L’hôpital des Augustines 1832 – 1911

L’hôpital des Augustines 1832 – 1911

1 –  La construction.

Dix ans d’attente.

1823, un premier devis est établi par Théophile Launay, architecte de la ville de Guingamp. Il prévoit une longère de 55 mètres de long, 11,70 m. de large et 8,80 m. de haut. Au rez-de-chaussée, 2 salles de chacune 30, 40 ou 50 lits et plusieurs salles plus petites, à l’étage, dont une salle de Conseil et d’archives.

Les têtes de cheminées, les linteaux et les pierres à hauteur d’appui des 59 fenêtres seront en pierre de tailles, les fondations, les façades et les pignons en maçonnerie ordinaire.

Le prix global, y compris 1.000 F. d’imprévus et les 10 % de l’entrepreneur, s’élève à 58.277,88 F.

Ce projet excède les moyens de la ville ; il faut en étudier un autre moins coûteux.

Dès 1823, la ville entreprend de constituer une «cagnotte», en mettant de côté une somme chaque année : 1.000 F. en 1823, 2.000 en 1824, 4.000 en 1826, etc.

Cri d’alarme en 1824, répété tous les ans : les salles sont en ruine. Insalubrité, insuffisance des locaux, mauvaise disposition, risque d’écroulement… il a fallu étayer le plafond de la salle des femmes. Les murs sont lézardés, les cheminées penchent dan­gereusement.

Chaque année, c’est la même requête et la recherche incessante de solutions et d’économies : échelonner les travaux, utiliser les matériaux (pierres) de démolition des bâtiments actuels, ainsi que ceux provenant de la démolition du Rumeur, vieux manoir en Pommerit, dont l’hospice est propriétaire, mettre de l’argent de côté…

Une bonne nouvelle en 1825 : le duc d’Orléans (qui est aussi duc de Penthièvre) fait donation des matériaux de la démolition envisagée de la porte de Rennes et du bastion attenant. La valeur en est estimée à 10.000 F. La donation, autorisée par ordon­nance royale, est acceptée en février 1826. En additionnant :

  • les provisions de la ville :                                                30.675,29
  • la valeur des matériaux des anciennes salles :         4.123,09
  • la donation du duc d’Orléans :                                     10.000,00

on pourrait, enfin, envisager les travaux.

C’eût été sans compter avec les complications administratives : au delà d’un coût total de 20.000 F., il faut l’autorisation du ministère. Le dossier part à Saint-Brieuc : en septembre 1827, il y manque encore des pièces. On envisage de «monter» une devis fictif de 19.681,60 F…

– En 1829, une incertitude supplémentaire vient peser sur le financement : c’est la réduction imposée des droits d’octroi qui sont, à l’époque, pratiquement la seule source des finances municipales.

Un architecte est venu de Saint-Brieuc et doit fournir des plans. On les attend en vain… «il a dû les oublier dans un tiroir…» Quand on les reçoit, après plusieurs années, (on ne les attend plus) le devis est exorbitant : 100.000 F.

– En 1830, un nouveau devis précise quelques points matériels : le toit sera constitué d’ardoises (de Kerborne ou de Caurel) de 4 mm d’épaisseur et chaque ardoise sera fixée par deux clous. On choisira les clous les meilleurs, à 2,50 F. le millier, qui seront préalablement bouillis dans la graisse. Les joints des lucarnes seront en plomb, les pièces de faîte en terre cuite vernissée. Pour les voliges et les planchers du rez-de-chaussée, ce sera du chêne, tandis que le premier étage se contentera de sapin. Nous apprenons aussi qu’à l’époque la journée du maître couvreur est payée 3 francs et celle du compagnon 1,50 F.

– 1831, c’est l’année terrible : une partie des bâtiments s’est écroulée en janvier, puis encore en février, puis en juillet. L’eau tombe dans les salles : cet été-là, les lits sont inondés et l’on dispose des vases dessus.

Désormais toute réparation est inutile. La municipalité dresse un véritable réquisitoire.

«L’arrondissement de Guingamp n’a qu’un hôpital pour 110.000 habitants, tandis que Lannion en a quatre. Or Guingamp, entre Saint-Brieuc et Morlaix, est le seul refuge des marins et soldats malades et fatigués.» De plus, on fait remarquer que le dépôt de remonte est installé à Guingamp et qu’il «fournit des malades qu’on ne peut recevoir». En principe, l’État devrait prendre à sa charge les frais d’hospitalisation des militaires : il ne le fait pas.

Les conditions d’accueil sont désastreuses :

  • On ne peut isoler les malades contagieux des convalescents, des vieillards, des infirmes. Dans la même salle cohabitent des enfants malades, des aliénés, des femmes en couches, des syphilitiques. Il n’y a pas de local pour la distribution des aliments ou des médicaments, pas de salle pour les bains, ni pour les autopsies, ni même pour le dépôt des cadavres.
  • Il n’y a pas assez de fenêtres pour aérer convenablement les salles : les latrines sont proches. Entre l’hôpital et le monastère, qui sont trop rapprochés, il y a plusieurs petites cours «où des vidanges forment des cloaques… et il s’en exhale des putricités».

Il est donc évident que si l’on construit une nouvel hôpital, il ne devra pas être construit sur l’emplacement de l’actuel et qu’il faudra réfléchir aux «convenances de salubrité et de commodité», tant pour l’établissement que pour les appartements du couvent.

Un nouveau plan est dressé par M. Buhot-Launay et, cette fois, on va enfin réaliser ce nouvel hospice.

Où?

«Il sera placé à quatre mètres du pignon nord et couchant du couvent des Dames Hospitalières avec lequel il sera en communication au moyen de 4 portes pratiquées dans le pignon de ce côté-là. De là, il s’étendra vers le nord sur la cour de derrière dont il formera la clôture du côté du couchant, à une distance de douze mètres, et la faça­de du levant donnera sur la cour».

Cette exposition, face aux vents de sud-ouest qui régnent presque constamment dans le pays, permettre d’opérer sans cesse le renouvellement de l’air. Sur l’autre façade se manifestera l’influence plus salutaire des vents d’est.

Le plan.

D’abord un pavillon central de 12,40 m de long sur 12 m de profondeur et de 4 m de haut. Il sera, sur 2 étages, réservé au service médical et administratif : un bureau, un cabinet d’archives, une salle de réunion, une pharmacie, une lingerie, un cabinet de bain, des latrines à chaque étage.

  • De chaque côté, une aile de 21 m de long, 12 m de profondeur, 9 m de haut.
  • Au rez-de-chaussée de chaque aile, une salle de 20 m sur 10 m et 4,15 m de haut. Une pour les hommes, l’autre pour les femmes, Chacune, éclairée par 10 fenêtres, au­ra 30 lits en 2 rangées de 15, de part et d’autre d’une allée centrale de 2,77 m.
  • Au premier étage, deux salles de 12 m sur 10, réservées l’une aux garçons, l’autre aux filles. Et, de chaque côté, 4 petites chambres réservées à des malades particu­liers. Les greniers, éclairés, de chaque côté, par 12 lucarnes, pourront éventuellement être aménagés par la suite.
  • Le construction sera faite en moellons tirés des carrières de Rochefort. La façade sera en pierre de taille jusqu’au 1 ° étage.

Les pierres du duc d’Orléans.

Sur cette donation qui avait «l’apparence d’une concession splendide», il fallut déchanter car des tiers avaient aussi des droits qu’ils entendaient bien faire valoir. En par­ticulier Madame veuve Joseph Coursin, propriétaire d’une maison adossée au bastion nord. Elle s’oppose à la démolition et à l’enlèvement des pierres. Pour appuyer ses prétentions, elle produit la copie, presque illisible, d’un «afféagement» de 1661, concernant la maison qu’elle occupe, donnant droit à toutes les dépendances dont les «casemates» [1]. Elle présente un autre document, plus récent : l’acte de vente de cet­te maison (bien national puisque propriété des Penthièvre) à Joseph Coursin, son époux, en 1810, par la préfecture des Côtes du Nord. Sans doute, elle ne revendique pas la propriété des pierres du rempart, seulement leur jouissance…

La perspective d’un procès long et coûteux ne convenant pas à la municipalité, on se résigna à un accommodement. Mme Coursin obtenait la propriété du terrain sous le rempart et la ville s’engageait, afin de ne pas nuire à l’habitation de Mme Coursin, à ne pas construire sur le terrain libéré par la démolition de la pointe de la porte de Rennes.

Seules furent récupérées les pierres du mur au midi entre les 2 portes de Rennes.

Où trouver les pierres de complément pour la façade et la corniche de l’hospice ? De la carrière de Guénezan en Bégard. Ce même granit gris déjà utilisé depuis plusieurs dizaines d’années, dans de nombreuses façades guingampaises et même pour le contrefort rajouté à la vieille tour de l’horloge en 1780. Quelques pierres de la démo­lition des douves furent encore généreusement attribuées par Louis-Philippe en 1830 et 1832.

La construction… enfin !

Elle se fait en trois parties :

– La première concernait le pa­villon central et une aile. L’adjudica­tion, annoncée par 60 affiches, se fit au printemps de 1832, toujours sur le principe du «moins-disant». La maçonnerie dut adjugée à Bothorel, entrepreneur à Guingamp, la menuiserie à Yves Jouanny, installé rue de la Trinité.

façade ouest

– En 1833, la construction de la deuxième aile et des bâtiments de service (lavanderie, boulangerie, four, étable) fut emportée par les mêmes. Les 25 persiennes furent disputées entre Marc Coursin qui proposait un devis de 1.200 F. et Guillaume Le Cocq qui l’emporta avec un montant de 1.120 F.

– Enfin, en 1835, les travaux de construction du mur, de deux petits pavillons et des latrines revinrent à Jouanny pour 4.110 F. Chaque pavillon, de part et d’autre du por­tail d’entrée mesurait 4,66 m sur 4 m. L’un servait de logement au portier, l’autre de lo­cal d’autopsie. La claire-voie comportait quatre pilastres avec un chapiteau d’ordre toscan. [2]

Signalons enfin que toute la façade est en pierres de taille et pas seulement jusqu’au 1° étage comme il avait été prévu. C’était donc un beau bâtiment et c’est pourquoi, pour ne pas le masquer, on construisit une «claire-voie» au lieu d’un mur plein.

Afin d’assurer le finance­ment total, la ville demande l’autorisation de lancer un emprunt. Cela lui fut accordé par une décision du 15 janvier 1833 pour 13.200 francs remboursables en 3 ans sur les fonds municipaux. Quelques legs destinés aux indigents aidèrent aussi au boucla­ge du budget, ainsi qu’une subvention de 3.800 F.

En attendant l’achèvement des travaux, la nécessité de ce nouvel hospice avait été cruellement prouvée par l’épidémie de choléra (10 septembre 1832 au 8 janvier 1833).

[1] Casemate : Niche aménagée dans l’épais­seur de la maçonnerie du bastion et desti­née au logement de pièces d’artillerie (voir les aménagements de la partie basse des tours sud-est et sud-ouest du château, dans la tour de St-Sauveur et celle de Traouzac’h.

[2] En architecture, l’ordre «toscan» est dérivé de l’ordre dorique ; il est donc simple : un tailloir carré au dessus de quelques annelets (voir la photo).

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