Trotrieux Lambert
Les Trotrieux
Ce sont les quartiers s’étirant entre la falaise rocheuse surplombant le Trieux et le moulin au duc construit par Jean II devenu, depuis la Révolution, le moulin de la ville. Ils commencent au petit pont qui enjambe le ruisseau séparant jusqu’en 1792 Guingamp de Ploumagoar. En amont, c’est Rustang (l’étang) puisque les eaux étaient retenues à partir de la prairie de Cadolan. La présence de l’eau favorisait l’implantation d’artisanats variés : tonnellerie, tanneries, etc.
Mais à partir du XVe siècle, il faut distinguer deux Trotrieux (traou Trieux : « vallée du Trieux »).
Trotrieux Lambert (devenu Petit Trotrieux)
Le « petit », dit alors Trotrieux Lambert, devient avec la création des « nobles bourgeois » de la ville – chargés, sous la tutelle de l’administration ducale, de gérer la cité, l’hôpital, l’église (sa « fabrique »)… – le « fief » de cette « noblesse » collective. D’où un moulin et donc cet « étang » dit « de la comtesse ». Ce quartier est de petites dimensions, entre le Trieux et la rue « Ruello » (Run de la Motte puisqu’elle y donne accès un peu plus haut…), ainsi qu’à la rue aux Chèvres.
Voyons où on en est en 1447. On y compte au total 45 « places » : 36 « place et maison » (chaque maison avait une cour), et 6 « place et ostel ».
Le cens payé est faible : de 2 à 9 sols pour 23 d’entre elles (même s’il s’y ajoute quelques deniers, c’est peu de chose) ; pour les autres, on va de 10 à 15 sols, une seule à 28 (contestée par le propriétaire, autrefois « procureur »).
La petite rue sur l’étang : cinq rentes à 9 deniers, une à 3 sols.
Pour la « rue de la Chièvre », on va de 1 à 5 sols, mais certains emplacements sont vacants, ou les maisons « ruineuses ». Par cette rue, on arrive à « la place aux Bêtes » vers le Bali (Vally). Il reste quelques maisons anciennes.
Celle qui surplombe l’escalier descendant vers la rue basse a une belle façade avec portes cintrées et les rampants du pignon est se terminent par un motif sculpté. Il y a encore un bel escalier à vis. La moitié de son sol est toujours dallé en granit. Elle possède un four de boulanger.
Les deux maisons sur sa gauche ont, elles aussi, un escalier (il fait saillie sur le mur arrière) et doivent dater de fin XVIe ou début XVIIe. On sait qu’à partir de cette époque on ne construit plus de façades à pans de bois.
Dans la rue Basse, sur le cadastre napoléonien de 1825, la parcelle 676 était la maison du four banal, 120 m2 au sol : on voit très bien, à son extrémité ouest, une imposante forme demi-circulaire… Elle sera démolie au XIXe siècle. Après la suppression des banalités à la Révolution, un boulanger s’installa rue Ruello.
Plus loin, quelques maisons anciennes, dont le numéro 20, sur une parcelle étroite, elle est située perpendiculairement à la rue. Son toit est incurvé afin que l’eau de pluie ne ruisselle pas sur la façade (première page de couverture). Sur sa façade est, porte cintrée et fenêtre à meneau ; à l’intérieur, escalier à vis et sol dallé à l’origine. Elle fut la propriété, jusqu’à l’an VI, de Jacques-René Onfray de la Painnière, ancien miseur de la ville (fils de Charles, marchand et de Jacquette Fallégan, elle-même « négociante de la ville de Guingamp »).
La maison voisine a un escalier extérieur, sur la rue, pour accéder à l’étage : nous savons que la plupart du temps les logements étaient réduits : une famille au rez-de-chaussée (avec cheminée en pierre) et une autre à l’étage…
D’autres ont été rénovées en façade mais l’une a une cheminée imposante sous un long linteau de bois.
Plus à l’ouest, une maison à fronton avec date et initiales de son propriétaire : C.R. 1719.
Une autre semble avoir eu à l’étage un séchoir : à cuir ou à lin.
La situation dans la seconde moitié du XVIIe siècle (1645-1695)
Évidemment, on ne l’appela pas le « petit » Trotrieux mais toujours Trotrieux Lambert car, nous l’avons vu, s’il est petit par sa surface, il compte plus de maisons que Tour Quellenic. En 50 ans, le nombre de maisons varie peu : de 41 à 47, plus ses annexes : la rue sur l’étang (7 maisons) et la rue de la Chèvre, qui en a une. On ne sait pas qui les habite mais on en connaît les propriétaires. Notons qu’il n’est pas question de « Ruello » dans les comptes des bourgeois, donc c’est tout l’îlot qui constitue leur « fief ». Il compte à peu près autant de maisons que « autour du Martray », c’est-à-dire la périphérie de la place du Centre et la rue de la Pompe. Parmi les propriétaires (y habitent-ils ?) rue de l’Étang : Jacques Pinard, sieur de Cadolan, monsieur de Bourblanc, Juhel sieur des Rochers, les Fallégan, dont François en 1689, J. Jégou, Alain Guyomar, dont la maison en 1695 sera à M. de Bégaignon – elle jouxte la chaussée du moulin des bourgeois et le cens est de 34 sols, le chiffre le plus élevé (la plupart du temps c’est 10 sols en moyenne).
Dans le dernier compte concernant les faubourgs – sauf précisément à Trotrieux Lambert – il y a 44 propriétaires qui « s’excusent » de demander une réduction, en invoquant les préjudices commis par l’occupation des troupes imposées par le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, après la révolte de Bonnets rouges en 1675. Pourtant, à part une manifestation des habitants de Plouisy lors de la révolte et une occupation par les troupes du duc, d’autres incidents provoquèrent une nouvelle occupation en 1695, et de nouveaux dégâts, car les soldats étaient logés chez les habitants.
En l’an IV
Trotrieux Lambert est maintenant dit « le petit Trotrieux ». Du numéro 888 au 928, le recensement dénombre 42 « logements » et 151 habitants. Avec la réforme administrative et la Révolution, il n’est plus le « fief » des « nobles bourgeois » de Guingamp, mais ses habitants n’ont guère dû varier en quelques années… Ici aussi 31 logements n’ont qu’une cheminée, bien qu’il y ait des familles de quatre et cinq enfants ; 5 ont deux cheminées, 1 en a trois. La plus importante en a huit : elle est habitée par Yves Pastol (de Keramélin) né à Guingamp en mars 1770. Enrôlé, il deviendra général puis baron d’Empire, mort dans la campagne d’Allemagne en 1813.
Quelques artisans : charron, charpentiers, menuisier, chapelier, couvreur d’ardoises, tanneur, tourneur, tisserand, deux cabaretiers, quelques veuves sont blanchisseuses, lavandières, fileuses de lin ou de laine ; quelques journaliers, jardiniers, domestiques. Avec ce qui s’appelle maintenant Ruello, ce sont 105 habitants de plus, avec les mêmes caractères d’habitat et de moyens d’existence : cordonnier, boulanger, cloutier… quelques « marchands », des bouchers .
Rustang, récemment rattaché à la ville, a 78 habitants dont deux maréchaux ferrant (classique à l’entrée des villes), un aubergiste (quatre cheminées), un boucher, quelques tanneurs, un chaudronnier.
La rue aux Chèvres n’a que 23 habitants (4 logements)
Complétons cette extrémité de Guingamp par le « Vally » et des habitations plus importantes : quatre cheminées pour Thomas Penven, neuf pour Le Cocq, tanneur, sept pour Le Lepvrier, homme de loi, et huit pour Mme veuve de la Boessière (dix personnes dont ses trois enfants, une ex-religieuse et quatre domestiques dans l’ancienne « Palestine », dont une partie a été cédée à la ville pour dessiner le nouveau Vally). Enfin, dans le manoir de la Chesnaye, autrefois en Ploumagoar, (sept cheminées), la veuve de Maître Alexandre Jourand de Querès (mort en 1788), née Courson, ses trois filles (16, 13 et 11 ans), sa sœur Marie- Jeanne Courson, une ex-religieuse, deux domestiques et le métayer : la métairie était importante ; elle fut séparée du manoir par la voie ferrée Paris-Brest et se trouve aujourd’hui en-deçà du rond-point.
Avec le temps, on constate l’appauvrissement progressif de ce « petit Trotrieux » qui n’a plus alors que le statut de faubourg. À cela va s’ajouter une mauvaise réputation au XIXe siècle, avec l’ouverture au numéro 14 d’une maison close destinée aux garnisons qui s’installent alors à Guingamp, mais que certains Guingampais eux-mêmes fréquenteront.
Simonne TOULET. Jeannine GRIMAULT.