Le henaff
Alphonse LE HENAFF, lui, est né à Guingamp le 28 juillet 1821, et mort à Rennes en 1884, fils de François LE HENAFF, huissier, originaire de Pommerit-le-Vicomte (1786-1843) et de Félicité CHAUFFRAY, marchande, rue de la Place (1790-1875). Cette dernière est d’origine normande, née à Condé-sur-Noireau, elle a de la famille à Guingamp, dont Pierre LE MASSON, négociant. (Plaque 7 rue Edouard Ollivro).
Les deux témoins qui signent avec le père l’acte de naissance sont Pierre Marie LE TIEC et Gabriel Marie NICOL, tous deux également huissiers.
Deux fils sont déjà nés au foyer de François LE HENAFF : Hippolyte Sébastien et Eugène François qui ont, en 1821, respectivement 7 et 5 ans.
Le jeune Alphonse part donc pour Paris où il fréquente l’atelier de Paul DELAROCHE.
Sa première grande œuvre lui fut commandée en 1846 par la Fabrique de l’église Notre-Dame de Guingamp. Les fonts baptismaux venaient d’être rénovés, on y avait placé une toile très médiocre de la Nativité. Liturgiquement, il fallait y mettre un baptême du Christ. Ce fut le sujet demandé à notre jeune artiste. Il se met immédiatement à l’œuvre et, au début de 1847, il adresse à la Fabrique, pour examen, une esquisse peinte.
Alphonse LE HENAFF se soumit aux critiques, son tableau achevé en 1848 fut apposé sur l’un des murs des fonts baptismaux. En voici la description par Sigismond ROPARTZ : «Sur le fond grisâtre des montagnes de Judée, aux rives desséchées du Jourdain, Saint-Jean, bruni par le désert, verse l’eau sacrée sur la tête du Christ incliné. A droite, derrière le Sauveur, un Ethiopien, un Indien et un Européen se prosternent et adorent : les Gentils d’Afrique, d’Europe et d’Asie croient et demandent le baptême. Un Juif, debout, montre du doigt le ciel ouvert et la colombe et annonce l’accomplissement des prophéties. A gauche, derrière le précurseur, une jeune femme se penche… au bras de son époux, à leurs pieds joue un bel enfant : c’est la famille créée par le christianisme, qui conduit son fils aux fontaines régénératrices. Derrière eux, un philosophe, un riche du siècle doute encore, mais ne doutera pas longtemps. Au second plan, cette tête blonde qui vous regarde avec un peu d’anxiété, c’est la signature de l’œuvre, c’est le portrait du peintre.»
Le tableau fut placé à l’ouest des fonts baptismaux dont il obturait une des étroites fenêtres. Il fut payé 1.300 francs à l’artiste. Très vite LE HENAFF composa pour le compléter une peinture en forme d’ogive très évasée qui sera placée au-dessus de la première toile, sans doute pour que l’ensemble ainsi constitué s’intègre mieux dans l’architecture de la base de la Tour Plate. Les traces des cadres sont encore visibles sur le mur.
Par la suite, à une époque inconnue pour le moment, les deux toiles furent reléguées à une grande hauteur, à gauche de l’entrée de la nef par le portail ouest. Il était difficile, à cette distance, de retrouver les détails décrits par ROPARTZ.
Pendant toute la période 1847-1860 environ, LE HENAFF réside à Paris, travaille et expose ses toiles dans les salons officiels, ce qui prouve la reconnaissance de son jeune talent. Il est donc normal qu’il reçoive à nouveau une commande de la Fabrique de Guingamp. Il est question d’installer dans le transept nord de l’église une chapelle des Morts. L’autel en kersanton, le pavement, les degrés en marbre blanc et noir seront complétés ensuite par un vitrail de la Passion. Malheureusement, ce bel ensemble est surmonté d’un «affreux mur». La construction de la nouvelle sacristie, à la fin du XVe siècle, a contraint à reboucher une grande verrière et depuis que l’on a enlevé les boiseries qui la camouflaient, la maçonnerie peu soignée choque les regards. Que faire de mieux que de la masquer par une vaste composition confiée tout naturellement à LE HENAFF.
Celui-ci se met aussitôt au travail : le sujet choisi est «Le Jugement dernier ou la Résurrection des morts».
Dès le mois de juillet 1853, LE HENAFF annonce au Conseil de Fabrique que quelques-uns des tableaux destinés à l’autel des défunts ont été terminés pour l’Exposition où ils ont été admis par acclamation et où ils ont obtenu un véritable succès.
Au printemps de 1854, il annonce son arrivée à Guingamp pour la fin de mai et qu’il compte placer avant le pardon «la plus grande partie de la décoration que la Fabrique m’a fait l’honneur de me commander, car il n’y manquera que les deux figures du bas que je ferai chez moi.»
A la Fabrique de prévoir le travail de menuiserie : bois pour les toiles et encadrements. Il en profite pour demander une indemnité «car les frais ont presque dépassé l’allocation et je suis ruiné». En 1852, il a signé 3 reçus de 250 F chacun et un de 2.800 F pour solde de tout compte le 4 mars 1853.
En avril 1854, trois ballots cordés contenant trois tableaux de M. LE HENAFF sont expédiés de Paris à Guingamp. Trois tableaux ? La composition en comptait six au total. Le Jugement dernier couvrait une surface de 150 m2 et se présentait sous la forme d’un triptyque à deux étages divisé en six compartiments.
Au centre, est figurée la Résurrection des morts qui sortent de leurs tombeaux, surmontés au sommet du tableau par Dieu, juge souverain entouré d’anges, tandis que l’Agneau et la Vierge Marie intercèdent pour les pêcheurs. A droite, guidés par un ange lumineux, les élus montent au ciel ; à gauche, un ange armé d’un glaive repousse les condamnés dans l’abîme de l’enfer.
Cette monumentale composition, sous l’effet de l’humidité, était presque entièrement noircie ; au milieu du XXe siècle, elle fut déposée. D’après ROPARTZ, qui la décrit en détail, elle était remarquable. On peut cependant avoir une idée de ses couleurs dominantes en lisant les lettres relatives à l’aménagement définitif de la chapelle des défunts. DARCEL, l’architecte parisien responsable de l’ensemble des travaux de restauration menés de 1847 à 1860, suggère en 1856, pour le sol, des dalles blanches avec des fleurons rouges ou violets s’harmonisant avec les bordures des tableaux de M. LE HENAFF. En 1857, lorsque se pose le problème de la décoration de la voûte, il affirme qu’il ne faut surtout pas la mettre en bleu, mais la mettre en harmonie avec les tableaux de M. LE HENAFF et leur entourage : «prendre un ton clair, jaune chamois, indiquer les joints en petit appareil rouge-brun avec, au centre, une rosette de même couleur et rehausser le tout sur les nervures (des arêtes des ogives) d’un ton un peu plus soutenu que la voûte avec le tore en vert, un filet rouge et une bande rouge plus ou moins large contre la voûte et une rosette violette du ton des cadres sur le tore central»
L’ensemble devrait donc être de tonalité assez «chaude», ce qui était souhaitable dans cette chapelle située au nord de l’église.
Les tableaux furent donc posés – provisoirement – pour le pardon de 1854 qui était celui de l’inauguration du porche Notre-Dame, presque entièrement refait. Puis, ils reprirent le chemin de Paris afin d’être exposés au Salon des Beaux-Arts de 1855, selon une lettre de DARCEL, de mai 1855 : «Les travaux de l’Exposition sont terminés… Est-ce que la Bretagne ne va pas envahir Paris lors de l’Exposition et n’aurons-nous pas le plaisir de voir quelques habitants de Guingamp cet été, à Paris. Les six tableaux de M. LE HENAFF sont placés ensemble et admirablement étant seuls au fond d’une galerie. C’est un ensemble très remarquable et d’une grande tournure, malgré quelques emmanchements de bras et de mains passablement féroces. Mais le jury estime mieux ces écarts qu’une plate et banale correction.»
A dire vrai, notre peintre était désormais connu et apprécié. Une lettre de DARCEL, de février 1856, nous apprend qu’on «vient de découvrir les peintures que M. LE HENAFF a faites à Saint-Eustache (Conversion et martyre de Saint-Eustache). Elles sont un peu sombres, mais il y a beaucoup de style et des figures d’une tournure dont peu d’artistes sont capables. »
Finalement, le Jugement dernier fut installé à Guingamp pour les grandes fêtes du couronnement de Notre-Dame de Bon-Secours, en septembre 1857, la chapelle des morts ayant été inaugurée à cette occasion. Encore que les encadrements et les peintures de la voûte ayant été faits hâtivement, il fallut les reprendre en 1858.
Ce sont les derniers tableaux fournis par LE HENAFF à l’église de Guingamp, mais il ne se désintéressa nullement de l’embellissement de ce sanctuaire.
Il s’y marie le 16 janvier 1858 (il a 37 ans). «Artiste-peintre domicilié à Paris», il épouse une jeune Guingampaise de 21 ans, Louise Eléonore GUILLOUET. Le 28 novembre de la même année, leur naît un fils, François Félix Jacques.
A l’église Notre-Dame, on a entrepris, après la chapelle des morts, celle de la Vierge dans le transept sud (devenue ensuite chapelle du Saint-Sacrement). De Nantes, où travaille notre peintre (à la décoration de l’église Notre-Dame du Port, LE HENAFF est en correspondance suivie avec la Fabrique au sujet d’un vitrail dont on lui a confié le dessin : il prévoit au centre un grand sujet : une Vierge grandeur nature, entourée de petits médaillons représentant des épisodes de la vie de Marie.
La Fabrique lui expédie un projet de disposition des médaillons en même temps que les mesures de la fenêtre où doit être placé le vitrail. Il n’est pas d’accord avec ce projet et annonce l’envoi de sa propre esquisse. «Je serai très heureux de prêter mon concours à tout ce qui embellira votre église qui est celle de mon enfance et sera peut-être celle de ma vieillesse. C’est au moins mon désir» (lettre de février 1860.
Soucieux d’une excellente réalisation du projet, de son projet, il demande que la confection du vitrail, qui sera très délicate, soit confiée à M. PLEE, maître-verrier à Nantes : ainsi, il pourra lui-même surveiller, jour par jour, l’exécution du carton, tant pour l’aspect général que pour l’harmonie des couleurs et les détails d’ornementation. Et il promet que si l’accord se fait, le vitrail sera en place pour le mois de septembre (l’autel en marbre blanc fut, lui, posé pour le pardon de 1860, au début de juillet).
On est loin du jeune artiste de 1847 : c’est lui désormais qui impose ses vues à la Fabrique.
Le 27 février, il faut renoncer à faire exécuter le vitrail à Nantes, le maître-verrier étant malade. A qui confier le travail ? La Fabrique a pris contact avec M. FIALEIX, mais LE HENAFF insiste pour que l’on fasse confiance à la maison CSELL, de Paris, à laquelle il donnera toutes les indications suffisantes et avec laquelle, dit-il, on est assuré d’un bon résultat. Il a de la peine à faire accepter son point de vue et en marque une certaine aigreur. «Je ne m’occupe de ces travaux que par bon vouloir pour l’église de Guingamp. Ils me gênent pour ceux que je fais à Nantes qui me prennent tout mon temps. C’est donc un surcroît de travail que je m’impose quoique très fatigué et ce travail m’apporte un si mince salaire que c’est uniquement pour vous être agréable que j’y donne ma coopération.»
A dire vrai, le travail ne manque plus à notre artiste : il travaille à Rouen (église Saint-Godard) et à Rennes (décoration à fresques de l’abside, du pourtour du chœur et des tympans des transepts effectuée de 1867 à 1876).
Il réside désormais à Rennes où il est inspecteur des écoles de dessin. C’est à Guingamp qu’il décédera, le 29 août 1884, à l’âge de 63 ans. Sa tombe est au cimetière de la Trinité (dans la même rangée que celle de Pierre GUYOMAR).
Les toiles du «Jugement dernier» ont été déposées par les soins des services techniques de la ville, après la seconde guerre mondiale. Souhaitons qu’elles puissent être récupérées et restaurées. C’est une œuvre majeure de LE HENAFF.