Les capucins à Guingamp
L’ordre des Franciscains, fondé par François d’Assise, s’était divisé en deux tendances : l’une plus proche de l’esprit du fondateur, les observants ; l’autre, acceptant quelques adoucissements, les conventuels. Cette divergence fut officialisée par Rome en 1517.
Une troisième branche vit le jour en 1528. Ces nouveaux frères mineurs furent appelés Capucins, car leur habit de bure brune comme celui des observants, dont ils sont proches, se complétait d’une «capuce» ou capuchon pointu. Ils allaient nu-tête et pieds nus, sauf conditions climatiques particulièrement rigoureuses.
Pourquoi se sont-ils installés à Guingamp, alors que les Cordeliers y avaient un couvent renommé ? C’est qu’ils bénéficièrent de circonstances exceptionnelles sur lesquelles il nous faut revenir. A la fin du XVIe siècle, la ville de Guingamp avait pris, comme son seigneur le duc de Mercœur, le parti de la Ligue. Elle était sous la menace d’un siège mené par l’armée royale (le roi est Henri IV), sous les ordres du prince de Dombes et le renfort d’un contingent anglais. Le point faible des murailles de la cité était sa partie nord-est, au pied du coteau de Montbareil, là-même où la proximité des remparts et des bâtiments conventuels des Cordeliers et des Jacobins facilitait la tâche des assaillants qui pouvaient ainsi s’approcher à couvert des douves et des murailles. Aussi la garnison qui défendait la ville décida de démolir les deux monastères.
Les Cordeliers quittent donc la Terre Sainte. Réfugiés un temps à Sainte-Croix, chez les Augustins, ils obtiennent la chapelle de Notre-Dame de Grâces et décident d’y implanter leur nouveau monastère. Il s’en fallut de quelques années que les bâtiments soient prêts et donc, pendant ce temps, il n’y a plus de Cordeliers à Guingamp, ensuite implantés dans la trêve de Saint-Michel en Plouisy, ils apparaissent comme extérieurs à la vie de la cité.
Cependant, à la fois la municipalité et quelques notables souhaitent une présence franciscaine en ville même. Les motifs en sont variés : les uns sont religieux : les Capucins semblent animés d’un zèle plus missionnaire que les Cordeliers. C’est important au moment où commence à souffler l’esprit de la Contre-Réforme. On comptait aussi beaucoup sur leur dévouement en cas de «peste», car ils ont la réputation de se dépenser sans compter au service des malades et dans toutes les catastrophes.
La réalisation ne fut pas chose aisée, il lui fallait de solides appuis[1]. La marquise de Locmaria «prit la chose avec chaleur», l’abbé de Bégard, Messire Jean Fleuriot, qui réside à Guingamp, promet de concéder la chapelle de Saint-Léonard, dépendant du prieuré de Saint-Sauveur dont il est titulaire, si l’on veut fonder le couvent en cet endroit et d’y joindre une somme de 300 livres. Sur le moment, cette proposition n’eut aucune suite.
Le projet n’est pas abandonné, un prédicateur capucin, le Père Jean-François de Saumur, vient prêcher à Guingamp l’Avent et le Carême. Il en profite pour gagner l’appui de M. Guillaume de Coatrieux, marquis de La Rivière, gouverneur de la ville de Guingamp. Et l’on évoque la possibilité d’une implantation du futur couvent non pas à Saint-Léonard, ni à Notre-Dame de Rochefort, mais au manoir du Penker. Ce lieu paraît idéal : pas loin de la ville, mais cependant à la campagne. Il est la propriété de M. de La Rivière, il y a logé les Jacobins après leur départ de Sainte-Croix où, comme les Cordeliers, ils se sont abrités un temps après la destruction de leur couvent.
Le marquis hésite, puis donne son accord : une amélioration subite de son état de santé (il souffre de la goutte depuis dix ans) le conforte dans ce projet. Il donne congé aux Jacobins qui en furent fort mécontents et ne se privèrent pas, par la suite, de combattre le projet.
Reste à obtenir le consentement de la Communauté de ville. Ce n’est pas gagné d’avance, car «elle se sent trop pauvre pour accepter cette nouvelle charge». L’insistance de M. de La Rivière et l’éloquence du R.P. Jean-Baptiste d’Avranches finirent par surmonter les résistances des notables. Une assemblée générale se tient en l’église Notre-Dame et, comme par miracle, se termine par un consentement presque unanime : il n’y eut qu’une seule opposition. L’évêque de Tréguier et le provincial des Capucins donnent immédiatement leur accord. Afin d’officialiser l’événement, on décide «de planter la croix… sans perdre de temps.» M. de Coatrieux offre un arbre de sa terre de Goas-Hamont qui est apporté dans le portail de l’église Notre-Dame où les ouvriers le façonnèrent.
Le 15 novembre 1615, la croix portée sur les épaules des fidèles est transportée au Penker, au milieu d’un grand concours de population. Une autre croix, érigée aussi dans l’enclos, servit de mémorial pour la guérison de M. de La Rivière[2].
Neuf ans plus tard, le 14 avril 1624, sera célébrée la dédicace de la chapelle des Capucins. De nombreuses et pieuses personnes de la noblesse continueront à aider les Capucins à la construction de leur couvent, entre autres Madame de Locmaria ; Mme du Roscoët, épouse. Le bâtiment de base était le manoir du Penker [3].
La façade est a été remaniée à différentes reprises, mais sur la façade ouest, on remarque encore les petites fenêtres correspondant aux anciennes cellules des moines.
Ce bâtiment formait un des côtés du carré, complété par trois autres bâtiments à un étage entourant un cloître intérieur. L’un des côtés, orienté est-ouest, abritait la chapelle. Celle-ci avait trois autels : le maître-autel orné d’un tabernacle [4]. Les deux autres dédiés, l’un à Saint-Félix, l’autre à Saint-Faustin. Tous les bâtiments sont «sans style» et reflètent la pauvreté des religieux.
Autour du couvent, un enclos avec deux jardins, une allée bordée de hêtres (et à partir de 1768, une «charmille»). L’intérieur témoignait de la même pauvreté que la chapelle et pouvait loger, à l’étroit, de 16 à 18 religieux. Le mobilier est sommaire : dans chaque cellule, un lit formé de trois planches posées sur des tréteaux ; une paillasse avec quelques couvertures ; une table de travail en bois blanc et une chaise. Même dans l’infirmerie, il n’y a que des paillasses contenues par quelques planches.
Qui sont les Capucins du Penquer ?
Ils se recrutent dans toutes les classes de la société. Il est aisé de connaître leur région d’origine, car en religion, ils portent le nom d’une ville qui est soit celle de leur naissance, soit la ville la plus proche de leur paroisse natale
La fin des Capucins
Pourquoi le déclin du couvent ? C’est un phénomène commun à presque tous les monastères. Ils souffrent de la montée de l’anticléricalisme qui se manifeste surtout envers les monastères d’hommes, dont on critique (Cahier des doléances de 1789) les richesses et l’inutilité. Il faut noter, cependant, qu’à Guingamp, les cahiers de Sainte-Croix et de Saint-Sauveur furent les plus violents, celui de la Trinité, dont les Capucins faisaient partie, sera plus modéré : quelle «richesse» aurait-on pu leur reprocher ?
Cet anticléricalisme est sans doute la conséquence de la multiplication des couvents : ils sont nombreux à solliciter aumônes et offrandes auprès d’une même population, ce qui entraîne fatalement pour chacun une diminution des offrandes. Si les Capucins restent pauvres – et le deviennent même de plus en plus -, il semble cependant, d’après les rapports des chapitres généraux des Capucins de Bretagne, que se manifeste un relâchement de la discipline vis-à-vis des supérieurs et la généralisation d’une certaine médiocrité. Celle-ci provenait des difficultés de recrutement, le niveau intellectuel était en baisse ce qui finissait par se répercuter au niveau des prédicateurs.
Comme les Cordeliers, les Capucins de Guingamp furent placés devant l’obligation du serment : sur 8, cinq furent réfractaires.
L’inventaire du couvent eut lieu le 5 mai 1790, à huit heures du matin. Il démontra la pauvreté de la Communauté : elle ne possède en fait de draps que 4 paires et demi. Chacun des religieux peut disposer de ses vêtements et de quelques objets, «chemises de laine, manteaux, habits, sandales, mouchoirs, livres, papier, cages à oiseaux» plus la paillasse de leur lit, leurs couvertures, leur «cuisine» (quelques pauvres ustensiles) et une chaise.
Mais en février 1791, les administrateurs de Guingamp apprennent que trois ex-Capucins ont dégarni «les chambres de l’infirmerie, emporté des effets de sacristie comme aubes, purificatoires, corporaux, nappes d’autel et qu’ils sont susceptibles si cela est possible soit de rendre ce qu’ils ont pris, soit d’en voir la valeur retenue sur leur traitement.»
Les Capucins à Parc-Marvail
Les Capucins sont revenus à Guingamp en 1947. A l’époque, les religieuses Rédemptoristines, installées à Parc-Marvail, avaient décidé de quitter la ville. La maison se libérait donc et les Capucins en profitèrent. Le site de Guingamp fut choisi en raison de sa situation centrale en Bretagne.
Depuis cette date, le nombre des religieux a varié entre 6 et 12. Dans les premières années, les Capucins prêchaient des missions dans les paroisses et se déplaçaient beaucoup dans toute la Bretagne. Les activités des Frères sont dans la droite ligne de celles de leurs anciens. Ils pratiquent en communauté la messe, la prière et la méditation, ils assurent les confessions et la direction spirituelle.
Ils animent le Tiers ordre qui s’appelle désormais «Fraternité franciscaine laïque». Ils prêchent des retraites, des missions et sont en relation avec des missionnaires à l’étranger. Comme autrefois, ils sont frères quêteurs, fidèles à l’idéal franciscain et à une vie simple et austère.
[1] Le nombre de religieux et surtout d’ordres mendiants ne pouvait excéder les possibilités financières d’une cité et ne peut manquer de susciter les réserves tant des autorités civiles que du clergé séculier et des monastères déjà présents. De plus, le Père Maunoir aura, dans chaque paroisse, un «bureau pour les pauvres» qui ne pouvait manquer de limiter le résultat des quêtes des ordres mendiants.
[2] Guérison qui ne l’empêcha pas de décéder l’année d’après.
[3] Aujourd’hui, le bâtiment le plus ancien du lycée Notre-Dame.
[4] Avant la généralisation des tabernacles sous l’influence des franciscains, les hosties consacrées étaient conservées dans un «sacraire» : niche aménagée dans le mur et fermée d’une porte.