanitaires déplorables, compliquées par une épidémie de variole.
Rappelons ici que le vitrail dit « du voeu de la guerre » placé en 1873 sur l’une des verrières de l’église côté rue Notre-Dame évoque cette bataille qui vit l’écrasement de l’armée en 1870. Et on remarque la présence de zouaves pontificaux [3]18, de nombreux blessés, d’un aumônier, d’une soeur Saint-Vincent-de-Paul dans une scène de carnage que domine la France en pleurs, l’épée brisée dans la main droite.
Et au-dessous, les noms de jeunes Guingampais figurant parmi les victimes. Ce vitrail fut en partie offert par les familles concernées.
Henry (1855-1926), second des fils du général, choisit également la carrière militaire mais il démissionne lors de l’expulsion des Frères des Écoles chrétiennes (loi sur les congrégations, 1902) et vient à Guingamp vivre auprès de sa famille, à Sainte-Anne,
propriété des Parcevaux, après le décès de M. de Parcevaux en 1902.
Pendant la guerre 1914-1918, il organise à Guingamp avec le patronage de la Croix-Rouge l’hôpital militaire n° 13 dans une partie de l’institution Notre-Dame.
Son fils, Joseph-Louis de Sonis (1888-1945), est une figure marquante de la vie guingampaise dans la première moitié du xxe siècle. Il est l’un des fondateurs du stade Charles de Blois (patronage, club de gymnastique, clique, équipe de football) dont il deviendra le président ainsi que celui du Rayon Sportif féminin après 1920. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il joua avec beaucoup d’efficacité et de discrétion un rôle considérable dans la Résistance. C’est ce dont témoigne une lettre de Joseph Darcel,
responsable d’un des mouvements de Bretagne nord, le réseau Mithridate.
Accueil de réfractaires, relations étroites avec les maquis, surtout celui de Coat Malouen,
distribution de tracts, renseignements sur les troupes allemandes et leur armement dans la région… Il héberge des aviateurs alliés. Dans sa maison, des chambres pouvaient être réquisitionnées par les Allemands et il arriva que deux d’entre elles soient occupées la même nuit, l’une par un allemand, et une autre par un Anglais ou un Américain en attente d’un convoyage vers la plage Bonaparte.
Il fut même un matin arrêté… mais relâché rapidement.
Rien ne laissait soupçonner aux non-initiés ces activités menées au sein de la propriété familiale.
[1] Les « mobiles » des Côtes-du-Nord seront particulièrement éprouvés.
[2] Ses trois fils en réchappèrent, l’un ayant été blessé et un autre prisonnier qui s’évada.
[3] Du nom d’une tribu kabyle zwana (orthographié d’abord zouane). On appelle ainsi des troupes indigènes levées dès 1830 en Algérie, recrutées surtout parmi les kabyles mais comprenant aussi les fantassins français. Plus tard, il y eut ces zouaves pontificaux qui prirent la défense du pape contre les troupes italiennes (1868-1870).