LE MONUMENT AUX MORTS

LE MONUMENT AUX MORTS

Par Mme Simonne TOULET

Petit historique du monument aux morts de Guingamp

Dans les mois qui suivent immédiatement l’Armistice du 11 novembre 1918, nombreuses sont les manifestations organisées à Guingamp pour célébrer la victoire mais aussi honorer la mémoire des victimes, nombreuses chez nous, de cette guerre longue et meurtrière. Citons, en 1919, l’organisation d’une fête de la Paix, et la décision de modifier quelques noms de rues : le boulevard de la Gare prenait le nom de Clemenceau, la rue St-Nicolas prolongée devenait le boulevard de la Marne, la rue des Cantons entre le carrefour de la route de Pontrieux et le carrefour de la rue de Tréguier s’appelait désormais rue maréchal Joffre. La rue Gordoc’h se transformait en rue maréchal Foch, la rue de Pontrieux était dédiée au maréchal Pétain tandis que la place de l’Hôpital (celui-ci ayant été d’ailleurs transféré route de Pontrieux) devenait Place de Verdun. Le nom du commandant Billot, maire de Guingamp en 1914, était donné au Jardin public dont il avait été l’organisateur. A ces décisions s’ajouta bientôt celle de transformer la rue de Tréguier en rue de l’Yser afin d’honorer la mémoire des soldats du 73e régiment territorial, recruté en grande partie dans la région, qui furent victimes des combats de la vallée de l’Yser au cours de l’automne de 1914.

Le 11 novembre 1920 pour commémorer à la fois le second anniversaire de l’Armistice et le cinquantenaire de la IIIe République, une cérémonie se déroula au Jardin commandant Billot. Ce jour-là, on planta en grande cérémonie un arbre commémoratif, un chêne d’Amérique, (fourni par M. Liberge). L’arbuste arriva porté par des élèves de L’École Primaire Supérieure de garçons. Les premières pelletées de terre furent déposées par le maire, Monsieur Salaün, le sous-préfet. Monsieur Moury-Monzet, et Imbert, Commandant d’armes de Guingamp. Un chœur chanté par les jeunes filles de L’École Primaire Supérieure clôtura la cérémonie.

Dès 1920 aussi, la municipalité décida de réserver une partie du cimetière de la Trinité pour les corps des militaires morts aux Armées dont le rapatriement allait commencer. Il y avait déjà environ 200 militaires décédés à Guingamp pendant la guerre et dont seule une petite proportion allait être réclamée par les familles pour une réinhumation dans leur commune d’origine. Une des initiatives qui allait exiger de longues discussions et attendre plusieurs années avant d’être réalisée fut celle d’un monument aux morts.

Dès après la guerre de 1870-71, le Comité du Souvenir français avait lancé l’idée de ce genre de mémorial. C’est en 1894 que la municipalité de Guingamp, saisie d’une proposition en ce sens par le Souvenir français, fut amenée à en discuter. Cela venait un peu tardivement et il n’y avait eu, heureusement, dans notre région, que peu de victimes de cette guerre. Aussi, le conseil municipal n’envisagea pas l’érection d’un monument et adressa une subvention (75 F) au Souvenir français afin que cette somme soit utilisée au mieux.

Tout était différent, bien sûr, en 1919. Les régiments bretons, l’infanterie surtout, avait été sur tout le front durement engagée et c’est par centaines que se comptaient les décès des soldats guingampais. Ce fut d’ailleurs un mouvement général et les monuments aux morts vont s’élever dans pratiquement toutes les communes de France, des plus grandes villes au plus humble des villages.

C’est dès le 13 janvier 1919 que le premier écho nous en parvient dans les préoccupations de nos édiles. Ils en acceptent le principe mais décident d’attendre – ce qui ne manquera par d’arriver – les directives gouvernementales. Effectivement, dans les mois qui suivirent furent mis en place des comités départementaux auxquels on devait se référer et qui accordaient autorisations et subventions.

Au mois d’octobre de la même année un premier pas est franchi par l’ouverture d’une souscription publique destinée a recueillir les fonds nécessaires. Les élus municipaux ont chacun la responsabilité d’un secteur de la ville. En décembre 1919, le total des sommes recueillies s’élève à 16 409,30 francs. En attendant leur utilisation, on transforme cette somme en bons de la Défense nationale qui porteront intérêt. Sans doute la municipalité accordera une subvention, mais son montant ne peut être décidé qu’en fonction de la dépense totale dont on n’a pour le moment aucune idée sinon que, les prix ayant beaucoup augmenté, tant ceux de la main d’oeuvre que des matériaux, il faudra disposer d’une somme de 3, 4 ou même 5 fois supérieure a celle dont on dispose pour le moment.

QUEL MONUMENT ?

Car on veut bien faire les choses : on rejette l’idée d’un monument construit en série, il faut à Guingamp un monument qui ait un caractère personnel et artistique digne de la ville et de la mémoire des victimes de la guerre. Une commission de trois conseillers auxquels on adjoint monsieur Lefort, architecte de la ville, est chargée au mois de novembre 1920 d’étudier la question de façon précise. La première idée est d’organiser un « concours » entre les sculpteurs, concours doté de primes pour les participants. Dès le mois de décembre on abandonne ce projet de concours : les vrais artistes ont tous pour le moment suffisamment de travail et les candidats ne se bousculent pas. Le concours ne pourrait être doté de prîmes assez alléchantes étant donné l’état des finances de la ville ; on cite l’exemple de la ville du Havre qui prévoit l’installation d’un monument d’une valeur de un million de francs. L’organisation d’un concours coûterait au bas mot 8 à 10 000 francs, soit plus de la moitié de la somme dont on dispose actuellement.

Il y a déjà assez de monuments placés dans le département pour se faire une idée, il y a aussi des artistes bretons capables d’oeuvres originales, tel Quillevic, auteur du monument destiné à Carhaix. Son oeuvre a été exposée au Salon d’automne et a recueilli des commentaires flatteurs de la presse parisienne. Il serait possible au moins de se renseigner et de faire appel à plusieurs sculpteurs.

En attendant, la souscription reste ouverte et il est décidé que le futur monument sera érigé sur le rond-point de la place, en haut de la rue Notre-Dame, entre la Chapelle de l’ancien hôpital, l’Ecole Primaire Supérieure de garçons et le buste de la République, en avant de la place du Vally.

Au mois de mars 1921 survient la photographie de la maquette du projet Quillevic. Le monument mesurerait 6m50 de haut sur 3 de large et comprendrait trois statues en granit de Kersanton : un soldat de 2m25 de haut, et deux femmes (la mère, la sœur) de lm85 de haut chacune. Le tout se dresserait sur un socle de granit orné de motifs celtes. Seul le monument proprement dit serait l’oeuvre du sculpteur, le socle serait réalisé selon ses plans et ses conseils par l’architecte de la ville. Le monument ainsi prévu est certes impressionnant, l’artiste a reçu pour ce projet les félicitations du ministre des Travaux Publics, monsieur Le Trocquer. Mais, le coût en est élevé : au prix des trois statues : 20 000 F ; 18 000 F ; I6 000 f. ; s’ajoutant relui du socle ; 25 000 F, se serait donc un total de 81 000 F sur lequel la ville de Guingamp devra assumer directement au moins la moitié, environ 90 000 francs, même si on obtient une substantielle subvention de l’Etat. Or, le budget de la ville a été en déficit de 31 000 F en 1920. Les affaires ne sont pas bonnes (le coût de la vie a beaucoup augmenté) et les recettes de l’octroi, principale ressource, sont en baisse. Pour le  moment, on décide d’attendre que d’autres artistes se manifestent.

La statue d’Hippolyte-Marius GALY

En août 1921 le choix devrait pouvoir s’effectuer puisqu’il est possible d’examiner sept projets dont les uns tout granit, d’autres granit et calcaire ou granit et bronze, dont les prix s’échelonnent entre 40 000 F (le premier projet de M. Léon de Guingamp, qui en propose trois) et 81 000 F, celui de Quillevic.

On remarqua particulièrement le projet de Hippolyte-Marius Galy, auteur du monument élevé à Montluçon. Le prix semblait un peu élevé. On reprit contact avec le sculpteur qui répondit en félicitant la Municipalité d’avoir porté son choix « sur un véritable artiste ayant fait des preuves » et proposa de discuter soit sur un projet peu différent de celui de Montluçon, de proportions plus réduites, soit sur des sujets proches des monuments de Tonnerre ou de Morez dont le prix de revient avoisinait les 50 000 F.

Les pourparlers continuent et en mars 1922 survient la maquette du monument proposé : statue en marbre de Carrare blanc clair d’une femme assise appuyant la tête sur la main gauche, le bras replié, le coude sur un médaillon portant le profil d’un soldat casqué. Les dimensions étaient telles que si la figure était debout elle mesurerait deux mètres. La statue, oeuvre personnelle de Galy, coûterait 40 000 F. Il faudrait évidemment ajouter un socle dont il dessinerait le plan.

m morts

Une kermesse organisée le 23 juillet 1922 permet de recueillir un peu plus de 10 000 F qui viennent s’ajouter aux résultats de la souscription : avec les intérêts des bons de la Défense nationale, le total de l’encaisse s’élève à 33 639 F. L’accord définitif est acquis en décembre 1922 et une date envisagée pour l’inauguration, le 14 juillet 1923. La statut – sera livrée « franco » en gare de Guingamp. La ville devra s’occuper du socle et commence les versements : 25 % du prix immédiatement, 25 % en janvier 1923, le reste à la livraison.

L’emplacement

Une commission fut chargée de décider de l’emplacement du futur monument. Sans doute, en principe, on a retenu le rond-point de la place de Verdun, mais on y a beaucoup repensé et à présent on hésite. Il semble que l’on ait le choix entre :

republique

  •  A la place du buste de la République en avant du Vally : elle sera placée à contre-jour et l’eau s’écoulant des arbres risque de l’abîmer.
    On s’est avisé aussi que la statue n’est pas très belle vue de dos Ne pourrait-on la placer dans l’ancienne chapelle de l’hôpital : un aménagement est prévu dans l’ensemble des travaux de la nouvelle E.P.S. Elle serait adossée au mur du fond, placée sur un socle en maçonnerie, portant des plaques de marbre sur lesquelles seront gravés les noms des guingampais morts pour la France.
  •  Sur le rond-point : la statue serait bien éclairée mais sous la pluie. Le lampadaire à gaz va disparaître (installation de l’électricité) et des foyers lumineux intenses seront placés autour du rond-point… Mais la destruction de l’ancienne E.P.S. de garçons est envisagée, la statue ne sera donc plus « centrée ». S’il faut la déplacer les frais seront importants.
  • On resta fidèle au premier projet, la décision est prise en février 1923. Il ne restait plus qu’à régler le problème du socle. De toute façon, l’inauguration n’aura pas lieu en juillet, la date n’ayant pas été approuvée par le Comité départemental.

Un temple du souvenir ?

En juin 1923 l’affaire revient en discussion. Quelques conseillers se sont rendus à Rennes où a été édifié un Panthéon du souvenir. Surmontées de frises représentant les différentes épopées de l’armée française, des plaques de marbre portent les noms des défunts, le tout étant dédié par « la ville de Rennes à ses enfants ». Un tel monument aurait l’avantage de commémorer le sacrifice non seulement des morts de la guerre 1914-1918, mais aussi de ceux de toutes les guerres et, en quelque sorte, d’être un mémorial de l’histoire de Guingamp.

L’argument invoqué contre ce projet est essentiellement que, la statue étant à l’intérieur de la chapelle (adossée au mur du fond), il sera moins visible, d’autant que le monument ne sera ouvert au public qu’a certaines heures.

Les arguments « pour » ont davantage de poids : il n’est pas certain que la situation au milieu de la place de Verdun soit idéale Statue et socle formeront un ensemble monumental qui risque de gêner la circulation (la circulation automobile : voitures, camionnettes et camions, devient de plus en plus importante et s’ajoute les jours de foire et de marchés à celle des charrettes et véhicules hippomobiles). Il y a aussi l’argument esthétique : se détachant sur un fond de marbre de couleur, la statue sera réellement mise en valeur. Quant à l’argument financier il n’est pas négligeable : il n’y a pas à se préoccuper du « temple » lui-même puisque l’aménagement de l’ex-chapelle est prévu dans les travaux en cours de l’E.P.S. de garçons. Le socle, nécessaire, pourrait être plus petit que prévu puisque les plaques portant les noms des soldats, au lieu d’être fixées sur le socle, seraient apposées sur les murs de part et d’autre de la statue.

Quand au problème de la visibilité de la statue, on peut très bien prévoir de remplacer la porte pleine de l’ex-chapelle par une porte vitrée protégée par des grilles.

Finalement, le projet de Panthéon fut adopté, non sans qu’une autre proposition soit émise : si le carrefour est à écarter, pourquoi ne pas placer le monument au Jardin Public ?

La commission départementale approuve la décision prise. En octobre 1923 la statue est arrivée et le comité d’érection du monument se met en place.

Retour à la case départ…

Beaucoup de plaintes affluent alors au sujet de ce dernier choix. Certains – peu nombreux – protestent contre le fait que le monument aux morts soit installé dans une « chapelle », ce qui pourrait choquer les non-catholiques. A ceux-là il est facile de répondre qu’il s’agit d’une chapelle désaffectée qui ne présentera plus à l’intérieur l’aspect d’un édifice religieux puisqu’elle aura été réaménagée. Plus nombreuses sont les protestations concernant la visibilité du monument et surtout son accès limite aux heures d’ouverture du Panthéon.

Comme on dirait aujourd’hui, « on remet tout à plat ». A regret, on renonce au Panthéon du souvenir. Mais alors, où placer la statue puisqu’il semble sage de renoncer au rond-point ? On pourrait la mettre près de la chapelle, à l’extérieur… Cette décision du comité d’érection ne fut pas retenue et finalement il fut décidé que le monument sera placé en avant du Vally, un peu plus en avant que ne l’est le buste de la République. S’il le faut, on abattra un arbre de chaque côté pour qu’il soit bien dégagé.

Fau-il se contenter de placer la statue sur un socle ou bien l’adosser à un fond de granit et la protéger des intempéries par une sorte d’auvent ? le tout entouré d’une grille, protégé par une haie de fusains ou de troènes et bien surveillé pour que l’arrière du monument ne soit pas transformé en dépôt d’ordures.

Cela fut jugé trop coûteux et on se contentera de la placer sur un socle, de l’entourer de la grille ou d’arbustes. On renonça pour le socle au projet de Galy qui prévoyait des plaques de marbre : le socle sera en granit poli et les noms directement gravés sur la pierre. Un crédit de 25 000 F est voté : on relance la souscription, une subvention de 5 000 F a été obtenue, ainsi les dépenses seront totalement couvertes.

Les travaux commencent au mois d’août 1924. Ils ont été confiés à M. Léon. L’inauguration est fixée au mardi 11 novembre 1924. Un service funèbre célébré à la basilique est suivi de la bénédiction du monument. Mais, l’inauguration officielle présidée par M. Le Trocquer, député, se déroule à l0h 30. Elle est suivie d’un banquet par souscription (10 F la place) sous les halles. Malgré quelques scrupules à mélanger cette inauguration qui rappelait les deuils de la guerre à la fête de l’armistice, on maintint la séance gratuite de cinématographe au Cinéma-Palace (la salle municipale est occupée par le banquet) et le bal gratuit du soir.

A part quelques petites chicaneries sur certaines personnalités invitées ou pas au banquet l’on fut unanime à déclarer que la journée avait été bien organisée et que cela avait bien été une journée du souvenir et non une manifestation politique.

On l’avait transféré sur la Place de la Sous-Préfecture, rue de la Pompe, ce qui lui valut de prendre le nom de Place de la République. Ce n’était d’ailleurs en principe qu’un emplacement temporaire, on avait l’intention de le déplacer soit pour la mettre près de l’EPS. des garçons quand les travaux seront terminés, soit Place du Centre, un peu au-dessus de la Plomée, à la place du candélabre à cinq branches condamné à disparaître lors de l’électrification de l’éclairage urbain. Mais nous savons qu’il n’en fut rien et que Marianne resta Place de la République jusqu’à l’occupation allemande de 1940.

Quant au Monument aux morts, son aspect a été modifié après la seconde guerre mondiale. Des plaques de granit poli portant les noms des morts de la seconde guerre mondiale, puis ceux de la guerre d’Algérie, seront disposées à l’arrière de la statue et du socle de Galy, formant ainsi le monument du souvenir dont l’idée avait germé vers les années 1920.

Simonne TOULET

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